La semaine de 4 jours, tout le monde en parle. Les expérimentations se multiplient dans les entreprises de toutes tailles, les associations, l’ESS, dans les collectivités…et bientôt dans les ministères à la demande du Premier ministre. Mais derrière ce dispositif générique, la mise en œuvre varie d’une organisation à l’autre. Voici donc quelques éléments à prendre en compte pour en faire un outil de votre transformation écologique et sociale.
1/ Bien définir le pourquoi du passage à la semaine de 4 jours
Prendre son temps avant de définir la prochaine répartition du temps de travail de vos salariés, c’est essentiel. Commencez par analyser le pourquoi de cette démarche pour votre entreprise ou votre organisation. Est-ce que l’objectif est de travailler sur l’attractivité, la fidélisation, des économies d’énergie ou de locaux ? Chez Carbo, une entreprise de logiciels dédiés au climat, la semaine de 4 jours est vue comme « un outil au service d’une société et d’un monde plus écologiste ». Celle-ci permet en effet à ses collaborateurs de « se réapproprier du temps pour une meilleure connexion à soi, aux autres et au vivant ». C’est aussi un alignement avec sa mission et ses « convictions écologiques, féministes et sociales », explique l’entreprise sur le site de Mouvement Impact France.
Dès la phase amont, il est aussi conseillé de prendre en compte « les exigences opérationnelles et les cycles de travail pour déterminer si une semaine de quatre jours est réalisable », souligne ainsi Krystel Didier, la responsable de programme RSE au CJD après une expérimentation de 18 mois menée par 8 entreprises adhérentes en région Occitanie. Estimez l’impact financier, y compris les économies potentielles en termes de coûts opérationnels et les implications pour les rémunérations et les avantages sociaux des collaborateurs, l’impact sur le temps de travail (ex. 35h, 32h ou autre).
2/ Associer les collaborateurs
« Mal préparée, une annonce peut avoir l’effet inverse de celui attendu sur l’enthousiasme des salariés. Et un manque de communication au fil de l’eau peut mettre à mal l’organisation du travail », précise Krystel Didier. En amont, s’il existe un CSE, celui-ci doit être consulté. Mais même si, juridiquement, il n’existe aucune obligation de consulter individuellement les collaborateurs, il est essentiel de recueillir les envies et freins éventuels des salariés. Cela peut-être déterminant pour savoir si l’ensemble de l’organisation souhaite intégrer la démarche ou s’il existe des dissensions.
Consultante et mère célibataire, Camille* n’a ainsi pas voulu rejoindre l’expérimentation de son entreprise qui souhaitait mettre en place la semaine de 4 jours sans réduire le temps de travail. « Impossible dans ce cas d’aller chercher mon fils à la sortie de l’école : je le verrai moins et je devrai payer une garde en plus ! », souligne-t-elle. Le cas peut aussi être délicat chez les aidants ou pour d’autres problématiques dont l’employeur n’a pas connaissance. C’est d’ailleurs l’une des alertes lancées par la CGT qui dénonce une volonté de certains employeurs, dont l’Etat, « d’intensifier le temps de travail » par la semaine de 4 jours. A l’Urssaf Picardie par exemple « le passage à 4 jours impliquait des journées de 9 heures de travail ». Résultat : seulement 3 agents sur 200 ont ainsi décidé de participer à l’expérience. D’autres au contraire, estiment que la semaine de 4 jours leur permet de profiter davantage de leur famille, de la nature…mais aussi de s’engager dans des associations ou la vie publique.
Si les dissensions sont trop fortes, il faut parfois savoir renoncer. Pour le consultant en innovation managériale Francis Boyer, la semaine de 4 jours n’a vraiment de sens que si elle est collective: « dans ce cas, cela peut être un vrai moteur de cohésion d’équipe. Dans le cas inverse, on risque d’augmenter encore l’individualisation du travail et de déstructurer l’organisation de l’entreprise », souligne l’auteur de « La semaine de 4 jours sans perte de salaires, ça marche » (éditions Eyrolles). Pour aider les collaborateurs à faire leur choix, le consultant préconise de bien soigner le « kick off » en les informant le plus possible sur les différentes modalités, les expériences déjà réalisées et leurs résultats.
3/ Définir les modalités de la semaine de 4 jours
Il existe autant de semaines de 4 jours que de revenus universels ! Le terme reste générique et recouvre des réalités très différentes. Voulez-vous réduire le temps de travail à 32 h ? Avec quel impact sur le salaire ? Voulez-vous à l’inverse répartir 35h ou 39 h sur 4 jours ? La mise en pratique sera très différente. Le gouvernement a fait son choix : « La semaine en 4 jours, c’est une option nouvelle donnée aux agents publics, qui leur permet d’arriver un peu plus tôt le matin, de partir un peu plus tard le soir, et de ne pas travailler un jour par semaine », soulignait le Premier ministre lors de la présentation du plan de transformation écologique de l’État.
Au tiers-lieu Le Bastion, les serveurs peuvent aussi faire le même nombre d’heures qu’auparavant mais sur 4 jours. Une cadence plus que rythmée qui est pourtant un vrai plus en termes d’attractivité, selon Julien Leclercq, le patron du lieu. « Les serveurs habitent parfois loin et cela leur permet d’optimiser leurs frais de transport mais aussi de réduire la fatigue liée au déplacement. Sans compter une meilleure récupération en étant off plus longtemps », assure-t-il. Chez Carbo ou chez Lita, en revanche, la semaine de 4 jours a entraîné une réduction du temps de travail : les salariés réalisent 32 heures effectives…payées 35 h. La plateforme d’investissement en ligne a opté pour continuité de service avec 80% des salariés de Lita off le vendredi, et 20% le mercredi. Chez Carbo, le choix du jour est laissé aux salariés.
Les syndicats sont très prudents et pour certains totalement opposés à une semaine de 4 jours sans réduction du temps de travail qui risquerait d’augmenter de fatigue professionnelle et d’augmenter les risques psycho-sociaux. « Quelles que soient les modalités, la semaine de 4 jours doit s’accompagner d’une réflexion organisationnelle et managériale pour être réussie du point de vue de l’entreprise et des collaborateurs », insiste Francis Boyer.
Pour en savoir + : Les enjeux de la réduction du temps de travail
4/ Miser sur l’expérimentation
Toutes les entreprises qui ont mis en place la démarche le soulignent, la phase d’expérimentation est clé au regard des bouleversements induits sur l’organisation. Elle permet aussi de réajuster les stratégies en fonction des résultats obtenus. Pour Carbo, l’un des facteurs clés de succès et d’appropriation de la démarche par les équipes est « le fameux ‘test & learn’, en particulier avec les prospects et les clients ». Comptez 6 mois à 1 an pour que l’expérimentation soit fiable.
Celle-ci doit notamment permettre d’identifier les obstacles qui ne manqueront pas d’advenir et de tester les solutions pour y pallier. « Avant de la lancer, interrogez vous sur ce qui pourrait la faire échouer, voyez avec les collaborateurs quelles solutions ils préconisent pour y faire face et testez les pendant l’expérimentation ! », suggère Francis Boyer.
Au Bastion, après quelques mois d’expérimentation, la plupart des 18 salariés qui ont testé la formule ont souhaité pérenniser cette nouvelle organisation du temps de travail mais 5 personnes souhaité revenir à la semaine de 5 jours, moins éprouvante physiquement, selon eux. Ce « droit au remords » est indispensable selon les syndicats comme la CFDT. Du côté patronal, la plupart semblent convaincus au bout de l’expérimentation, comme Julien Leclercq qui a ainsi résolu ses problèmes de recrutement. Mais d’un côté comme de l’autre, il est mieux de prévoir une clause de revoyure à la fin de l’expérimentation.
5/ Assurer le suivi
La semaine de 4 jours, c’est bon pour le climat, les collaborateurs et les entreprises. C’est en tout cas ce qui ressort d’une expérimentation menée par l’organisation Autonomy au Royaume-Uni pendant 6 mois, auprès de 60 entreprises, avec réduction du temps de travail et sans perte de salaire en 2022. Résultat : une réduction du niveau d’épuisement professionnel pour les salariés et un effet positif sur l’organisation (recrutement et fidélisation) de l’entreprise selon les patrons. En limitant les déplacements travail-domicile et en favorisant les mobilités bas carbone, la généralisation de la démarche pourrait même permettre au pays de réduire son empreinte carbone de 21,3% à l’horizon 2025, estimait même l’association 4 Day Week Global. En France, plusieurs entreprises qui ont testé le dispositif annoncent aussi des gains d’énergie, que certaines ont restitué financièrement aux collaborateurs à travers des primes.
Mais qu’en est-il pour votre organisation ? En fonction de vos objectifs, n’oubliez pas de mettre en place des indicateurs pour suivre les impacts sur le bien-être de vos collaborateurs, les réductions de consommation d’énergie ou d’eau ainsi que les émissions de gaz à effet de serre évitées. Vous pouvez aussi être mettre ces indicateurs en balance avec les objectifs financiers de votre organisation.
Au terme de son expérimentation de 18 mois, le CJD note qu’avec « une mise en œuvre réfléchie et stratégique, la semaine de quatre jours peut devenir un avantage concurrentiel significatif pour les entreprises prêtes à embrasser cette nouvelle manière de travailler ». Grâce à la mise en place de deux indicateurs de suivi (social et financier), Carbo confirme. Après un an de test, « réduire le temps de travail n’a pas impacté notre efficacité ni l’atteinte des objectifs et de notre mission », assure l’entreprise dans un post LinkedIn. Et leur indicateur social (employee Net Promoter Score, eNPS) « a doublé sur l’année 2023 avec un eNPS supérieur à 80 ». Le secret selon eux : une organisation plus efficace, notamment avec des réunions plus cadrées et du travail asynchrone, une attention et un respect portés sur le temps des autres et des priorités claires au sein de Carbo pour permettre à chacun de rester concentré sur ce qui a le plus d’impact.
Et maintenant ?
En France, plus de 400 entreprises auraient expérimenté la démarche selon Pierre Larrouturou mais aucune étude n’a permis à ce jour d’en réaliser un suivi. Les expérimentations se poursuivent de façon volontaire, à la carte. Avec de vrais bénéfices mais aussi des dérives. Pour la CGT, cela rend nécessaire « une loi qui impose une nouvelle norme – avec une réduction du temps de travail, sans baisse de salaire horaire, ni intensification du rythme de travail, et avec des embauches – afin de ne pas creuser les inégalités ».
Pas sûr que ce soit la voie choisie par le gouvernement. Mais loi ou pas loi, le changement d’organisation du temps de travail devra s’accompagner d’autres mesures pour servir au mieux la transformation écologique et sociale. Dans un rapport, l’association 4 Day Week Global préconise ainsi d’accompagner cette démarche par la création d’espaces verts dans chaque quartier, d’augmenter le fond des festivals et des théâtres, le nombre de bibliothèques, de centres culturels et de terrains de sport, etc. De quoi occuper le temps libre ainsi libéré, sans trop émettre de carbone !
*Le prénom a été changé.
Illustration : Canva