Que sont les NBT, ces “nouveaux OGM” ? En quoi sont-ils différents des “anciens OGM” ? Présentent-ils les mêmes risques ? Faut-il les autoriser ? Tentons de répondre à ces questions. 

Interdits depuis 2018, les “nouveaux OGM” ou NBT pour New breeding techniques, reviennent sur le devant de la scène. Ces 26 et 27 mai 2021, les ministres de l’Agriculture des pays membres de l’Union Européenne se réunissent pour discuter de l’assouplissement éventuel de cette interdiction. Ces nouveaux OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) sont présentés comme beaucoup plus sûrs et écologiques par leurs défenseurs. Pendant ce temps-là, des associations et certains scientifiques mettent en garde contre des organismes qui présenteraient les mêmes dangers que leurs homologues de première génération. Les nouveaux OGM ont, en tout cas, rouvert le débat sur les impacts sanitaires, environnementaux, sociaux et éthiques des organismes modifiés génétiquement par l’Homme. Que sont donc ces NBT ? En quoi sont-ils différents des “anciens OGM” ? Présentent-ils les mêmes risques sanitaires et environnementaux ? Faut-il faire évoluer la législation ? Tentons de répondre à ces questions. 

Les “nouveaux OGM”, qu’est-ce que c’est ?

Les “anciens OGM”, comme les “nouveaux”, ont le même but : modifier le génome d’un organisme pour donner ou enlever à cet organisme une caractéristique particulière. C’est seulement la manière de le faire qui change entre les deux. Le génome d’un organisme c’est ce qui contient son information génétique. Les gènes -des petites portions du génome- décident comment telle ou telle caractéristique va s’exprimer. On dit qu’ils codent pour une caractéristique. Si on modifie les gènes, si on change ce code, on change les caractéristiques de l’organisme. Quel intérêt ? Pour l’agriculture, par exemple, cela permet de développer un blé résistant à un champignon pathogène ou un maïs tolérant à un herbicide. Ces techniques sont aussi utilisées en médecine. 

Quelle est la différence entre les anciens et les nouveaux OGM ? 

Les génomes des “anciens OGM” sont modifiés par l’incorporation d’un gène étranger, souvent issu d’une autre espèce. Au contraire, les génomes des “nouveaux OGM” ne contiennent pas de gène étranger. Deux des techniques principales qui permettent de modifier le génome sans apport de gène étranger sont la mutagénèse et CRISPR Cas9.

La première consiste à provoquer artificiellement l’apparition de mutations aléatoires dans le génome. Les mutations sont des petites modifications dans l’information génétique. Ces modifications conduisent parfois à l’apparition de nouvelles caractéristiques. Sans intervention, elles apparaissent de temps en temps dans le génome d’une cellule. En utilisant des agents mutagènes, on peut favoriser grandement leur apparition. Ces mutations sont aléatoires, elles apparaissent n’importe où dans le génome. Il faut ensuite sélectionnées les mutations intéressantes, celles qui confèrent à l’organisme une caractéristique utile.

La technique de CRISPR Cas9, aussi appelée “ciseaux moléculaires” permet de couper un bout du génome à l’aide d’une protéine spéciale. Cela permet d’enlever un gène et donc de supprimer une caractéristique. Le plus souvent, cette technique est utilisée pour modifier un gène en remplaçant une partie par un autre code. Il y a, en effet, une étape où l’on introduit un ADN étranger dans la cellule comme pour les « anciens OGMs », simplement ensuite on peut le retirer, ou bien attendre qu’il disparaisse.

Ces nouveaux OGM sont-ils dangereux ?

Les NBT présentent les mêmes risques potentiels que les OGM conventionnels. 

Les risques environnementaux

Les risques environnementaux liés aux OGM en général sont d’une part la réduction de la biodiversité et d’autre part, l’apparition de plantes adventices (« mauvaises herbes ») résistantes aux herbicides censés les contenir. Ces plantes résistantes peuvent apparaitre par mutation (plus on utilise d’herbicide, plus on a de chance de sélectionner la mutation) ou par croisement si les plantes cultivées peuvent se croiser avec des plantes sauvages qui leur sont apparentées. Les plantes OGM cultivées peuvent, en effet, transmettre leur pollen à des plantes non OGM sauvages qui leur sont apparentées ou à des plantes d’autres variétés non OGM.

En 2018, dans son 11ème avis, le Comité consultatif commun de l’INRAE, du Cirad et de l’Ifremer a rendu trois conclusions. Premièrement, l’utilisation d’OGM peut avoir des effets repérables sur l’environnement. Des transfert de gènes ont été démontrés entre variétés OGM et non OGM. Deuxièmement, il n’est cependant pas possible d’établir de relation de cause à effet entre l’utilisation d’OGM et l’apparition de problèmes environnementaux ou sanitaires. Troisièmement, cela ne signifie pourtant pas que ces relations n’existent pas. Il reste beaucoup d’incertitudes et davantage de recherches sont nécessaires. 

Les risques sociaux et économiques

Les risques sociaux et économiques provenant de l’utilisation d’OGM sont surtout liés au modèle d’agriculture qui va avec. Les OGM sont généralement cultivés en monoculture : des grands champs d’une seule variété de plante. La culture d’OGM va souvent de pair avec l’usage massif d’herbicides dans le cas de variété résistant à cet herbicide : l’herbicide tue toutes les plantes sauf la plante ciblée. On se retrouve donc avec de grandes surfaces de plantes contenant le même gène, traitées avec le même produit phytosanitaire. Tout cela contribue à la réduction de la biodiversité dans les champs ce qui rend les systèmes agricoles plus vulnérables à l’arrivée d’une maladie. 

La culture des OGM pose aussi la question de la propriété du vivant. Souvent, les semences OGM font l’objet d’un brevet ou d’un Certificat d’Obtention Végétale (COV). Cela fait que les semences OGM brevetées ne peuvent pas être reproduites à la ferme par les agriculteurs. Elles ne peuvent pas non plus être réutilisées en sélection par des petites entreprises semencières qui n’auraient pas les moyens de payer les redevance. Il y a une concentration du pouvoir économique entre une poignée d’entreprises agro-industrielles. En effet, cinq entreprises possèdent 56% des semences mondiales. 

Les risques sanitaires

Plusieurs craintes animent depuis longtemps le débat sur les risques sanitaires des OGM. Il est par exemple théoriquement possible qu’un changement dans le génome survienne en dehors de la zone ciblée. Il y aurait un risque que des aliments modifiés génétiquement soient allergènes, provoquent de l’inflammation, voire augmente le risque de certains cancers pour celui qui les consomme.

Mais pour l’instant, ces risques n’ont pas été établis clairement. En 2018, dans le cadre d’une étude européenne, des chercheurs ont suivi des rats pendant deux ans. A certains, ils ont administré du maïs transgénique (ancienne génération) traité avec du Roundup (un herbicide), à d’autres du maïs transgénique non traité et à d’autres du maïs non transgénique. A la fin, ils n’ont pas observé d’effet sanitaire néfaste sur les rats consommant du maïs transgénique traité ou non. Plusieurs méta-analyses (ici par exemple) ont étudié les risques sanitaires induits par les OGM, et arrivent à la conclusion qu’ils ne semblent pas poser de risque sanitaire significatif pour l’Homme.

Toutefois, quelques scientifiques ont soulevé des craintes, notamment concernant les OGM tolérants aux herbicides. Certaines études ont montré qu’en pratique, l’usage de plantes OGM tolérantes aux herbicides était associé par effet rebond (dans certaines cultures) à une hausse de l’usage d’herbicides. À la suite de ces constats, d’autres études ont ainsi souligné les incertitudes concernant des taux potentiellement élevés de résidus de pesticides, considérés probablement cancérigène pour l’Homme, dans les OGM résistants.

D’autre part, comme les OGM regroupent des variétés très différentes d’aliments et de modifications génétiques, il est plus difficile d’étudier de façon exhaustive leurs effets sanitaires, sachant qu’il n’existe pas aujourd’hui d’instance scientifique internationale chargée de faire l’évaluation de ces effets. Si les OGM semblent donc aujourd’hui relativement peu dangereux sur le plan sanitaire, le débat n’est donc pas tout à fait clos, notamment sur la question des résidus de produits phytosanitaires qu’ils contiennent.

L’évolution de la réglementation

Alors, que dit la réglementation sur ce sujet ? En 2001, l’Union Européenne a adopté une directive qui définit un organisme génétiquement modifié et qui réglemente sa dissémination dans l’environnement. Elle prévoit une méthode commune d’évaluation des risques, avant toute mise sur le marché. Elle rend obligatoire la consultation du public et l’étiquetage des OGM. La directive définit un Organisme Génétiquement Modifié comme :

Un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle

(Art. 2)

Tout le débat, aujourd’hui, se concentre sur cette définition. Les agro-industriels et certains chercheurs voudraient en exclure les NBT afin que les réglementations concernant leur mise sur le marché ne soient pas applicables. En face, les ONG et d’autres chercheurs arguent que les nouveaux OGM, présentant les mêmes risques que les anciens, devraient être réglementés au même titre. En 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne avait décidé que les NBT relevaient bien de cette directive et devaient être réglementés. Cette décision est en ce moment remise en question. Dans un rapport, la Commission européenne ouvre la voie à une exemption des nouveaux OGM de la réglementation actuelle. Les ministres européens de l’Agriculture se réunissent ces mercredi 26 et jeudi 27 mai pour en débattre. 

Le principe de précaution en attendant un consensus scientifique clair

Finalement, les NBT présentent probablement les mêmes risques que les OGM conventionnels. L’innocuité des OGM en général ne fait pas encore l’objet d’un consensus scientifique. Il semblerait, donc, qu’il faille appliquer aux nouveaux OGM le même principe de précaution que l’on applique au anciens OGM. Beaucoup de recherches sont, effectivement, encore nécessaires sur leurs possibles risques pour la santé humaine et celle de l’environnement.

De plus, une partie des agriculteurs, des petites entreprises semencières et des chercheurs s’inquiète de la logique d’appropriation du vivant qui va de pair avec les OGM. Les consommateurs français, eux, demandent majoritairement à ce que les produits modifiés génétiquement soient étiquetés. En attendant un consensus scientifique clair, il y a là un vrai enjeu politique et sanitaire de précaution et d’information. D’autant plus que dans un rapport de 2011, le Centre Commun de Recherches de la Commission Européenne démontre qu’il est rarement possible de différencier un organisme modifié par l’Homme d’un autre qui ne l’est pas. 

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