Le manque de reconnaissance du travail des femmes pèse encore et toujours sur la population française. Même si des efforts sont visibles en termes d’égalité salariale, le simple calcul comptable ne peut permettre de montrer l’ampleur des difficultés qu’elles rencontrent au travail.

Plafond de verre, emploi à mi-temps, précarité, travail familial invisibilisé, les embûches sont encore nombreuses avant d’atteindre la parité. Malgré une lente décrue de cet écart depuis les années 2000, notamment par une baisse du revenu salarial moyen des hommes et une croissance de celui des femmes, les inégalités lié à l’emploi entre les hommes et les femmes pèsent toujours sur la société. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) souligne dans son rapport de mars 2022 qu’en « 2019, le revenu salarial annuel moyen dans le secteur privé et la fonction publique s’élève à 18 970 euros pour les femmes, soit un niveau inférieur de 22 % à celui des hommes ». 

Une lente décrue des inégalités salariales

Cette différence importante s’explique d’abord par le fait qu’une part plus important des femmes travaille à temps partiel. Elles seraient trois fois plus que les hommes à exercer un métier à mi-temps. Cette réalité est en partie liée au fait que ce sont encore majoritairement les femmes qui accomplissent le travail domestique, telles que les tâches ménagères, les courses alimentaires, la préparation des repas, mais également le temps consacré aux enfants. Ce manque de temps oblige le plus souvent les femmes à choisir des emplois à temps partiel, et rend plus difficile l’accès aux heures supplémentaires. Mais cette différence ne justifie qu’un tiers de l’écart de revenu !

Pour ce qui est du reste, il faut aller voir du côté du salaire en équivalent temps plein (EQTP) – « un salaire converti à un temps plein pendant toute l’année, quel que soit le volume de travail effectif », selon la définition donnée par l’Insee. La différence de caractéristiques individuelles, comme le niveau d’études, les expériences professionnelles, les catégories socioprofessionnelles… explique les deux tiers restant (de l’ordre de 16,1 %). Cependant une étude de 2017 démontre encore que dans le secteur privé pour un poste égal, les écarts de salaires atteignent en moyenne 5,3 %. 

« Il se trouve qu’aujourd’hui encore, en fonction des secteurs économiques, la rémunération des femmes à travail égal est très souvent inférieure, quelquefois jusqu’à 30 %, par rapport aux rémunérations masculines, explique dans un entretien publié dans Entreprises et Histoire (2020), la chercheuse en histoire au CNRS Muriel Le Roux, cette moyenne est fondée sur des données chiffrées « classiques ». Il en irait différemment si l’on retenait la notion de la valeur travail ; on peut supposer que l’écart en défaveur des femmes serait encore plus important ». Le simple calcul comptable des inégalités hommes-femmes ne peut donc expliquer l’ensemble du problème.

Les normes sociales, vecteur d’inégalités

Il est possible d’observer une répartition assez marquée entre hommes et femmes quant au choix de carrière. Les femmes se dirigent globalement vers les métiers du tertiaire et du relationnel (enseignement, santé, action sociale), tandis que les hommes se concentrent soit dans les métiers manuels (BTP, agriculture) ou dans des métiers mieux rémunérés et/ou avec une valeur symbolique importante (finance, ingénierie, recherche fondamentale). Même si cette répartition s’efface progressivement depuis quelques années, l’écart salarial reste toutefois significatif pour les postes à hautes responsabilités selon les secteurs.

Les Sciences, une affaire d’homme ?

Bien qu’en moyenne plus diplômées que les hommes, les femmes s’orientent plus vers la médecine, la biologie et les sciences humaines. Des cursus qui mènent globalement vers des métiers moins rémunérateurs, mais aussi moins considérés dans l’imaginaire collectif. 

L’une des illustrations les plus éclairantes concerne la relation des femmes aux sciences fondamentales (mathématiques, physique, chimie…), matières élevées au plus haut niveau social. Les femmes s’orientent nettement moins vers ces secteurs. Mais sont-elles vraiment moins qualifiées ? 

L’économiste Thomas Breda, professeur à l’École d’économie de Paris et chargé de recherche au CNRS, s’essaye à déterminer les causes de cette faible représentativité des femmes en sciences. Il explique dans un texte publié dans Regards croisés sur l’économie que contrairement au discours qui peut-être entendu, le caractère inné des hommes pour les sciences fondamentales n’est pas scientifiquement établi.

Il suggère au contraire que cet écart de représentation des femmes dans les sciences est plutôt d’origine culturelle. Un propos appuyé par la neurobiologiste Catherine Vidal dans son livre sortie en 2012, Les filles ont-elles un cerveau fait pour les maths?. Le sexe biologique n’aurait pas d’influence sur notre plasticité cérébrale, c’est-à-dire notre capacité à apprendre. 

Les stéréotypes de genre accentuent les inégalités

Les sciences fondamentales, présentées comme des matières masculines, participent donc subtilement à écarter les femmes de ces secteurs clefs. Une peur de l’échec stimulée par des stéréotypes et des normes sociales qui ne les empêchent pas d’accéder à ces filières, mais qui influence dès le plus jeune âge le choix d’études, et donc, in fine, le salaire.  

Françoise Héritier, anthropologue et professeure au Collège de France, propose le concept de « valence différentielle des sexes ». C’est admettre que les valeurs « masculines » (du moins culturellement associées aux stéréotypes masculins) sont plus valorisées, tant financièrement que symboliquement, que les valeurs dites « féminines ». La force, l’assurance, l’ambition restent encore aujourd’hui des valeurs sources de pouvoir. Au contraire, bien que positives, la gentillesse ou la bienveillance, considérées comme des valeurs féminines, sont perçues chez les hommes comme des formes de faiblesses. Les postes les mieux valorisés ont donc tendance à être attribués à ceux qui portent ces valeurs masculines.

Résultat de cette différence d’appréhension : « les femmes sont davantage confrontées que les hommes à tous les risques (travail intense, conflits de valeur, instabilité du poste, manque d’autonomie et de reconnaissance, etc.) à l’exception de la pénibilité physique », comme l’explique Karine Briard de la direction de l’Animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Les différentes révélations médiatiques (Me Too) d’harcèlement et de violences sexuelles au travail s’ajoutent en outre à cette énumération d’inégalités de genre.

Voir aussi : Les causes du mal-être au travail

Un long combat pour l’égalité

Longtemps, la législation a participé aux inégalités hommes-femmes. Par exemple, « à partir de la fin du XIXe siècle, les femmes font l’objet d’une législation spécifique, protectrice, moralisatrice et hygiéniste, à vocation nataliste, comme l’explique l’historienne Danièle Fraboulet dans Entreprises et Histoire (2020). C’est en effet pour protéger la double fonction productive et procréatrice des femmes que le législateur réglemente la durée de travail ». 

Ce n’est qu’en 1972 que la lutte fait un pas conséquent en avant, avec la proclamation de l’égalité salariale. Cette dernière sera suivie en 1975 par la loi sur la non-discrimination à l’embauche, elle-même complétée quelques années plus tard en 1983 par la loi Roudy pour la parité contre la discrimination envers les femmes sur l’accès à l’emploi, aux postes à hautes responsabilités, aux formations, et sur le salaire pour un travail identique.

De nouvelles lois continuent de consolider les précédentes, notamment la loi Copé-Zimmermann en 2011 exigeant la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration. Plus récemment, c’est sur la transparence des entreprises que le législatif s’est concentré, « à la suite de la loi du 5 septembre 2018, depuis 2019, une partie des entreprises doit publier tous les ans un index d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (écarts de rémunération, augmentation et promotion, part des femmes parmi les plus hautes rémunérations notamment) », peut-on lire dans le rapport de mars de l’Insee. 

Le besoin est donc de réduire au maximum ces biais sur le genre, notamment par « l’inclusion des hommes au processus de sensibilisation et de changement des mentalités », comme l’évoque Cecilia Poggi et Juliette Waltmann, économistes à l’Agence Française de Développement. Une meilleure représentation de femmes aux postes à hautes responsabilités et une revalorisation des métiers, que l’on qualifie à tort de « féminins » pourrait permettre de limiter au moins les inégalités salariales.

Photo par Kelly Sikkema sur Unsplash