Comment mesurer la circularité dans son entreprise et sur sa chaîne de valeur ? Et comment mesurer son impact environnemental, social et économique ? L’exercice est loin d’être aisé. Et pourtant, alors que de plus en plus de dirigeants mettent la circularité au centre de leurs priorités, ce suivi est essentiel. A la fois pour développer les projets d’économie circulaire au sein de l’entreprises et plus largement, pour faire passer ce modèle à l’échelle. Pendant deux ans, 16 entreprises ont donc planché sur des indicateurs au sein de la Fabrique Mesure de la Circularité. On fait le point sur les enseignements avec Jules Coignard, co-fondateur de Circul’R, à l’origine du projet.
Youmatter. Vous venez de publier une étude qui recense une trentaine d’indicateurs pour mieux mesurer l’intégration de l’économie circulaire dans le business model des entreprises et en évaluer les impacts. Pourquoi ?
Jules Coignard. Nous avons créé ce groupe de travail car la mesure est remontée comme l’une des priorités principales des entreprises avec lesquelles nous travaillons au sein de Circul’R, dans un questionnaire que nous leur avions adressé en 2022. En effet, de plus en plus d’entreprises, notamment dans les grands groupes, sont arrivées à une certaine maturité sur l’économie circulaire. Mais beaucoup ont du mal, même en interne, à expliquer où elles en sont vraiment. Par ailleurs, les preuves quantifiées des impacts positifs en termes de durabilité sont souvent limitées ou reposent sur des analyses théoriques plutôt que des preuves empiriques.
Le travail que nous avons mené sur la mesure a une forte dimension collective. Celle-ci est essentielle car l’objectif est que l’on puisse avoir des discussions au sein d’un secteur, au sein de sa chaîne de valeur, de son écosystème. Il faut donc une certaine forme d’harmonisation sur la manière de mesurer, que cela puisse s’appliquer au plus grand nombre de secteurs et de taille d’entreprise notamment.
En quoi cette mesure est-elle importante pour les entreprises ?
Nous pensons que la mesure de la circularité va permettre d’accélérer le déploiement du modèle, à la fois au sein de l’entreprise et plus largement à l’échelle de l’économie. Il y a deux types de mesures distinctes, que nous avons adressées avec deux groupes de travail différents : d’une part, la mesure de la part de circularité dans le modèle de l’entreprise et d’autre part, ses impacts environnementaux, économiques et sociaux. Car l’économie circulaire, ce n’est pas une fin en soi mais bien un moyen de réduire ses émissions de CO2, son empreinte eau, la pression sur les ressources naturelles…
Ce travail sur les indicateurs va permettre d’élaborer un socle commun aux entreprises pour les aider dans leur trajectoire d’amélioration continue. C’est aussi un outil de dialogue avec leurs fournisseurs, leurs clients ou leurs investisseurs. Que ce soit en interne ou à l’externe, pour obtenir des budgets et faire grandir les projets, on demande aux équipes quel va être le ROI. C’est aussi une demande expresse de la part des banques et des assureurs pour mieux flécher leurs investissements. Aujourd’hui, ceux-ci ont du mal à évaluer les modèles d’économie circulaire car leur modèle se base sur l’appréciation des risques et donc leur historique. Mais concernant la circularité, souvent il n’y a rien…
Nous avons notamment travaillé sur ce sujet avec la Banque de développement industriel de Turquie (la TSKB), et cela a permis de débloquer une ligne de 80 millions d’euros en Turquie pour financer des projets d’économie circulaire ! Plus récemment, nous avons lancé une coalition d’entreprises du secteur financier (banques, assurances) pour leur permettre d’accélérer en la matière. Pour moi, ce sont des acteurs très importants car ils peuvent jouer un rôle de facilitateur et d’accélérateur de la transition d’une l’économie linéaire, qu’ils financent encore essentiellement, à une économie circulaire.
Si le groupe a pris près de deux ans pour sélectionner une trentaine d’indicateurs, c’est que la tâche ne devait pas être facile ! Quelle est la difficulté de cette mesure ?
D’abord, il y a une première complexité, celle de la définition et du périmètre de la circularité. Pour une entreprise cela va être l’intégration de matières recyclées dans ses produits, pour une autre la réparabilité… Aujourd’hui, cela s’est clarifié avec les avis de l’Ademe, une norme ISO ou encore la réglementation européenne (taxonomie verte, CSRD…) mais ce n’était pas le cas quand nous avons commencé les travaux.
Il y a aussi la complexité de la circularité elle-même et de la façon dont elle crée de la valeur. Enfin, il y a la complexité à collecter la donnée, sur l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’amont à la fin de vie. A cet égard, la technologie numérique ne fera pas tout mais elle peut aider. Enfin, il y a toujours cette difficulté à évaluer l’impact sur le court terme, qui est l’horizon de temps financier des entreprises, quand les bénéfices de l’économie circulaire vont davantage se matérialiser sur le moyen et long terme.
La CSRD peut-elle aider les entreprises dans cette voie ?
Oui. Déjà comme toute réglementation, on voit qu’elle permet clairement d’accélérer la prise en compte du sujet par les entreprises (ex : loi AGEC) et c’est pourquoi nous développons de plus en plus de plaidoyer en ce sens. Concernant la CSRD spécifiquement, il me semble qu’elle est en train de faire passer un palier aux entreprises car cela les conduit à se poser des questions plus profondes, par exemple sur la criticité des matériaux. Un sujet qu’elles n’ont pas encore assez traité alors que sur le cuivre ou d’autres minerais utilisés notamment dans le cadre de l’électrification, il va y avoir de grosses tensions dans les années à venir…
Pour approfondir : Quel bilan pour la loi AGEC ? / Qu’est-ce que la CSRD ?
Comment avez-vous procédé pour définir les indicateurs les plus pertinents sur l’économie circulaire et en réduire le nombre au maximum ?
Il y a encore une sorte de vœu pieux d’avoir un indicateur unique, à la manière des émissions de CO2 ou du PIB, mais je pense qu’il faut en faire le deuil car les différentes tentatives ont montré que cela ne fonctionne pas. Notre but n’était pas non plus de créer de nouveaux indicateurs mais bien de nous appuyer sur l’existant pour en extraire les indicateurs les plus pertinents. Nous en avons analysé entre 150 et 200. Au départ, nous voulions en sélectionner 10 pour chaque objectif. Bon…nous avons un peu dépassé ! Nous en avons sélectionné 12 pour mesurer la circularité et 21 sur l’impact (voir tableau).
Ceux-ci ont bien sûr leurs limites mais ils permettent d’avoir une vision assez exhaustive de la situation et peuvent se décliner sur quasiment tous les types de structures -, notamment chez les PME – et de secteurs. Toutes les entreprises ne suivront pas l’ensemble de ces indicateurs et elles peuvent aussi les prioriser en fonction de la matérialité de leurs impacts et des objectifs recherchés (localisation, marge brute, économie de ressources…). Mais si elles veulent avoir une analyse complète, on pense qu’il faut utiliser l’ensemble des 21 indicateurs.
La prochaine étape pour nous est d’ailleurs de tester ces indicateurs sur des cas pratiques qui nous semblent pertinents en termes de business model. Nous devrions avoir les premiers résultats d’ici un an.
Pour en savoir plus lire le rapport Mesurer ses progrès vers une économie circulaire et évaluer la pertinence des modèles circulaires
Illustration : Canva