Citoyens et ONG n’hésitent plus à porter plainte contre les gouvernements et les entreprises pour les dégâts causés à l’environnement. En quelques années seulement, les contentieux climatiques ont presque doublé. Mais quel intérêt pour l’environnement que de porter plainte contre l’État ? On vous explique.

En 2017, un rapport de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les litiges relatifs au climat répertoriait 884 affaires portées devant les tribunaux nationaux de 24 pays différents. Trois ans plus tard, dans la nouvelle version de 2020, les contentieux climatiques ont quasiment doublé, passant à près de 1550 affaires dans 38 pays.

Même si la grande majorité des contentieux climatiques concerne le territoire américain (1200 affaires), l’Australie, le Royaume-Uni et l’Europe connaissent aussi une tendance à la hausse. En France, l’État a déjà été reconnu coupable deux fois d’inaction dans la lutte contre le réchauffement climatique. Deux décisions symboliques, mais qui représentent un pas de géant pour un droit de l’environnement jusqu’à présent peu efficace dans la lutte, au-delà du climat, contre tous les écocides – actes de pollution et de destruction des écosystèmes.

Un droit de l’environnement récent

Le réchauffement climatique et ses effets délétères sur l’environnement font aujourd’hui consensus dans la recherche scientifique. Cette crise est réelle et l’humain en est responsable.

L’attention croissante portée depuis les années 1970 à la crise environnementale s’est accompagnée d’un apport de connaissances scientifiques de plus en plus conséquent sur les écocides. Cela a permis de légitimer des craintes réelles énoncées par certains citoyens sur les conséquences néfastes des activités humaines sur la santé humaine et la biodiversité.

C’est dans cette même période que se sont développées de nouvelles réflexions quant à la protection de l’environnement d’un point de vue du droit contemporain. L’environnement est un bien commun qu’il faut protéger.

C’est lors de la Déclaration de Stockholm de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement en 1972 que l’environnement devient vraiment une priorité internationale. L’objectif est « d’adopter une conception commune et des principes communs qui inspireront et guideront les efforts des peuples du monde en vue de préserver et d’améliorer l’environnement ». Mais à ce moment, l’environnement est perçu par le prisme des droits humains. Protéger la nature c’est avant tout préserver l’humain.

Le droit environnemental, en tant qu’entité propre, n’apparaît vraiment que 20 ans plus tard lors de La Conférence de Rio de Janeiro en 1992. La déclaration qui en découle reconnaît enfin, du point de vue du droit, la responsabilité des activités humaines dans la crise environnementale.

Toutefois, l’effectivité du droit de l’environnement reste encore très insuffisante. Le droit international public de l’environnement souffre de nombreuses limites structurelles.

Des limites notables

Le caractère transfrontalier de la crise environnementale oblige de nombreux États, aux objectifs et aux besoins très différents, à s’accorder sur la stratégie à adopter pour la protection de l’environnement et la réduction des gaz à effet de serre (GES).

Un des principes prônés lors de rédaction de la Déclaration de Stockholm est celui de « responsabilités communes mais différenciées ». Les pays industrialisés, au regard de l’histoire, ont une plus grande responsabilité dans la crise environnementale. Il n’est donc pas juste que les pays moins polluants payent pour des dommages qu’ils n’ont pas causés.

Mais sans organisation mondiale ou juridiction internationale, l’entente entre pays est de suite plus complexe. D’autant plus que le droit environnemental et ses objectifs s’opposent bien souvent à d’autres impératifs, le plus souvent économiques, présents dans le droit international ou commercial.

Le droit de l’environnement a donc besoin, au-delà d’une reconnaissance, d’être plus effectif et plus utilisé dans la lutte contre les écocides. Il doit offrir la possibilité aux citoyens de mettre devant leurs responsabilités ceux qui participent à la destruction de la planète.

Porter plainte contre l’État ou contre les grandes entreprises polluantes reste une épreuve de longue haleine, et au résultat encore très incertains. Pourtant en France, deux affaires très récentes ont démontré la pertinence de ce genre de procédure.

L’Affaire du siècle, l’État français mis en cause

Lors de la ratification de l’Accord de Paris en 2015, les pays signataires se sont engagés à fournir un plan national de réduction de GES chiffré, c’est ce qu’on nomme un budget carbone. La France s’est engagée pour sa part à réduire de 40 % ses émissions à l’horizon 2030 par rapport au niveau de 1990.

L’Accord de Paris n’est pas un traité contraignant à proprement parler, il n’entraîne aucune punition pour les pays qui ne respecteraient pas leurs objectifs.

Mais c’est pourtant bien sur ce budget carbone que le Tribunal Administratif de Paris s’est appuyé le 14 octobre 2021 afin de déclarer coupable l’État français d’inaction dans la lutte contre le réchauffement climatique. Entre 2015 et 2018, la France a émis 15 millions de tonnes de GES en trop. Le Tribunal Administratif de Paris a enjoint pour la première fois « l’État [à] réparer les conséquences de sa carence en matière de lutte contre le changement climatique » dans un délai de 14 mois.

Une décision historique qui conclut un long combat engagé en 2018 par les ONG Greenpeace, Oxfam, la Fondation Nicolas Hulot et Notre Affaire à Tous sous le nom de « l’Affaire du Siècle ».

Et après ?

La décision du Tribunal reste pour le moment symbolique, elle n’oblige à aucune mesure précise et laisse l’État français décider de la stratégie à adopter. Et en même temps, « à partir d’aujourd’hui, tout dérapage sur la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pourra être sanctionné par la justice en cas de nouveau retard, expliquent les ONG, L’État a désormais une obligation de résultats pour le climat ».

Cet événement majeur dans le droit environnemental français fait suite à une autre décision historique en novembre 2020. L’État avait été aussi reconnu coupable d’inaction par le Conseil d’État après une plainte déposée par l’ancien maire de la commune de Grande-Synthe dans les Hauts-de-France, Damien Carême.

Toutes ces affaires traitées, que ce soit en France ou dans le monde, offrent de nouveaux leviers et de nouveaux outils afin de rendre plus effectif le droit de l’environnement. Des retours d’expérience qui seront bénéfiques autant pour les plaignants, afin de déterminer les méthodes les plus adaptées pour faire aboutir les plaintes, que pour les juges lors du traitement des dossiers.

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