L’obsolescence programmée fait partie intégrante de notre économie, et il semble complexe de l’empêcher sans changer complètement de modèle. Et si l’économie de la fonctionnalité était ce changement ?

L’économie mondiale a des problèmes, ça, tout le monde le sait. Elle produit trop (plus que ses ressources), elle gaspille, elle pollue et contribue au réchauffement climatique, et elle renforce les inégalités. L’économie internationale est à ce point paradoxale que malgré le fait qu’elle devrait (d’un point de vue écologique) chercher à produire moins, elle est sans cesse entrain de produire plus. L’obsolescence (programmée ou non) alimente en permanence ce phénomène : nous achetons, nos produits tombent en panne, nous rachetons.

Mais est-il seulement possible de sortir de cette impasse ? Peut-être grâce à l’économie de la fonctionnalité !

L’économie de la fonctionnalité : définitions

L’économie de la fonctionnalité se base sur un concept simple : il faut vendre des services plutôt que de vendre des produits. Vous ne saisissez pas ? Voici quelques exemples simples.

Nous n’avons pas besoin d’ampoules électriques. Ce dont nous avons besoin, c’est de la lumière. Nous n’avons pas besoin d’imprimantes et de photocopieurs, nous avons besoin de documents. Nous n’avons pas besoin de voiture, nous avons besoin de nous déplacer. Pourquoi les entreprises, au lieu de nous vendre des ampoules, ne pourraient-elles pas nous vendre un service : celui de nous donner accès à la lumière ?

Xeros est une entreprise qui a mis en oeuvre ce concept dans les années 1990. Au lieu de vendre des photocopieurs, l’entreprise a commencé à vendre un service d’impression. Ainsi, on n’achète plus son imprimante, on paye à la page imprimée. Xeros vend un service (l’impression de documents), plutôt qu’un produit (l’imprimante). Mais pour assurer ce service, l’entreprise doit s’assurer que son produit fonctionne. Elle prend donc en charge l’entretien et la réparation des produits, mais a surtout tout intérêt à ce que son produit fonctionne, le plus longtemps possible.

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De la même façon, Michelin vend à ses clients poids-lourds, non pas des pneus, mais des kilomètres parcourus. Si vous achetez 250 000 km, et que votre pneu se dégrade avant, Michelin entretient ou change vos pneus. C’est le même cercle vertueux puisque l’intérêt de l’entreprise est que ses pneus durent le plus longtemps possible, pour éviter d’avoir à les entretenir.

L’économie de la fonctionnalité contre l’obsolescence programmée

Dans ce type d’économie, l’entreprise reste propriétaire des produits qu’elle fournit. De ce fait, l’obsolescence programmée n’a plus aucun intérêt pour elle, au contraire. Le recyclage et la gestion des déchets ne sont plus des externalités, mais deviennent des enjeux de business internes. Au final, l’intérêt économique d’une entreprise n’est plus de vendre un produit, mais d’allonger au maximum son cycle de vie, d’assurer un service de qualité.

En généralisant ce genre de pratiques, on pourrait donc mettre fin à l’obsolescence programmée. En pratique, l’entreprise Xeros a eu de très bon résultats, y compris financiers, avec cette approche. En 1999 elle déclarait déjà avoir réalisé un taux de recyclage et de réutilisation des équipements usagés de 92%, et surtout avoir économisé 200 millions de dollars grâce à l’économie de la fonctionnalité.

C’est surtout un modèle vertueux pour tout le monde : l’entreprise économise, le consommateur paye pour une performance plutôt que pour un produit qui pourrait tomber en panne, l’utilisation des matières premières est réduite, le recyclage amélioré… Par exemple, Renault, en ne cédant pas les droits de propriété de ses batteries électriques, peut les récupérer et les réutiliser, ce qui entraîne une réduction de 30 à 50% des consommations énergétiques et de matières premières dans ces processus. Globalement, le chercheur suisse Walter Stahel a mis en évidence qu’une économie basée sur la fourniture de service et sur la fonctionnalité plutôt que sur le produit pourrait à la fois permettre à l’économie d’être durable, plus écologique, plus performante, de créer des emplois, et d’améliorer la connexion et la relation entre le consommateur et l’entreprise.

Économie de la fonctionnalité : un modèle à réinventer

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L’économie de la fonctionnalité est-elle un modèle atteignable ? Il y a quelques années encore, on imaginait difficilement que les consommateurs puissent réellement renoncer à la propriété de leurs objets. C’est pour cela que jusqu’ici, le modèle de l’économie de la fonctionnalité et du service s’est surtout répandu en BtoB (comme on le voit avec Xéros ou Michelin). Mais aujourd’hui les choses changent : de plus en plus les jeunes consommateurs préfèrent l’expérience et l’usage à la propriété. Après avoir bouleversé les codes du travail, la génération Y change ceux de la consommation : 85% des milleniums préfèrent utiliser leur argent pour vivre des expériences de vie plutôt que d’acheter une voiture ou un ordinateur. C’est le signe que le rapport à la propriété physique des objets est entrain de changer. Les nouvelles générations vivent de plus en plus selon le crédo « NOwnership, No Problem » : 25% des jeunes considèrent qu’être propriétaire de sa voiture n’est pas une priorité, 30% déclarent ne pas vouloir en acheter une dans le futur. L’utilisation des services comme AirBnB, Blablacar, et toutes les start-up de l’économie du partage sont aussi le signe que les consommateurs sont de plus en plus prêts à accepter de ne plus être propriétaires.

Le paradigme de consommation basé sur l’achat et le déchet est donc peut-être entrain de disparaître, et avec elle le problème de l’obsolescence programmée. Reste à inventer un modèle qui puisse faire fonctionner tout ça. Il est probable que de plus en plus, la consommation passe par la relation contractuelle, avec des garanties prolongées de performance, une relation de long terme entre le consommateur et le vendeur. C’est un phénomène que l’on commence déjà à observer dans certaines entreprises de l’Internet des Objets, qui, contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, ne vendent pas des objets mais des services connectés. L’objet devient un médium plutôt qu’une fin, il se transforme également en ressource pour l’entreprise. Reconditionnement, recyclage, réutilisation deviennent alors la base du modèle commercial.

Certains avancent qu’une telle économie freinerait l’innovation, mais selon les experts, ce serait plutôt l’inverse. L’économie de la fonctionnalité serait un modèle qui rendrait plus intéressant l’éco-conception et l’innovation, puisque les entreprises auraient tout intérêt à ce que leurs produits fonctionnent à la fois le plus longtemps possible et le mieux possible.

 

Et vous, êtes vous prêt pour une économie de la fonctionnalité plutôt que de la propriété ?