Le gouvernement vient de rendre publique la version finalisée de la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie). À l’intérieur, on apprend qu’il est prévu de fermer 14 réacteurs nucléaires. Qu’est-ce que ce projet implique en matière d’écologie ? Décryptage.

Depuis longtemps, le nucléaire fait débat en France. Un certain nombre d’acteurs militent pour la sortie progressive du nucléaire, ou au moins pour la fermeture de plusieurs réacteurs. Objectif : diversifier la production électrique et moins dépendre du nucléaire, mais aussi limiter le risque d’accident nucléaire.

Régulièrement, les différents gouvernements se positionnent donc sur ce sujet, et depuis quelques années, les pouvoirs publics semblent s’être fixés un objectif : réduire le nombre de centrales et de réacteurs nucléaires, et faire passer la part du nucléaire dans notre production électrique de plus de 70% à 50%.

Dans la PPE publiée le 20 janvier 2020 et servant de base aux réflexions sur la transition énergétique jusqu’à 2028, c’est ce qui est préconisé, avec la fermeture de 14 réacteurs répartis sur 8 centrales nucléaires.

Mais quelles sont les implications de ce projet sur notre production énergétique ? Et sur son impact écologique en particulier ? Tentons de comprendre.

Déconstruire les idées fausses sur l’impact écologique du nucléaire

D’abord, il est important de revenir sur un point : contrairement à ce que l’on entend parfois, le nucléaire ne pollue pas beaucoup. Il n’émet pratiquement pas de CO2 (il émet 4 à 5 fois moins de CO2 par unité d’énergie produite que les panneaux solaires selon le GIEC par exemple), il n’émet pas de particules fines ou de polluants spécifiques.

Les deux seuls points d’attention qu’il faut garder à l’esprit concernant l’impact écologique du nucléaire sont les déchets et l’eau. Les déchets nucléaires, il faut les gérer correctement pour qu’ils évitent de contaminer l’écosystème. Et pour l’instant, la France a eu très peu de problèmes de ce côté-là, même s’il y a eu quelques incidents ponctuels autour de certains sites de stockage, avec des taux de radioactivité dépassant parfois légèrement les taux habituels (sans que ce soit pour autant considéré dangereux par les autorités sanitaires). Voir à ce sujet : Comment sont gérés les déchets nucléaires français ?

Pour l’eau, il faut comprendre qu’une centrale nucléaire a besoin d’eau pour se refroidir en permanence. C’est pour cela que l’on installe généralement les centrales près de cours d’eau. Evidemment, l’eau utilisée pour refroidir les centrales nucléaires n’est pas perdue, ni polluée. Elle rejoint le cycle de l’eau soit par évaporation soit en étant rejetée dans l’écosystème. Mais quand elle est utilisée par les centrales, elle n’est pas disponible pour d’autres usages et c’est une donnée qu’il faut prendre en compte. Il y a aussi la question de la température : l’eau rejetée dans la nature ne doit pas être trop chaude. Il faut donc être prudent, et c’est pour cela qu’en cas de fortes chaleurs, la réglementation impose d’arrêter temporairement les réacteurs pour éviter que cette eau trop chaude ne nuise aux écosystèmes (pour simplifier).

En résumé, concrètement, si l’on regarde les indicateurs écologiques comme les émissions de CO2, la consommation de ressources et de matériaux, ou la pollution atmosphérique, le nucléaire fait plutôt mieux que la majorité des autres sources d’énergie.

Plus d’infos : L’électricité nucléaire est-elle écologique ?

Fermer des centrales nucléaires : quel impact écologique ?

Cela signifie donc que ce n’est pas forcément en fermant des centrales nucléaires que l’on améliore significativement son bilan environnemental ou son action de lutte contre le réchauffement climatique. Mais pour en avoir une idée plus concrète, il faut surtout regarder la façon dont ces fermetures sont gérées.

En effet, le plus important du point de vue écologique, ce n’est pas forcément de savoir si on ferme telle ou telle centrale, mais de savoir comment le réseau électrique est géré globalement suite à une éventuelle fermeture : quels sont les besoins globaux en électricité, quelles sont les différentes sources d’énergie utilisées pour répondre à ces besoins, comment est gérée l’infrastructure au moment des pics de consommation, qu’est-ce qui remplace quoi etc.

Dans le cas des centrales nucléaires, il est évident que si on les remplaçait par des centrales à charbon, par exemple, le bilan écologique serait mauvais. Pour produire 1 kWh d’électricité (environ 3 h de télévision) avec une centrale à charbon, on émettrait 80 fois plus de CO2 qu’avec une centrale nucléaire, sans compter les particules fines. En faisant cette transition, on alourdirait donc considérablement nos émissions de CO2 et notre impact sur l’environnement.

En gros, plus que la fermeture, c’est la gestion après cette fermeture qui détermine le bilan environnemental et écologique. Mais alors, dans le cas de la France, qu’est-il prévu ?

Plus d’énergies renouvelables, moins de nucléaire : un bilan écologique contrasté

L’objectif de la PPE est justement de clarifier la façon dont sera gérée cette transition : qu’est-ce qui va remplacer le nucléaire, comment et avec quels objectifs.

Concrètement, pour le savoir, il faut se rendre dans le document de la PPE, page 142, pour regarder à quoi devrait ressembler le mix électrique dans les prochaines années. Et voilà ce que l’on peut retenir :

  • D’abord la production d’électricité nucléaire va baisser, certes, mais pas tant que ça. En effet, même si des réacteurs vont fermer, on va continuer à produire avec les autres réacteurs, plus le nouvel EPR qui est en construction. En optimisant la disponibilité des réacteurs encore en fonctionnement, on continuera donc à produire une bonne partie de notre électricité à partir du nucléaire. Concrètement, la production d’électricité d’origine nucléaire devrait passer d’environ 400 tWh par an en moyenne aujourd’hui à 393 tWh en 2023 et entre 382 et 371 tWh en 2028 (selon l’évolution des scénarios).
  • En plus, la production d’électricité thermique va baisser légèrement : les centrales à charbon vont fermer, et celles au gaz ou au fioul sont appelées à moins produire.
  • Pour compenser cette baisse de production, d’autres sources d’énergies vont être amenées à se développer, notamment les énergies renouvelables. Il est prévu d’augmenter la production d’électricité éolienne classique (+54%, passant de 54 à 83 tWh par an), la production d’électricité solaire (+120%, passant de 24 à 53 tWh par an) mais aussi la production d’électricité éolienne en mer et d’énergies marines (+90% passant de 9 à 17 tWh par an). L’hydro-électricité reste, elle, stable, car il n’est plus vraiment possible en France de construire de nouveaux barrages.
  • En même temps, il va falloir faire des efforts sur notre consommation électrique, réduire les gaspillages, améliorer l’efficacité énergétique et les économies d’énergie. En effet, avec le développement de la voiture électrique, les besoins en électricité vont augmenter, ainsi qu’avec les nouveaux usages numériques, ou encore l’électrification des bâtiments. Il faut donc compenser pour éviter que nos besoins en électricité deviennent si importants que l’on ne puisse plus y subvenir. Si l’on y parvient, notre consommation devrait rester assez constante. C’est en tout cas ce que prévoit la PPE.

En résumé : on va retirer une petite trentaine de tWh d’électricité nucléaire et compenser par une grosse soixantaine de tWh d’électricité d’origine renouvelable, le tout pour une consommation électrique nationale à peu près stable.

Et avec ce programme, le bilan environnemental n’est pas forcément très positif. Concrètement, on va arrêter d’utiliser des centrales qui existent déjà et pour les remplacer on va construire de nouvelles infrastructures de production. Il va falloir doubler les capacités de production en photovoltaïque et plus que doubler les capacités de production d’éoliennes. En gros, pour simplifier, deux fois plus d’éoliennes et de panneaux solaires sur le territoire, qu’il va falloir construire et raccorder au réseau. À court terme, cela veut donc dire que l’on va consommer plus de ressources et polluer plus pour subvenir à nos besoins en électricité. Mais le problème ne s’arrête pas là.

Plus d’infos : Pour le climat, la France n’a pas forcément besoin de plus d’énergies renouvelables.

Arrêt du nucléaire, énergies renouvelables, intermittence et stockage

En effet, dans la PPE, on voit des choses qui peuvent sembler au premier abord paradoxales. Notamment, on voit que l’on va construire plus d’énergies renouvelables qu’il n’en faut pour compenser la perte de production d’électricité nucléaire. Deux fois plus environ : 30 tWh d’électricité nucléaire en moins, mais 60 tWh d’électricité renouvelable en plus. Sachant que la PPE envisage une consommation d’énergie stable, pourquoi prévoit-elle, paradoxalement, une augmentation nette de la production ?

En fait, il faut avoir conscience que remplacer du nucléaire par des énergies renouvelables n’est pas très simple. Le nucléaire, c’est pilotable : on produit quand on veut ou presque. Le renouvelable, par contre, est intermittent. Les énergies renouvelables produisent quand il y a du vent, ou du soleil mais pas le reste du temps. Or les besoins en électricité ne coïncident pas forcément avec les moments où les énergies renouvelables produisent. Par exemple, en France, le moment où l’on a besoin de la plus grande quantité d’énergie c’est en début de soirée, vers 19 h en hiver. Or à cette période, il n’y a pas de soleil et pas toujours beaucoup de vent.

Pour être sûr que l’on aura de l’électricité disponible quand on en aura besoin, il faut donc recourir à plusieurs stratégies : stocker l’électricité dans des STEP (Stations de Transfert d’Energie par Pompage, des systèmes de stockage ressemblant à des barrages) ou des batteries, exporter nos surplus vers des voisins qui en auraient besoin et importer quand nous avons besoin, utiliser nos surplus pour produire d’autres sources d’énergie (hydrogène par exemple). Et à chaque fois que l’on a recours à ces stratégies, on gaspille une partie de l’électricité produite, soit à cause des pertes de conversion, soit à cause des pertes sur le réseau. Bilan, si on consomme une quantité donnée d’électricité, il faudra en produire plus si on le fait avec des énergies intermittentes.

La PPE n’explique pas précisément pourquoi elle prévoit une capacité de production nettement plus importante qu’aujourd’hui, notamment pour le renouvelable, mais on peut supposer que c’est à cause de ces pertes probables liées au stockage et aux échanges. On peut aussi supposer que l’intermittence augmente légèrement les pertes en ligne.

En résumé : il semble que lorsque l’on veut un mix électrique qui repose beaucoup sur les énergies renouvelables, il soit nécessaire de produire plus d’électricité plus que ce dont on a besoin.

Une production électrique moins efficiente et pas forcément plus écologique sans nucléaire ?

Si l’on met bout à bout toutes ces données, on peut penser que les fermetures des centrales nucléaires prévues dans la PPE ne seront pas nécessairement une manière d’améliorer notre bilan environnemental et écologique. Au contraire, il va falloir construire de nouvelles capacités de production, qui n’émettent pas moins de CO2 que le nucléaire, et consomment en revanche plus de ressource, et aussi plus d’espaces naturels. Bien-sûr, pour en être 100% certain, il faudrait mener des Analyses de Cycle de Vie sur les différents mix énergétiques. Mais avec les données disponibles, c’est en tout cas l’hypothèse qui se dessine.

Il faudra aussi construire de nouvelles infrastructures de stockage de l’électricité. La PPE détaille les mesures envisagées page 175 : il est question de construire 1.5 GW de STEP, de travailler sur le stockage par batteries et même sur l’hydrogène. Tout cela n’est pas neutre en termes d’impact écologique.

Sur le plan écologique, il semble donc que la fermeture de 14 réacteurs nucléaires soit une nouvelle plutôt négative pour l’écologie ou le climat, à court terme en tout cas.

Pourquoi fermer les centrales nucléaires ?

Se pose alors la question : pourquoi fermer ces centrales ? Et là encore, la réponse est complexe. Bien que l’avantage écologique ne soit pas nécessairement évident à court terme, il y a d’autres raisons qui peuvent justifier la volonté des acteurs publics de fermer certaines centrales nucléaires du parc français.

Plusieurs sont évoquées, dans la PPE, notamment à partir de la page 142 et des suivantes. Parmi elles, la volonté de diversifier le mix électrique français, c’est-à-dire de le rendre moins dépendant à la filière nucléaire (donc à l’uranium, une ressource dont nous avons peu de réserves sur le territoire). On peut aussi citer la volonté de se tourner vers « filières de production d’électricité d’origine renouvelable [qui] ont démontré leur
compétitivité ». La PPE précise toutefois qu’elle compte ici sur l’hypothèse d’une amélioration des techniques de stockage et la baisse de leurs prix pour s’assurer qu’un usage massif des renouvelables reste rentable. Il s’agit donc d’une forme d’anticipation du long terme : anticiper la fin de vie des centrales nucléaires actuelles, anticiper le développement des renouvelables, anticiper pour créer un système énergétique un peu moins dépendant.

Il est probable que derrière ces fermetures se cache aussi un objectif politique. La décision de réduire à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité est inscrite depuis 2015 le cadre de la Loi de Transition Énergétique, votée dans un contexte très particulier. À l’époque, quatre ans seulement après Fukushima, le gouvernement était attendu à la fois par l’opinion publique et par ses alliés politiques sur la question du nucléaire et avait donc tout intérêt à inscrire dans la loi une réduction du parc électro-nucléaire.

Cinq ans après, toutefois, alors que le climat est sur toute les lèvres, la question se pose de savoir si ce choix était tout à fait pertinent. Surtout lorsque l’on lit dans la PPE, page 142, que la fermeture de Fessenheim pourrait amener à retarder la fermeture de nos dernières centrales à charbon.

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Photo par Thomas Millot sur Unsplash