L’excision vient-elle de la religion ? De la tradition ? Et en quoi s’insère-t-elle dans un rapport de domination de l’homme envers la femme ? Tentons de comprendre l’origine de cette pratique.

Qu’est-ce que l’excision ?

Les mutilations génitales, appelées aussi mutilations sexuelles féminines, désignent « toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme et/ou toute autre lésion des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non thérapeutiques » selon la définition de l’OMS. 

L’excision dans le monde

En 2016, selon l’UNICEF, au moins 200 millions de femmes ont subi une forme de mutilation sexuelle dans le monde. On estime que 3 millions de filles, pour la majorité de moins de 15 ans, sont soumises à la pratique chaque année.

Elles se pratiquent essentiellement dans les pays d’Afrique (1 femme africaine sur 3 est concernée), mais également dans quelques régions du Proche-Orient et de l’Asie du Sud-Est (Irak, Yémen, Indonésie et Malaisie).

Des conséquences délétères pour les femmes

Ses effets sont délétères sur la santé des femmes qui en sont victimes : l’acte peut entraîner de sévères complications telles que des hémorragies, des infections voire la mort. Il peut mener à des difficultés lors des relations sexuelles ou encore de l’accouchement et être une réelle source de traumatisme et de souffrance.

La pratique des mutilations génitales féminines (MGF) est une atteinte au corps des femmes, à leurs droits et peut être considérée comme une forme de discrimination sexuelle.

Comment cette pratique est-elle justifiée au sein des communautés qui la pratiquent ? Tentons d’en comprendre les soubassements socio-culturels afin de comprendre pourquoi ces formes de violence se perpétuent encore aujourd’hui.

Islam, religion : d’où vient l’excision ?  

Bien qu’aucun livre religieux ne présente l’excision comme une prescription, on pense souvent que cette pratique est liée à la religion. Et si la pratique existe au sein de communautés chrétiennes (coptes, catholiques et protestantes), juives ou encore animistes, c’est particulièrement l’Islam qui est visé lorsque l’on parle de mutilations génitales féminines.

Pourtant, même si l’origine de la pratique n’est pas connue précisément, les historiens spécialistes de la question s’accordent à dire que la pratique des MGF pourrait remonter à l’Egypte antique (en −3150), et serait donc bien antérieure à la naissance et à l’expansion de l’islam (au VIIe siècle de l’ère chrétienne), et plus globalement avant l’apparition des grandes religions monothéistes.

D’après Fran Hosken, l’infibulation, forme la plus extrême de MGF qui consiste en l’ablation de la totalité ou d’une partie de l’appareil génital externe et à la suture ou au rétrécissement de l’ouverture vaginale aurait été pratiquée dans la Rome antique.

Pratiquée sur les femmes esclaves, son objectif aurait été de les empêcher d’avoir des rapports sexuels pour éviter une grossesse, la maternité les rendant inaptes au travail. Cette origine reste cependant incertaine.

En Occident, la justification médicale a aussi été avancée pour justifier cette pratique.

La médicalisation répressive de la sexualité tout au long du XIXe siècle a conduit de nombreuses femmes à subir des clitoridectomies (ablation partielle ou totale du clitoris), notamment pour lutter contre la masturbation féminine considérée comme un manque de tempérance sexuelle.

L’excision, un rite de passage au même titre que la circoncision masculine ?

Jusque dans les années 70, l’excision est souvent comparée à la circoncision masculine car considérée par certains comme un marqueur de genre, de classe d’âge voire d’appartenance ethnique.

Elle est ainsi désignée comme un rite dont l’aspect mythique qui en découle légitime la pratique. Ce rite de passage se décompose en 3 étapes décrites par l’ethnologue Van Gennep en 1909 :

  • la séparation de l’individu et de son groupe
  • sa mise en marge pour pratiquer l’acte
  • sa réintégration

Néanmoins, comme l’explique Nicole Sindzingre, il y a une asymétrie de fait entre les cérémonies de circoncision masculine et d’excision.

La première est davantage présentée comme un rituel collectif, valorisé socialement. A l’inverse, l’excision consiste en une cérémonie plus courte dont la structure cérémoniale est plus pauvre et les éléments symboliques moins fréquents.

Surtout, l’excision représente sur le plan médical une pratique autrement plus violente que la circoncision. En termes de santé ou d’impact sur la vie sexuelle, les deux ne se posent pas sur le même plan.

Les mutilations génitales féminines : reflet de rapports sociaux inégaux entre les sexes

La pratique des MGF se détache de la simple dimension rituelle pour s’inscrire dans une dimension plus large de représentation de la féminité, de la femme et de rapports sociaux inégaux entre les sexes.

Contrôler le corps, le plaisir et la liberté sexuelle des femmes

Le contrôle de ces trois éléments est une composante essentielle dans la pratique de l’excision, permettant une nouvelle fois de la différencier de la circoncision masculine.

  • Une atteinte à l’intégrité corporelle

Les MGF étant subdivisées par l’OMS en différentes catégories allant de 1 à 4 selon le type d’opération allant uniquement de l’ablation du capuchon clitoridien jusqu’à l’ablation et l’accolement des grandes lèvres. D’un point de vue anatomique, certains types d’opérations exercées sur les femmes équivaudraient chez l’homme à ôter la totalité de l’appareil génital.

  • Contrôle le plaisir des femmes

Retirer partiellement ou totalement le clitoris de la femme revient à volontairement contrôler sa capacité de jouissance, et donc de plaisir sexuel. Alors même qu’il n’est pas clair que la circoncision ait un impact majeur (positif ou négatif) sur la satisfaction sexuelle de l’homme, l’excision limite fortement celle de la femme.

  • Contrôler la liberté sexuelle des femmes

Enfin, les MGF sont également perçues dans les communautés qui les pratiquent comme un moyen de « purifier » les femmes de la tentation sexuelle. C’est l’idée selon laquelle une femme excisée aurait moins de « pulsions sexuelles » et serait ainsi une épouse plus fidèle par la suite.

L’excision comme réponse à une certaine représentation de la femme et de la féminité

La perpétuation de la pratique des mutilations génitales féminines tient aussi de la conception de la femme dans les communautés qui la pratiquent. Cette forme de marquage sexuel vient traduire un marquage de rôle social.

D’après Françoise Couchard dans L’excision, le clitoris représente la « partie masculine » dont est pourvu le sexe féminin à la naissance dans de nombreuses sociétés. Deux raisons sont alors avancées pour justifier la nécessité de son ablation.

La première consiste à dire que l’ablation du clitoris permet d’inscrire le corps des femmes dans leur entière féminité, dans le sens où elles sont uniquement reléguées à leur capacité de reproduction.

La seconde tient à la logique de domination. En effet, le clitoris est, d’un point de vue anatomique, l’équivalent de la verge. Ainsi, en supprimant partiellement ou totalement le clitoris, on replace la femme dans une situation de subordination à l’ordre masculin. Dans cette logique, l’excision cherche à dé-viriliser la femme pour réduire son pouvoir.

Les MGF apparaissent alors comme un moyen d’inscrire ces rapports sociaux inégalitaires.

Le poids de l’honneur familal et des attentes sociales

Rarement considérée comme dangereuse ou comme une violation des droits humains dans les communautés qui la pratiquent, l’excision est au contraire perçue par les parents comme un moyen d’offrir à leur fille le meilleur futur possible.

Par exemple, dans ces communautés, l’excision est généralement une condition nécessaire au mariage puis à la procréation.

Par ailleurs, le sentiment d’obligation sociale y est très fort permettant difficilement aux femmes et aux filles de renoncer à la pratique. Même lorsqu’elles sont conscientes des conséquences, les familles préfèrent souvent perpétuer la pratique pour ne pas subir jugement moraux et sanctions sociales.

En effet, si la fille non excisée peut être exclue socialement, le refus de la famille à se conformer à la pratique peut affecter son statut social, de la même manière que la conformité à cette pratique attire l’approbation de la société, suscite le respect et l’admiration et maintient le statut social au sein de la communauté.

Comprendre les dynamiques de perpétuation de l’excision

La pratique de l’excision, nocive pour la santé et la vie sexuelle des femmes semble alors s’insérer, non pas dans un cadre strictement religieux ou traditionnel, mais dans une structure de rapports de domination masculine. Les mutilation génitales féminines relèvent d’un cérémonial particulier et d’une logique de domination entre les sexes, qui les distinguent par ailleurs de la circoncision masculine.

En effet, si l’on considère la pratique comme un rite de passage pour les jeunes femmes qui la subisse, c’est avant tout dans le sens où il légitime la différence entre les sexes et assoit la domination masculine sur le corps et la liberté sexuelle des femmes, perpétuant ainsi un certain nombre de normes sociales patriarcales.

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