Il y a aujourd’hui plusieurs gros problèmes dans le traitement journalistique qui est réservé à l’écologie : imprécisions, manque de clarté, choix douteux des sources et des experts… Et si on arrêtait de faire du buzz sur l’écologie et que l’on en livrait enfin un traitement scientifique et sérieux ?
À n’en pas douter, l’écologie est aujourd’hui un sujet qui anime les médias. La communauté journalistique dans son ensemble parle d’écologie, d’une manière ou d’une autre. Et dans un sens, c’est plutôt rassurant : l’écologie est un sujet majeur de société, si ce n’est LE défi majeur que nos sociétés vont devoir affronter durant les prochaines décennies. Heureusement que l’on en parle pourrait-on dire.
Le problème, c’est que lorsqu’on parle d’un sujet aussi important que l’écologie (qui met en jeu l’avenir de nos sociétés) on ne peut pas se contenter « d’en parler ». Il faut en parler correctement, donner les bonnes infos, être clair, pédagogue. Or en matière d’écologie, le moins que l’on puisse dire, c’est que les choses sont loin d’être claires ces derniers temps. Sur chaque sujet, on entend tout et son contraire, les experts de tous bords se contredisent, au point que tout devient flou. Ainsi, au sein d’un même journal, on pourra lire à quelques jours d’intervalle deux informations parfaitement contradictoire sur le même sujet écologique. Exemple sur France Info de deux articles publiés le 15 novembre 2018. Dans l’un on lit « Les véhicules électriques restent néanmoins bien meilleurs élèves que les moteurs essence ou diesel » alors que dans l’autre, c’est l’inverse : « Si on analyse l’ensemble du cycle de vie du véhicule, on ne peut pas affirmer que la voiture électrique est actuellement meilleure pour l’environnement que la voiture thermique. » (Pour information, c’est le premier qui a raison d’après les études scientifiques actuelles.)
L’écologie est un sujet dont le traitement journalistique général est encore extrêmement brouillon. Sur le sujet du réchauffement climatique, les médias semblent bien en retard au regard des enjeux, mais sur les autres sujets, moins grand public, moins accessibles, c’est peut-être encore pire. Car si la connaissance scientifique de ces sujets évolue vite (très vite), visiblement, le temps alloué à ces sujets dans les rédactions est encore trop faible pour tenir le rythme.
Si l’on étudie la littérature médiatique des derniers mois ou des dernières années sur l’écologie, trois problèmes émergent, problèmes dont il est temps que nous prenions tous conscience pour livrer un traitement sérieux, objectif et efficace des questions écologiques. Le premier est un manque criant de compréhension globale du sujet. On mélange tout : émissions de gaz à effet de serre et particules fines, ozone et eutrophisation, acidification des océans et pollutions chimiques… Il y a de toute évidence un manque de formation scientifique élémentaire de la communauté journalistique dans sa grande majorité sur les sujets d’écologie. Le deuxième problème est un problème de sources : les études, experts ou consultants mobilisés par les rédactions sur ces sujets sont encore, bien trop souvent, mal choisis : peu pertinents, pas compétents, ou en décalage par rapport à l’actualité de la connaissance scientifique. Ainsi, on fait intervenir des individus sur des champs d’expertise qui ne sont pas les leurs et cela brouille encore le débat. Enfin, le dernier problème, c’est le manque d’une ligne éditoriale cohérente et d’une approche holiste sur les thèmes écologiques.
Creusons un peu ces problèmes.
Ecologie : le journalisme en manque de compréhension globale du sujet
L’une des grandes particularités du journalisme est sa pluridisciplinarité, en apparence au moins. Potentiellement, on peut traiter en tant que journaliste de tous les sujets : économiques, politiques, écologiques, techniques, culturels. Bien sûr, certains se spécialisent (c’est le cas ici sur e-RSE.net) mais cela laisse malgré tout bien souvent un biais : celui de la formation.
Difficile de parler d’écologie quand on y est pas formés. Eh oui, l’écologie, c’est le moins qu’on puisse dire n’est pas un sujet simple. Elle mobilise une variété de disciplines scientifiques allant de la climatologie, à l’analyse des éco-systèmes en passant par la comptabilité et l’ingénierie environnementale, et bien d’autres. Et si l’on parle d’écologie politique, il faudrait encore y ajouter les domaines des politiques et de la finance publique, de la macro et de la micro-économie, voire de la psychosociologie. Or peu de journalistes sont aujourd’hui réellement formés aux sujets écologiques : combien de ceux qui rédigent sur le réchauffement climatique ont par exemple suivi la formation de la Fresque du Climat de Cédric Ringenbach ? Combien de ceux qui écrivent sur la transition agricole ont réellement pris le temps lire quelques rapports d’experts complets (ceux de l’INRA par exemple) sur les pratiques agronomiques ? Savent-ils par exemple que l’agriculture biologique autorise certains pesticides et lesquels ? Combien, sur les sujets de pollution savent réellement faire la différence entre émissions de CO2, de CFC et d’HCFC, de PM2.5 ou de PM10, de NOx ou de SO2 ? Et savent-ils dire lesquels contribuent au réchauffement climatique global, à la destruction de la couche d’ozone (ou aux deux) ou à la pollution atmosphérique locale ? Ou quelles activités humaines sont responsables de ces pollutions ?
La vérité, c’est qu’ils sont bien peu nombreux. Et c’est normal : le métier de journaliste n’est à priori pas d’être spécialiste exhaustif d’une discipline mais d’être généraliste. Logiquement, on trouve peu d’ingénieurs environnement ou d’écologues dans les services « Planète » des grands journaux. C’est d’ailleurs l’un des grands défis du journalisme : traiter de sujets dont on n’est pas expert. Le problème, c’est qu’en matière d’écologie, cela peut vite s’avérer extrêmement problématique. Car comme tout sujet scientifique, si l’on commence à mélanger les choses, on dit rapidement n’importe quoi. Ainsi, on a vu fleurir les articles dénonçant « Ces 15 cargos qui polluent plus que des millions de voitures », « L’élevage qui pollue plus que toute l’industrie des transports » ou encore « L’industrie du textile : deuxième industrie la plus polluante du monde ». Trois énoncés entièrement faux, ou totalement biaisés, fondés sur des études (ou pire, des rumeurs) mal comprises ou mal construites. Résultat, il y a aujourd’hui un certain nombre d’idées reçues sur l’écologie qui circulent (et sont reprises par les citoyens qui s’informent via les journaux) à cause d’un traitement médiatique ambivalent du sujet…
Et c’est un vrai problème, car en matière d’écologie, si le traitement journalistique n’est pas exhaustif, cela veut dire que l’information et donc la sensibilisation des citoyens est au mieux partielle au pire fausse. On ne peut pas sensibiliser ou informer une population sur un enjeu aussi important que l’écologie sans être particulièrement sûr de ce que l’on dit et de la véracité des faits que l’on rapporte. Pour l’instant, ce n’est pas vraiment le cas du traitement médiatique de l’écologie.
Les choix douteux des sources journalistiques sur l’écologie
L’outil du journalisme pour palier ce « manque » d’expertise, c’est bien évidemment les sources. Il y a les études, bien sûr, mais aussi les « experts ». On va chercher une étude à analyser, un expert à interviewer et les enseignements de tout ça constitueront le socle de l’argumentaire d’un article ou d’un reportage.
Prendre le temps de comprendre les études liées à l’écologie
Sur les études, malheureusement le problème de la formation se pose encore : comment lire une analyse de cycle de vie quand on a pas eu de formation sur le sujet ? Comment interpréter les résultats d’une suite statistique dans un rapport de climatologie si l’on ne connait ni les méthodes ni les concepts ? Le résultat, c’est que bien souvent, le traitement journalistique d’une étude se contentera d’en rapporter l' »abstract », sans autre forme de critique ou de mise en perspective. Ce n’est pas forcément grave lorsqu’il s’agit d’études sérieuses, revues par leurs pairs. Bien sûr, il serait toujours plus intéressant et plus complet de faire référence à un corpus d’études récentes, à des méta-analyses, de pondérer le propos en citant d’autres études pertinentes. Par exemple, ici sur France Inter, sur le coût des énergies bas carbone, l’auteur choisit de citer uniquement le rapport de la cour des Comptes sur les surcoûts du nucléaire, sans citer le rapport du même organisme qui analyse le surcoût des énergies renouvelables. Le traitement est donc partiel et la conclusion de l’article l’est tout autant. Ensuite, encore faut-il citer ces études correctement, c’est-à-dire sans déformer les propos des scientifiques. Et c’est malheureusement ce qui arrive souvent. Par exemple, une grande majorité de médias (comme ici dans l’Obs, ou ici dans le Parisien) ont récemment titré que le bio « réduit de 25% le risque de cancers ». Bien entendu, ce n’est pas ce que dit l’étude mais difficile de le savoir en ne lisant que la dépêche…
Citer des études peut aussi être très problématique lorsqu’il s’agit d’études, rapports ou sources qui n’ont pas été validés en peer-review, ne respectent pas les critères de la méthode scientifiques, ou sont en décalage complet avec le reste du consensus scientifique sur un sujet donné. Or, malheureusement, de nombreuses études relatives à l’écologie (souvent menées par des personnes qui sont plus militantes que scientifiques), incapables de passer les épreuves de la critique scientifiques parviennent malgré tout à se retrouver dans l’arène médiatique, longuement commentées alors qu’elles sont scientifiquement mauvaises. Cas d’école : les études menées par Gilles-Eric Seralini sur les OGM, largement commentées dans les médias alors même qu’elles vont dans le sens inverse du consensus scientifique et ont été suspectées de « fraude scientifique ».
Où sont les vrais spécialistes de l’écologie ?
Même problème lorsque l’on regarde les experts cités et utilisés comme sources dans la littérature journalistique traitant d’écologie. Bien souvent, quand on regarde un peu attentivement le domaine d’expertise des personnes interrogées sur les sujets écologiques, ça ne colle pas. L’exemple est criant sur le thème de la voiture électrique, qui fait beaucoup débat ces dernières années : dans Le Monde sur l’impact écologique de la voiture électrique on interviewe deux économistes (Stefan Ambec et Claude Crampes). Pourquoi deux économistes pour parler d’évaluation environnementale (très loin de leur domaine d’étude), alors qu’il existe des dizaines de chercheurs spécialisés sur l’évaluation environnementale à l’ADEME, dans des cabinets spécialisés ou dans des associations d’ingénieurs comme le Shift Project ? Ici, sur France Info, on donne le mot de la fin, encore, à un économiste (Yannick Perez), pour donner son avis éclairé sur l’impact environnemental du véhicule électrique. De la même façon, difficile de trouver un article sur la voiture électrique qui ne cite pas Stéphane Lhomme, professeur des écoles et militant écologiste, dont la compétence et la légitimité sur les sujets d’ingénierie écologique peut sans problème être mise en doute (exemple ici dans Le Monde ou ici dans Libération). Bilan, beaucoup de ces articles donnent une vision négative de la voiture électrique sur le plan écologique, alors même que le consensus scientifique, des dizaines d’études à l’appuis, menées par de vrais experts du sujet, dit exactement l’inverse : la voiture électrique pollue beaucoup moins que la voiture diesel ou essence. Il y a aussi l’effet Larsen : des journalistes qui invitent en tant qu’experts d’autres journalistes, pourtant pas experts du sujet, ou relaient leurs propos de manière partielle et / ou déformée, sans jamais se référer au corpus d’études scientifiques qui pourtant fleurit sur le sujet.
Sur la transition énergétique, c’est la même chose : beaucoup de journalistes semblent ne plus savoir en parler autrement qu’en donnant la parole à des ONG militantes, dont la compétence (ou les méthodologies) sont parfois douteuses. Dernier exemple en date : le récent classement des fournisseurs d’énergie publié par Greenpeace, diffusé par tous les médias sans autre forme de fact-checking comme LA référence pour trouver son fournisseur en soutenant la transition énergétique. Pourtant, l’ensemble de la méthodologie de ce classement va à l’encontre des données scientifiques actuelles sur le sujet énergétique, comme l’explique très bien le YouTubeur Le Réveilleur dans la vidéo qu’il consacre à ce classement.
D’une certaine façon, il semble que le traitement journalistique de l’écologie ressemble de plus en plus à une course à la facilité et à l’audience. On déforme les résultats d’une étude pour rendre l’article plus attirant, on invite les « bons clients », ceux qui parlent bien et prennent des positions radicales plutôt que les experts les plus compétents du sujet (dont la position sans doute plus mesurée ferait moins de buzz).
Écologie et journalisme : où est la ligne éditoriale ?
Le dernier grand problème du journalisme sur les questions d’écologie est un problème de ligne éditoriale, de cohérence. Comment peut-on, le même jour, dans le même journal, titrer deux articles défendant deux positions opposées sur un sujet comme l’écologie ? En matière d’écologie, on parle le plus souvent de science, de faits concrets, mesurables : les émissions de CO2 d’un cycle de vie, la quantité de déchets produite, les risques sanitaires. Ces faits sont mesurés par des scientifiques, via des études et des méthodes précises. Ainsi, quand on parle de l’impact écologique de la voiture électrique, de celui des OMG, de l’impact sanitaire du glyphosate, des facteurs de charge des énergies renouvelables, des émissions ou du coût du nucléaire ou de tout autre sujet de ce type, on n’est pas dans le domaine de l’opinion où l’on peut être « pour ou contre ». Bien-sûr, il peut y avoir controverse et des divergences d’interprétation des résultats, tous les scientifiques n’étant pas exactement d’accord sur les conclusions. Mais le rôle du journaliste sur ces sujets ne devrait pas être de donner la parole tantôt à l’un, qui a une opinion sur ce sujet, tantôt à l’autre, qui en a une autre, dans une tentative un peu illusoire de créer une égalité des temps de paroles, brouillant définitivement les informations. Comme le dit l’adage, si une source dit qu’il pleut et que d’autres disent qu’il fait beau, le rôle du journaliste n’est pas de donner la parole à chacun mais de regarder par la fenêtre.
Sur l’écologie, le rôle du journaliste devrait être, de la même façon, de parvenir à faire la synthèse des connaissances scientifiques pour en dégager un consensus critique. Il existe des autorités scientifiques de référence, des centaines d’études, des méta-analyses, qui font ce travail et il suffit de s’y référer.
Cela implique de prendre du recul sur les informations que l’on reçoit en tant qu’enquêteur, de les remettre dans leur contexte. Non, UNE étude ne reflète pas forcément une vérité et il est important de le rappeler et de la remettre dans le contexte scientifique global. Non, l’avis d’UN « expert » ne constitue pas forcément non plus une vérité diffusable, d’autant plus lorsque l’expert est plus militant que scientifique, d’autant plus lorsque cet avis va à l’encontre de celui de la majorité des autorités compétentes sur un sujet. Diffuser ces informations contribue à alimenter le flou qui entoure les sujets écologiques. C’est d’ailleurs exactement par ce mécanisme que les industries du tabac ont construit leur « stratégie du doute ». Paradoxalement, en voulant donner la parole à tous sur ces sujets de société, une bonne partie des journalistes de tous bords contribuent à faire émerger des contre-vérités et un contexte de doute permanent dans lequel le citoyen ne sait plus où est la vérité. C’est aussi ces stratégies qui permettent et renforcent les biais de confirmation. Et c’est très problématique quand on parle d’écologie, où l’implication de chacun est nécessaire pour faire avancer les enjeux.
Quand on parle d’écologie, il faut remettre au centre du travail journalistique la notion de ligne et de cohérence éditoriale. Réhabiliter des principes simples : toujours citer des sources scientifiques crédibles (les sources brutes, pas les citations de citations issues du livre d’un confrère), confronter les sources dans leur pluralité, remettre les informations en perspective et dans leur contexte global, diffuser un message cohérent avec l’état de la connaissance scientifique, rectifier ses approximations… Pour cela, il faut un vrai travail holiste, global, prendre du recul. Evidemment, dans les grandes rédactions où les contraintes de temps et de productivité sont légion, ce n’est pas évident, mais c’est nécessaire si l’on veut éviter les écueils actuels d’une écologie à laquelle plus personne ne comprend rien. Il faut rétablir les vérités et réaffirmer leur complexité, ne pas se contenter des affirmations simplistes de tel ou tel expert qui souhaite nager à contre-courant ou jouer les lanceurs d’alerte. C’est un vrai travail d’investigation, au sens strict. Et même si cette investigation est celle des études, des chiffres et des rapports plutôt que celle des terrains et des interviews, c’est une investigation ô combien nécessaire et noble.
On ne prétendra pas avoir ici toutes les clefs pour effectuer ce travail de façon parfaite : c’est une oeuvre d’amélioration et de remise en question permanente. En près de 4 ans à la rédaction d’un média spécialisé sur ces sujets, s’il y a une chose que l’on apprend c’est que l’on a jamais fini d’apprendre et de se remettre en cause. On peut trouver de l’inspiration chez certains médias qui font un excellent travail : {Sciences²}, le blog du journaliste Sylvestre Huet, ou encore la chaîne YouTube Le Réveilleur. Mais nous devons surtout, individuellement et collectivement, commencer enfin à être sérieux dans notre traitement de l’écologie comme sujet journalistique.