L’hydrogène est-il écologique ? Est-il une solution pour résoudre la crise climatique ? Tentons de comprendre les perspectives des technologies hydrogène en matière de transition écologique.
Ces dernière années, on parle de plus en plus de l’hydrogène comme solution à la crise écologique. Récemment, l’Europe a même élaboré sa « stratégie hydrogène ». Le but, développer les techniques de production d’hydrogène pour « décarboner » l’Europe. En France, on veut aussi miser sur l’hydrogène : le pays vient même de commander ses premiers trains à hydrogène.
L’hydrogène est présenté comme une solution pour la mobilité et le transport aérien, pour l’industrie, mais aussi pour le chauffage domestique. Bref, l’hydrogène semble devoir être au coeur de la stratégie de transition écologique des prochaines décennies. En théorie, l’hydrogène a de quoi séduire : lors de son utilisation, il n’émet ni polluant, ni gaz à effet de serre, que de l’eau. Mais qu’en est-il vraiment ?
L’hydrogène est-il vraiment écologique ? Quels sont ses impacts écologiques, à la production, à l’usage ? Quels sont les défis posés par les technologies hydrogènes ? Que permettront-elles de faire vraiment ? Tentons de comprendre.
Voir aussi : Hydrogène blanc : la solution pour la transition énergétique ?
L’hydrogène : comment ça marche ?
Lorsqu’on parle d’hydrogène dans le contexte de la transition écologique et énergétique, on parle en fait de dihydrogène. Il s’agit d’une molécule composée de deux atomes d’hydrogène (H2) que l’on trouve à l’état gazeux. L’hydrogène peut être utilisé comme carburant, ou plus fréquemment, indirectement via une pile à combustible : on stocke l’hydrogène dans une pile à combustible qui permet de produire de l’électricité à la demande.
L’hydrogène a plusieurs avantages. Lorsque l’on utilise de l’hydrogène, sa combustion ne produit que de l’eau. C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’appelle l’hydrogène (hydro, eau – gène, produit). L’hydrogène est aussi l’élément le plus abondant de l’univers. Il a donc l’avantage, contrairement aux énergies fossiles, d’être disponible en grandes quantités : on ne risque pas, à court terme, d’en manquer.
Toutefois, il faut comprendre que l’hydrogène n’est pas une ressource facilement accessible. Même s’il y en a beaucoup sur terre, il est toujours mélangé à d’autres éléments chimiques. Par exemple, on trouve de l’hydrogène dans l’eau, mais couplé à des atomes d’oxygène : c’est H2O – H2 dihydrogène, O oxygène. On trouve aussi de l’hydrogène dans les combustibles fossiles, par exemple dans le gaz naturel, mais il est alors couplé à des atomes de carbone. Dans le méthane par exemple, il est sous forme de CH4. On ne trouve pas en revanche de l’hydrogène « seul ».
Pour avoir de l’hydrogène, il faut donc le produire, en le séparant des autres molécules. Et c’est là que les choses se compliquent.
Tous les hydrogènes ne sont pas verts
Il existe deux méthodes principales actuellement pour produire de l’hydrogène. La plus commune, utilisée pour produire plus de 90% de l’hydrogène mondial, c’est le reformage d’hydrocarbures. En gros, on place des hydrocarbures dans des conditions précises de température et de pression et d’humidité qui permettent de séparer les atomes de carbone de l’hydrogène. On parle alors d’hydrogène gris, ou d’hydrogène bleu lorsqu’il y a capture du carbone durant la production. La seconde méthode, c’est l’électrolyse de l’eau : on utilise un courant électrique pour séparer l’hydrogène de l’oxygène de l’eau. Dans tous les cas, ces procédés demandent de grandes quantités d’énergie.
Voir aussi : Hydrogène vert : définition et fonctionnement
Selon la méthode que l’on utilise, la production d’hydrogène n’est pas nécessairement « verte ». Quand l’hydrogène est produit à partir d’hydrocarbures, cela pose plusieurs problèmes écologiques. D’abord, il faut extraire ces hydrocarbures, ces énergies fossiles, ce qui génère des dégradations environnementales et des émissions de CO2. Ensuite, il faut utiliser de grandes quantités d’énergie pour provoquer les réactions nécessaires à la production d’hydrogène (vaporeformage, oxydation…). Ces procédés produisent du CO2 par réaction chimique, qu’il faut pouvoir capter et stocker si on veut éviter qu’il ne se retrouve dans l’atmosphère. Pas franchement « durable ». D’après l’Agence de la Transition Écologique (ADEME), produire 1 kg d’hydrogène par reformage émet autour 12 kg de CO2.
En général, lorsqu’on parle d’hydrogène dans le cadre de la transition écologique, on fait plutôt référence à l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau, qu’on appelle « hydrogène vert ». Mais là encore, ce n’est pas simple. Certes, il ne faut « que » de l’eau et de l’électricité. Mais le procédé n’est « durable » que si l’électricité utilisée est elle-même « durable ». Produire de l’hydrogène avec de l’électricité provenant de centrales à charbon revient à émettre beaucoup de CO2 et de polluants. Il faut donc que l’électricité utilisée ait été elle-même produite via des sources bas carbone comme les énergies renouvelables ou le nucléaire. Toujours selon l’ADEME, la production d’1 kg d’hydrogène avec le mix électrique français, plutôt bas carbone grâce au nucléaire et aux énergies renouvelable, émet environ 2.7 kg de CO2. Soit 4.5 fois moins que par reformage.
Reste la question de l’eau. L’eau est une ressources relativement abondante sur Terre, mais elle n’est pas abondante partout et tout le temps. Si l’on utilise de grandes quantités d’eau pour produire de l’hydrogène, c’est autant d’eau que l’on ne peut pas utiliser localement pour d’autres usages. Il faut donc être malgré tout attentif à cette ressource. Certains chercheurs parlent d’ailleurs depuis quelques années de l’électrolyse de l’eau de mer pour produire de l’hydrogène.
Si l’on dispose d’une électricité bas carbone et de ressources en eau utilisables de façon durable, la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau peut être prometteuse du point de vue écologique.
Écologie et hydrogène : une question de rendements ?
Néanmoins, un autre problème se pose : celui du rendement. À ce stade, il faut comprendre que l’hydrogène n’est pas une énergie comme les autres. Comme on l’a vu, il y a plusieurs façons d’utiliser l’hydrogène. On peut l’utiliser comme carburant dans un moteur à combustion. Mais la plupart du temps, l’hydrogène n’est pas utilisé comme une énergie ou un carburant à proprement parler, que l’on utiliserait directement pour alimenter un moteur ou un équipement. Il est plutôt utilisé comme un « vecteur énergétique », c’est-à-dire un élément que l’on stocke dans une pile pour le transformer en énergie (en électricité) à la demande.
Pour utiliser de l’hydrogène dans une voiture par exemple, il faut donc produire l’hydrogène, comme on vient de le voir, puis le compresser ou le liquéfier, le transporter, puis le stocker dans une pile à combustible, qui enfin transformera cet hydrogène en électricité pour alimenter le moteur. Or à chaque étape de ces transformations énergétiques, de la production au stockage jusqu’à l’utilisation, une partie de l’énergie est perdue. Ce sont les principes de la thermodynamique.
Ainsi, lorsque l’on produit de l’hydrogène, près d’un quart de l’électricité utilisée pour la production est perdu, sous forme de chaleur notamment : on n’a qu’un rendement de à 75% environ. Il faut ensuite stocker cet hydrogène : comprimé, ou sous forme liquide. Là encore, cela engendre des pertes énergétiques. Pour l’hydrogène liquide, il faut le conserver à très basse température : encore des dépenses d’énergie.
Ensuite, lorsque l’on retransforme cet hydrogène en électricité, ou que l’on fait brûler cet hydrogène dans un moteur à combustion, on perd à nouveau une partie de l’énergie. Par exemple, selon l’ADEME, le rendement global d’une voiture à pile à combustible à hydrogène, de la production jusqu’au moteur, est d’environ 25%. Cela signifie que si l’on met une quantité 100 d’énergie au départ, on ne disposera que d’une quantité 25 d’énergie à la fin, pour faire avancer le véhicule. D’autres estimations tournent autour de 30, voire 38% au mieux.
Le rendement de l’hydrogène n’est donc pas très bon. C’est un facteur très important à prendre en compte pour évaluer son impact environnemental. En effet, cela signifie, grosso-modo, qu’il faut prévoir de produire quatre fois plus d’énergie que celle que l’on prévoit de consommer sous forme d’hydrogène. De ce fait, même si l’électricité utilisée au départ est relativement « bas carbone », le bilan écologique final peut être médiocre. Grosso modo, avec le mix électrique français (autour de 50 g de CO2/kWh), on obtiendra de l’hydrogène utilisable à une intensité carbone d’approximativement 110 g de CO2/kWh... Plus de deux fois pire donc, sans même compter les pertes de rendement liées à l’usage de l’hydrogène. Bien sûr, avec l’amélioration des procédés techniques, le rendement pourrait s’améliorer, mais il sera toujours plus faible que dans le cas d’une utilisation directe de l’électricité.
Cela dit, l’hydrogène, s’il est issu de productions plutôt durables (à partir d’énergies bas carbone et de ressources utilisées de façon soutenable), a tout de même un impact écologique vraisemblablement plus positif que les énergies fossiles, en tout cas, en termes d’émissions de CO2 : 110 g de CO2/kWh pour l’hydrogène contre un peu moins de 300 g de CO2/kWh pour de l’essence. En théorie, il est donc préférable, si c’est possible, d’utiliser de l’hydrogène pour remplacer les énergies fossiles.
Une solution pas toujours adaptée
Les questions qui se posent sont donc les suivantes : peut-on réellement remplacer l’usage des énergies fossiles par l’utilisation de l’hydrogène vert, si oui, comment, et qu’est-ce que cela implique ?
Répondre à ces questions n’est pas évident. D’abord parce qu’il n’y a pas de réponse unique. Remplacer les énergies fossiles par de l’hydrogène dans la mobilité quotidienne (les voitures) ne représente pas le même défi que d’utiliser de l’hydrogène dans les avions. Utiliser l’hydrogène comme alternative aux énergies fossiles dans l’industrie lourde n’implique pas les mêmes enjeux que de l’utiliser pour alimenter des chaudières domestiques.
Ensuite, les technologies évoluent : certaines applications impensables il y a 10 ou 20 ans commencent à émerger, les coûts qui sont aujourd’hui très élevés pour certaines technologies pourraient baisser, ou pas. Il n’est pas toujours simple de prévoir et d’anticiper ces évolutions.
Enfin, l’impact écologique d’une technologie à base d’hydrogène est parfois difficile à mesurer. Si une solution émet moins de CO2 mais qu’elle dégrade plus fortement la biodiversité, est-elle vraiment plus écologique ? Si l’on remplace les énergies fossiles avec de l’hydrogène, mais que les fuites d’hydrogène dans l’atmosphère contribuent à modifier le climat, est-ce vraiment utile ? Difficile d’arbitrer.
Toutefois, certaines caractéristiques de la production d’hydrogène font de ce vecteur énergétique une solution vraisemblablement plus adaptée à certains usages qu’à d’autres sur le plan écologique. Parmi ces caractéristiques, son rendement, encore lui, mais aussi sa densité énergétique.
On l’a vu, le rendement de l’hydrogène est faible, il est donc parfois moins intéressant que d’autres sources d’énergies dont le rendement est meilleur, pour un même usage. Pour le transport quotidien en voiture par exemple, l’électricité affiche un rendement plus intéressant que celui de l’hydrogène. Quitte à disposer d’une électricité bas carbone, autant l’utiliser directement pour rouler plutôt que de la transformer en hydrogène (avec des pertes) pour la retransformer en électricité (encore avec des pertes) dans une voiture à pile à combustible. D’autant que la mobilité quotidienne ne nécessite pas de très grandes quantités d’énergie : on fait rarement plus d’une centaine de kilomètre en une journée, et dans ce cas de figure, la batterie suffit. Les études indiquent d’ailleurs que la voiture électrique est plus écologique que la voiture à hydrogène, à distance parcourue égale. (Voir aussi : La voiture à hydrogène est-elle écologique ?)
Même chose pour le chauffage : les études montrent qu’il est plus intéressant d’utiliser directement l’électricité pour alimenter une pompe à chaleur, que de transformer l’électricité en hydrogène pour alimenter des chaudières ou des piles à combustible pour le chauffage. Trop de pertes énergétiques engendrent un impact écologique final pas si positif.
Voir aussi : Quelles sont les solutions au réchauffement climatique ?
Mais dans certains cas, utiliser de l’électricité n’est pas possible, ou très complexe. C’est le cas quand on a besoin de grandes quantités d’énergie d’un coup et que l’on cherche une source d’énergie très dense, comme dans l’aviation ou le transport routier longue distance. Faire voler un avion avec une batterie électrique classique est difficile car une batterie suffisamment puissante pour faire voler un avion serait très lourde et encombrante, ce qui est à priori difficilement conciliable avec l’aviation où l’on cherche à optimiser le poids des appareils.
Avec l’hydrogène ce problème se pose moins, car c’est est un vecteur énergétique assez dense. Cela signifie qu’une quantité donnée d’hydrogène produit de grandes quantités d’énergie. C’est la raison pour laquelle l’industrie spatiale utilise depuis longtemps l’hydrogène liquide comme carburant. En embarquant « un peu » d’hydrogène dans une fusée ou un avion, on a à disposition de grandes quantités d’énergie utilisable sous forme de carburant (voire sous forme d’électricité). C’est pourquoi l’hydrogène est souvent présenté comme une solution d’avenir pour un avion plus durable, même si, dans les faits, il reste encore beaucoup de barrières techniques à lever pour que l’avion à hydrogène soit viable : stockage, taille et poids des réservoirs, production et transport de l’hydrogène, entre autre.
De la même façon, certains procédés industriels lourds, qui utilisent actuellement les énergies fossiles pourraient théoriquement utiliser à la place de l’hydrogène. C’est le cas des procédés de réduction nécessaires à la production d’acier pour lesquelles une énergie dense est nécessaire. Mais là encore, les barrières techniques sont innombrables.
Encore une fois, l’impact environnemental de tous ces procédés dépend à la fois des méthodes de production, de stockage et d’usage de l’hydrogène, et du rendement final de ces méthodes. En tout état de cause, cet impact n’est jamais nul. Il est toujours au moins supérieur d’un ordre de grandeur à l’impact des énergies bas carbone utilisées pour produire l’hydrogène, qui lui même n’est jamais nul.
Les défis de l’économie hydrogène
Lorsque l’on parle de l’avion à hydrogène « vert », de la voiture à hydrogène « durable » et même des procédés industriels à base d’hydrogène « zéro émission », il s’agit en fait d’abus de langage. Car aucune de ces technologies n’est « verte » ou « zéro émission ». Toutes ont des impacts environnementaux, plus ou moins prononcés en fonction de l’efficacité énergétique, des rendements, et des sources d’énergie utilisées.
Déployer l’hydrogène pour remplacer les énergies fossiles ne signifie donc pas passer à zéro impact environnemental. Cela déplace les impacts, les diminue aussi parfois, mais ne les annule pas. Ainsi, pour déployer à grande échelle l’usage de l’hydrogène, il faudrait disposer de très grandes quantités d’énergie bas carbone. Cela signifie donc construire une quantité immense d’infrastructures de production comme des éoliennes, des panneaux solaires et des centrales nucléaires.
Compte tenu des faibles rendements de l’hydrogène, la rhétorique consistant à dire que l’on pourra utiliser les « surplus » de la production électrique renouvelable pour produire de l’hydrogène vert ne tient pas. Les surplus nécessaires à la production de l’hydrogène seraient absolument considérables. Il faudrait surdimensionner ces infrastructures, pour générer suffisamment de surplus : assez pour subvenir à nos besoins électriques pré-existants (qui augmentent) et pour produire tout cet hydrogène. Par exemple, selon les estimations de chercheurs indépendants l’Atecopol de Toulouse, il faudrait l’équivalent de la production de 16 réacteurs nucléaires (un tiers du parc français) pour alimenter en hydrogène les avions circulant par Roissy.
En plus de ces sources de production, il faudrait construire en masse les électrolyseurs, les infrastructures de stockage de l’hydrogène, et bien-sûr, des piles à combustible. Autant de choses à construire qui, elles aussi, polluent.
Pour construire tout cela, il faudrait des matériaux, des ressources. Ressources qu’il faudrait extraire. Cet « extractivisme » aura nécessairement des conséquences sur l’environnement, en termes de destruction des paysages, d’impact sur la biodiversité, de pollution des eaux et des sols. Certaines études estiment ainsi que la transition vers les énergies renouvelables, certes bénéfique pour le climat, pourrait aggraver la crise de la biodiversité. On diminue donc le problème climatique, mais au prix d’une atteinte plus forte à la biodiversité. Avec l’hydrogène, les besoins en énergie bas carbone étant décuplés, ce problème est lui aussi décuplé.
Hydrogène : cinquante nuances de vert et de gris
L’hydrogène « vert » est donc plutôt vert de gris, parfois même gris tout court. Il ne faut donc pas s’attendre à pouvoir demain, grâce à l’hydrogène, faire tout ce qu’on fait aujourd’hui grâce aux énergies fossiles, mais sans impact environnemental, en version 100% écolo. Ce discours là est un mythe. Et il convient de déconstruire ce mythe au plus vite pour ne pas s’engouffrer tête baissée dans une technologie qui, si elle a des avantages, est loin d’être une solution miracle.
Le discours ambiant sur l’hydrogène tend à laisser croire qu’il nous permettra de faire l’économie de la réflexion sur nos modes de production et de consommation. Pas besoin de prendre moins l’avion, de moins rouler en voiture puisque nous aurons demain l’avion à hydrogène et la voiture à hydrogène.
Pourtant, les données montrent que ce n’est pas vrai. Même « à hydrogène » l’avion et la voiture, tels qu’ils sont utilisés aujourd’hui, resteront des catastrophes environnementales majeures. Même à hydrogène, notre économie continuera de générer d’immenses pollutions, incompatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris et avec les limites planétaires.
Vers un déploiement raisonné et écologique de l’économie hydrogène
Si l’on veut limiter la casse engendrée par la crise écologique, la transition vers une économie hydrogène doit donc être menée de façon raisonnée d’une part, et surtout, en même temps qu’une transition de fond sur nos modes de production, de déplacements, notre façon de vivre.
Une transition raisonnée vers l’hydrogène, c’est d’abord se demander si l’hydrogène est réellement pertinent au regard des autres alternatives disponibles. Or, comme on l’a vu, dans certains secteurs, les données actuelles ne plaident pas vraiment en faveur de l’hydrogène. C’est le cas dans l’automobile : certes, l’hydrogène permet une mobilité sans limite d’autonomie ou presque, mais au regard de nos modes de vie, cet avantage paraît dérisoire comparé au surcoût environnemental qui lui est lié. La mobilité quotidienne ne pourra de toute façon pas rester ce qu’elle est aujourd’hui, une mobilité fondée sur l’usage constant et irréfléchi de la voiture. Cela est d’autant plus vrai que dans les prochaines décennies, des milliards d’individus sur Terre chercheront, eux aussi, à vivre et se déplacer et qu’il faudra bien un modèle permettant à tous de le faire. L’hydrogène n’est pas le meilleur allié pour fonder ce modèle d’une mobilité sobre et équitable : mobilités douces, transports en commun et transformations des espaces urbains sont bien plus prioritaires.
Pour chaque usage potentiel de l’hydrogène, il faut faire ce travail de comparaison : l’impact environnemental est-il meilleur que celui d’une technologie pré-existante, moins complexe peut-être ? Y’a-t-il de meilleurs outils pour réduire notre impact ? Par exemple, l’avion à hydrogène sera-t-il vraiment moins polluant que son équivalent au bio-carburant ? Pas sûr.
Dans les cas où l’hydrogène s’avèrerait l’alternative la plus intéressante, il faudra encore adapter nos usages à la réalité écologique. Même si l’avion à hydrogène sera peut-être, demain, moins polluant que l’avion au kérosène d’aujourd’hui ou que l’avion aux bio-carburants (et ce n’est pas garanti), il ne le sera de toute façon pas suffisamment pour nous permettre de soutenir une aviation généralisée, massive et en croissance. L’avion, même à hydrogène, restera un mode de transport polluant et devra rester l’exception dans nos usages de mobilité. Cela implique dès aujourd’hui de se demander comment repenser notre rapport aux longues distances, entre sobriété et alternatives.
Les mêmes questions se posent pour l’industrie, ou les consommations énergétiques domestiques.
Mettre l’hydrogène au service d’un nouveau modèle
En résumé, l’hydrogène a des avantages certains : il est abondant, permet de remplacer avantageusement certains usages des énergies fossiles, il peut être complémentaire à la transition vers des sources de production d’électricité renouvelable. Mais l’hydrogène n’est pas une solution miracle du point de vue écologique. Il génère des pollutions, et son faible rendement le rend peu avantageux pour les usages où l’électricité peut déjà remplacer les énergies fossiles.
Si l’hydrogène est perçu et utilisé comme un moyen de perpétuer un modèle de société non-soutenable, fondé sur une croissance infinie des consommations et des productions, il produira des destructions écologiques majeures. Il ne sera alors pas un outil de la transition écologique, mais un palliatif limité, ne faisant que déplacer nos impacts environnementaux. Mettre un modèle économique écocide sous perfusion d’hydrogène ne le rendra pas durable pour autant.
Si en revanche, l’hydrogène est conçu comme un outil complémentaire à la transition vers un nouveau modèle de société, fondé sur la sobriété, alors il peut avoir un rôle majeur pour se substituer aux énergies fossiles là où les solutions n’existent pas encore. Mais il doit alors être encadré, régulé.
Tout l’enjeu est là : mettre l’hydrogène au service d’un vrai changement de paradigme. Et c’est précisément l’inverse de ce que nous sommes en train de faire.