Quel est l’impact sur le budget d’une alimentation plus durable ? Comment faire émerger une alimentation plus écologique sans trop augmenter les prix ? Est-ce possible ? Comment manger mieux sans payer plus cher ? On fait le tour de ces questions.

L’alimentation durable, généralement assimilée à l’agriculture biologique, est souvent pointée du doigt pour son prix, qui serait inaccessible pour les ménages les plus modestes. Un constat nourri par la comparaison des prix entre produits labellisés (AB, Fairtrade, équitable…) et produits conventionnels dans les grandes surfaces. Alors, s’alimenter avec des produits plus durables : un privilège réservé aux plus aisés ?

Une étude réalisée par l’Intitut de l’Economie pour le Climat (I4CE) et publiée en octobre 2021 vient justement nous aider à éclairer la question du lien entre alimentation durable et budget des consommateurs. Décryptage.

Qu’est-ce qu’un régime alimentaire plus durable ?

Notre production et notre consommation alimentaires constituent une importante source d’émission de gaz à effet de serre : elles représenteraient en moyenne 28% des émissions totales à l’échelle mondiale. Des émissions qui sont liées à la fois aux méthodes de production employées, plus ou moins polluantes, mais aussi à nos habitudes alimentaires, nos modes de consommation.

Dans cette perspective, pour réussir à diminuer nos émissions de gaz à effet de serre, préserver l’environnement à travers notamment une meilleure gestion des ressources en sols et en eau, et garder une population en bonne santé, il convient d’opérer une transition vers un régime alimentaire plus durable.

En Europe, cela se traduit par une diminution de la consommation de produits d’origine animale, moins de gaspillage alimentaire, et une augmentation de la consommation de produits issus de modes de production plus durables, autrement dit respectueux de la santé et de l’environnement, (et assimilés au bio dans le cadre de l’étude par simplification).

La question du coût d’une alimentation plus durable

C’est alors qu’intervient la question budgétaire : qui peut se permettre ce type d’alimentation ?

Si d’un côté consommer moins de produits animaux et gaspiller moins allègent le budget, l’augmentation de sa consommation de produits bio de l’autre l’alourdit car ces derniers sont en général plus chers, de façon à rémunérer les méthodes de production plus durables. Selon une étude menée par les spécialistes du secteur, les produits bio sont en moyenne 75% plus chers que les produits conventionnels. Quel est donc l’impact de l’adoption d’un régime alimentaire durable sur les dépenses des consommateurs ?

L’étude a mis en lumière 4 facteurs faisant varier les dépenses des ménages.

La composition de l’assiette

Une diminution de 20% de la consommation de produits animaux permettrait de réaliser des économies comprises entre 4 % (revenus les plus faibles) et 12 % (revenus les plus élevés) du budget alimentaire initial. Des gains qui seraient même doublés voire triplés si le régime adopté est végétarien.

Les pertes et le gaspillage

Une division par deux des pertes et gaspillages au niveau de la consommation (ce qui correspond à l’objectif fixé à l’échelle nationale), en supplément de l’adoption d’un régime moins carné permettrait des gains additionnels entre 3 et 5 points de pourcentage.

La part des produits bio dans l’assiette

Aux prix actuels, sans augmenter son budget, adopter un régime moins carné et diviser par deux son gaspillage permettent déjà d’augmenter la part de produits bio achetés. Une part de produits bio dans l’assiette d’environ 20% pour les ménages les plus modestes, qui pourrait s’élever jusqu’à 35% pour les plus aisés. Aujourd’hui, cette part est de 3% pour le français moyen.

Lorsque le régime adopté est végétarien, ces seuils sont plus élevés : 65 %, 40 %, et 75 % respectivement pour le français moyen, les plus modestes et les plus aisés. Autrement dit, atteindre une part de 40% de produits bio dans son assiette sans augmenter ses dépenses signifie adopter un régime végétarien pour les ménages les plus modestes, ou simplement réduire sa consommation de viande pour les plus aisés.

Le surprix des produits bio

Et puis bien sûr une baisse du prix des produits bio permettrait d’augmenter la quantité achetée pour un budget égal. L’étude mentionne que pour qu’un panier 100 % bio moins carné soit accessible sans surcoût aux 4 catégories de revenus, il faudrait que le surprix des produits bio par rapport aux produits conventionnels passe de 65 % aujourd’hui à seulement 10 %.

Même si le bio se développe sur le territoire, une telle réduction des prix parait difficilement viable pour les exploitants agricoles bio dont le prix plus élevé des produits assure en partie la rentabilité de l’activité. C’est en tous cas ce que souligne ce rapport de France Stratégie : « Pour l’AB, l’utilisation moindre des intrants de synthèse induit certes une baisse de rendements et le désherbage mécanique nécessite un surcroît de main-d’œuvre. Mais ces coûts sont compensés par des prix moins volatils et plus élevés. »

Les auteurs soulignent toutefois les limites de ces indicateurs, qu’ils jugent « pas complètement satisfaisants » : « par exemple, la certification en agriculture biologique néglige la conservation des sols parmi les enjeux environnementaux, mais c’est la seule certification environnementale pour laquelle des données sont largement accessibles et qui se traduise par un prix différencié pour les consommateurs. »

Alimentation plus durable : les 3 facteurs explicatifs de la variation des coûts

En synthèse, au regard des indicateurs étudiés, on peut mettre en évidence 3 raisons à l’origine de la variation des coûts d’une alimentation durable.

  • L’ambition du régime alimentaire durable visé
    Selon le niveau de réduction de la consommation de viande, de gaspillage alimentaire, ou le niveau d’augmentation de la consommation de produits bio, on n’aura pas la même définition d’une alimentation durable. Ces modifications plus ou moins importantes du régime alimentaire se reporteront de la même manière sur les dépenses.
  • Le prix des produits bio par rapport au conventionnel
    Si les produits issus de l’agriculture biologique sont 30% plus chers par rapport à un même produit issu de l’agriculture conventionnelle, cela n’aura pas le même impact sur le budget que si ces produits sont au même prix, ou seulement 10% plus chers.
  • Le niveau de revenu des consommateurs
    Plus le revenu du consommateur est élevé, plus il aura de pouvoir d’achat, et donc l’impact d’une alimentation plus durable sera moindre par rapport à un consommateur au revenu plus modeste.

Selon le niveau de ces différents facteurs, une alimentation plus durable peut coûter 30% moins cher comme 67% plus cher par rapport au budget alimentaire initial du consommateur, d’après l’étude d’I4CE.

Quoi qu’il en soit, pour tous les consommateurs, malgré des efforts en matière de réduction des produits animaux et du gaspillage alimentaire, manger entièrement bio coûte plus cher aux prix actuels, particulièrement pour les ménages les plus précaires. Une diminution des prix est-elle possible ?

Quels leviers actionner pour favoriser une alimentation plus durable dans la société ?

Si l’on souhaite permettre à tout le monde de s’alimenter en produits bio, cela nécessite de trouver le juste équilibre entre des prix suffisamment rémunérateurs des pratiques durables, et des dépenses alimentaires qui soient acceptables pour les ménages. Alors comment parvenir à ce compromis ?

Réduire les coûts des produits durables pour les consommateurs : plusieurs pistes avancées

Réduire la TVA sur les produits durables est une proposition avancée, qui ne fait cependant pas l’unanimité.

Pour certains, une TVA réduite ou à taux 0 % sur les produits bio serait une solution pour rendre le bio plus accessible. Cependant, d’autres affirment que l’essentiel des produits alimentaires étant taxés à 5,5%, cela ne ferait une différence que de quelques centimes.

Développer la filière du bio en France est une autre piste avancée. Cela permettrait notamment de diminuer les coûts intermédiaires comme le transport ou l’emballage, et donc entrainer une baisse des prix alors qu’environ 1/3 des produits biologiques consommés en France sont importés.

Pour Stéphanie Pageot, secrétaire nationale en charge de la structuration des filières bio au sein de la Fédération nationale d’agriculture biologique des régions de France (FNAB), ce développement de la filière du bio doit obéir à certaines contraintes :

Nous sommes dans un paradoxe. Nous essayons de développer l’agriculture biologique. De la massifier sans pour autant l’industrialiser. Pour cela, il faut s’éloigner du modèle capitaliste pour se développer sur les critères du commerce équitable.

Stéphanie Pageot, FNAB

Fin 2018, 41 600 exploitations représentant 2 millions d’hectares étaient cultivées en bio, soit 7,5 % de la surface agricole utile (SAU) française, en hausse d’un point par rapport à l’année précédente. Cela représente également 9,5 % environ des exploitations agricoles nationales et 14 % des emplois agricoles nationaux d’après cette étude de France stratégie.

Réorienter le soutien au secteur agricole vers des pratiques plus durables

« Les 26 milliards d’euros de subventions publiques (aux revenus et à l’investissement) et d’exonérations de taxes et de cotisations sont trop largement attribuées selon des critères incompatibles avec l’émergence d’un système alimentaire durable. En particulier, les critères d’éligibilité des aides de la PAC sont en grande partie insuffisants » souligne une autre étude de l’I4CE décryptant les financements du système alimentaire français.

Chaque année, la Politique Agricole Commune (PAC) verse plus de 9 milliards d’euros aux agriculteurs français. Une somme capable d’orienter les pratiques agricoles. Or justement, pour l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’environnement (FAO), le Programme de l’ONU pour l’environnement (PNUE), les fonds alloués au secteur agricole ne sont pas fléchés dans la bonne direction. Ces 3 organismes estiment que la majorité (87%) des 540 milliards de dollars de soutien aux producteurs agricoles ont « un effet de distorsion sur les prix ou sont nuisibles à la nature et à la santé », dans un rapport publié en septembre 2021.

Cet autre rapport publié par France Stratégie invite notamment à faire de la politique agricole commune un levier de la transition agroécologique.

On peut supposer que la subvention massive de pratiques agricoles durables permettra de faire baisser le prix des denrées alimentaires ainsi produites.

Nos 5 conseils pour manger sain et durable avec un petit budget

En attendant, voici nos quelques conseils pour guider vers une alimentation plus durable, même avec un budget restreint.

  • Se détourner des grandes marques
    Certains produits de marque connus du public ou se donnant une image de qualité en profitent pour augmenter leurs prix. Pourtant, ils ne sont pas forcément différents des autres, et on trouve parfois des alternatives moins chères et tout aussi goûteuses.
  • Chercher le rayon « anti-gaspi »
    De plus en plus de supermarchés ont un coin « anti-gaspi » généralement dédié aux produits arrivant à leur date limite de consommation, ou aux fruits et légumes abîmés. On y trouve toute sorte de produits qui sont alors en promotion, généralement de 30 à 50%, destinés à être consommés rapidement. Un bon moyen pour lutter contre le gaspillage alimentaire et parfois dénicher des produits labellisés à prix réduit.
  • Respecter la saisonnalité
    Respecter le rythme des saisons, c’est limiter les transports pour acheminer nos produits depuis l’étranger, et c’est aussi la garantie de meilleurs prix.
  • Se tourner vers les circuits courts
    Certaines initiatives locales de circuits courts comme les paniers de fruits et légumes et les ventes en direct du producteur sont moins chères que le bio des grandes surfaces. Cela permet également de soutenir l’économie locale.
  • Mettre la main à la pâte
    Dès qu’un produit est nettoyé, pelé, ou incorporé dans des préparations par l’industrie agro-alimentaire, son prix augmente puisqu’il s’agit de payer pour ces transformations. Acheter des produits bruts et les transformer soi-même requiert plus de temps, mais c’est moins cher, meilleur pour la santé et pour l’environnement.

    Et bien sûr, si vous avez la possibilité de faire pousser vos propres fruits et légumes, ça reste probablement la meilleure manière de contrôler ce qu’il y a dans votre assiette !

    Voir aussi : Alimentation durable : 8 conseils simples pour manger plus écologique, sain et économique