Le rapport Notat Senard et la Loi PACTE ont relancé les comités parties prenantes : clés de succès et bénéfice d’un dispositif à bien pens

Les entreprises sont encore trop frileuses dans la relation parties prenantes

Cela fait des années que les entreprises anglo-saxonnes – Shell, Unilever, Marks & Spencer – ont ouvert la voie audacieuse des « comités parties prenantes » ; il a fallu du temps pour qu’elles soient rejointes par quelques grandes entreprises françaises, aux prises avec des controverses qu’elles pensaient neutraliser ainsi (cf. Edf, Lafarge…). L’initiative n’est pas audacieuse mais elle engage. Elle apporte une ouverture culturelle et stratégique incontestable mais encore faut-il accepter de se confronter aux opinions de publics qui voient l’entreprise sous le prisme de leurs attentes propres, souvent dérangeantes. Une des recommandations du Rapport Notat Senard – le rapport  demande essentiellement à la gouvernance de considérer les enjeux sociaux et sociétaux de l’entreprise et préconise une représentation renforcée des administrateurs salariés dans les conseils – est de corriger cette frilosité de nos entreprises  à discuter sereinement avec un échantillon d’acteurs sociétaux susceptibles d’enrichir les travaux des conseils, sans qu’on ait besoin pour autant de leur attribuer des droits ou d’institutionnaliser la procédure !

produrable start up

Les entreprises qui ont monté des comités ont des gouvernances plus prospectives.

Le compromis proposé par le Rapport Notat Senard est le fruit de l’expérience accumulée par les pionniers du dialogue parties prenantes qui ont joué le jeu et s’en félicitent aujourd’hui (cas de Michelin, Veolia…). De fait, il est dommage de se priver de l’avis des représentants des consommateurs, des riverains, des fournisseurs, des ong et autres acteurs sociétaux qui s’intéressent à l’entreprise ! Ils ne proposent que des améliorations à considérer, du point de vue des risques et des opportunités. Encore faut-il savoir sélectionner des personnalités qui sauront exprimer en leur nom des « réflexions constructives »,  expériences critiques ou rapports d’étonnement, dont l’entreprise peut tirer grand avantage pour comprendre les tensions externes, les anticiper et les régler, d’une façon pro-active et positive.  De fait, la procédure d’organisation d’un dialogue parties prenantes n’est pas mécanique et ne s’improvise pas : elle est avant toute chose le fruit d’un «savoir-faire  sociétal » qui repose sur « une culture du dialogue », exigeant de considérer ses interlocuteurs comme ils sont et de les écouter avec objectivité et bienveillance. Au-delà de ce pré-requis culturel fondateur, il existe 4 clés de succès au moins pour se doter d’un dispositif de relations parties prenantes apporteur de solutions et capable de nouer une relation avec la Société dont l’entreprise saura tirer parti pour sa croissance. Et pour son expansion dans des métiers, des pays ou des populations nouvelles.

Première clé, établir le lien avec le conseil d’administration, via la participation effective d’un représentant, son président dans l’idéal, qui se fera l’interprète des avis exprimés auprès du comité stratégique du conseil et du collège des administrateurs ; ce lien doit être poussé jusqu’à permettre l’expression du Comité devant l’Assemblée Générale et dans le Rapport de gestion, en respectant son indépendance, condition de sa crédibilité.

Le deuxième facteur de succès est une représentation diverse et de qualité des membres du comité parties prenantes, en termes d’expertise, d’engagement, de sens opérationnel et stratégique à la fois, mais aussi en termes générationnels, culturels, pour exprimer la perception externe des enjeux. La conséquence est qu’on ne sélectionne pas que les représentants qui vous conviennent ou vous plaisent mais ceux qui vous interpellent et vous stimulent. On ne choisit pas ses parties prenantes : on les constate ! On va au-devant !

La troisième condition de réussite consiste à poser les règles de fonctionnement du dialogue en préalable, en accord avec les acteurs, allant des modes de (non)communication à l’indemnisation des parties, en passant par le rythme des réunions et la construction commune de l’ordre du jour, sans craindre aucun sujet, aucune thématique et en mettant à disposition du comité l’information précise dont il a besoin pour approfondir les débats. La formule permet de faire découvrir aux acteurs des réalités qu’ils méconnaissent et qui leur permet d’affiner leur jugement.

Quatrième clé de succès et non des moindres : accepter une animation tierce, qui garantit les conditions d’équilibre de la discussion et qui assure la synthèse des travaux  afin d’exprimer les avis du comité devant le Conseil, dans des formes reconnues par tous, en n’omettant aucune expression, fut-elle dérangeante… L’animation est en général extérieure aux parties. Elle assure l’équité du fonctionnement et la crédibilité de l’écoute.

C’est dans le temps qu’on percevra l’intérêt et les retombées positives d’un dialogue parties prenantes ; plus on saura donner confiance aux parties et plus on fera « monter » les vrais sujets et plus on les analysera de façon sérieuse, pour faire émerger des recommandations transmises aux instances de l’entreprise, en tirer des propositions d’action ou des accords. Les entreprises construisent leurs coalitions et leurs accords dans la suite de ces échanges.

Une utilité pour les dirigeants qui peuvent tester ainsi  leurs innovations

Si le dialogue parties prenantes n’oblige évidemment pas le conseil et le management de l’entreprise à faire ce qu’on lui demande, ceux-ci ont au minimum « une obligation de réponse » : justifier les conséquences qu’on tire des sollicitations et propositions exprimées ! C’est la forme minimale de respect attendue par les acteurs extérieurs qui se penchent sur les enjeux de l’entreprise, espérant l’influencer et s’ils ne le peuvent pas, s’attendant à être écoutés et considérés et proposant des innovations qu’on n’ose pas aborder en interne ! La confiance reste là aussi le curseur majeur de la relation à bâtir. Les comités parties prenantes constructifs et utiles sont bien ceux qui ont installé de part et d’autre un respect mutuel, autour d’une volonté de faire progresser la relation entre l’entreprise et la Société, de régler ses impacts négatifs les moins bien acceptés et d’améliorer les impacts positifs les plus attendus.  Un dialogue doit être ressenti comme utile de part et d’autre ou il ne s’installe pas et ne dure pas.

Comme on le voit, il y a bien un art du dialogue parties prenantes qui fait la navette permanente entre les deux rives de l’enjeu contemporain croissant : « business versus Society ». Ce comité, bien composé, bien animé, bien considéré, met la démarche RSE en situation de « passeur » et l’aide à se construire une position médiatrice originale, entre la Société qui pousse et l’entreprise qui se protège. Dès lors qu’on touche aux vrais sujets et qu’on facilite ainsi la mutation durable des modèles, en alimentant cette relation avec de toutes les opinions et autres remontées issues des salariés, des clients, des partenaires de l’entreprise, dans sa vie courante et réelle. Initiative exigeante, méthodique, rigoureuse, volontariste aussi, qui s’inscrit dans le moyen terme, le dialogue avec les parties sociétales est d’abord une démarche au service de la mutation positive de l’entreprise. Il ne peut y avoir de mutation durable ancrée et réelle, si elle ne prend pas appui sur ce dialogue organisé, nouvel outil et nouvelle attitude des entreprises qui ont compris que leur avenir était d’agir « en Société », associant réalisme et audace, ouverture et collaboration.