La raison d’être des entreprise est-elle inutile ? Est-ce un simple slogan sans valeur transformative ? Un outil de communication, voire de greenwashing ? Jetons un pavé dans la mare.

Depuis la loi PACTE de 2019, de plus en plus d’entreprises définissent ce que l’on appelle leur « raison d’être ». La raison d’être, telle que définie dans la loi, est une possibilité donnée à l’entreprise d’exprimer un objectif d’intérêt général qui outrepasse la simple recherche du profit à court terme. C’est en quelque sorte le sens que l’entreprise donne à son activité et la manière dont elle entend contribuer à l’intérêt collectif.

Depuis, des milliers d’entreprises ont défini leur raison d’être. Le plus souvent, il s’agit d’une phrase, qui clarifie l’activité de l’entreprise dans le cadre de la société, et lui confère un sens. Mais alors, à quoi sert vraiment la raison d’être, 4 ans après la Loi PACTE ? La raison d’être a-t-elle changé la gouvernance des entreprises ? Leurs pratiques ? Quel impact sur la RSE des entreprises ? Si on regarde les chiffres, les tendances et les pratiques, on se rend compte que la raison d’être telle qu’elle est définie aujourd’hui dans la loi, est peut être au fond, un coup d’épée dans l’eau.

L’option de la raison d’être

À l’origine, le concept de raison d’être tel qu’il est défini par le rapport Notat-Senard qui a servi de base à la loi PACTE, visait à entériner l’idée que l’entreprise n’est pas qu’un acteur destiné à faire du profit, mais qu’elle doit en quelque sorte assurer une mission dans la société. L’entreprise doit être utile, elle doit fournir des produits ou des services qui contribuent au développement de la société, à l’intérêt général, ou au progrès social, écologique, ou autre. Cette idée n’est pas neuve. Elle infuse dans la société civile depuis longtemps, et c’est logique : on attend d’une entreprise qu’elle fasse sa part dans la résolution des grands enjeux contemporains, ou dans les grandes transitions écologiques et sociales à mener.

Lorsque la Loi PACTE a ouvert la possibilité de cette raison d’être, elle l’a fait selon une conception volontariste. L’entreprise est libre de définir sa mission. Elle a également la possibilité, si elle le souhaite, d’inscrire sa raison d’être dans ses statuts, c’est-à-dire d’en faire sa mission officielle, statutaire, ce qui donne à cette mission un caractère contraignant. Mais cela reste une option.

Après la loi PACTE, de nombreuses entreprises ont donc évidemment saisi cette opportunité de définir une raison d’être. Après tout, l’opportunité était belle de mettre en avant leur rôle dans la société, de montrer comment elles contribuent à l’intérêt général, de se positionner en acteurs du progrès et / ou de la transition écologique. Conformément à ce que de plus en plus de citoyens, de salariés, de parties prenantes attendent d’elles. Problème : une fois que l’on a dit sa raison d’être, on a pas dit grand chose.

La raison d’être : slogan marketing ou mission sociale ?

La grande majorité des raison d’être dont se sont dotées les entreprises ressemble plus à une reformulation poétique de leur objet social. Les entreprises de l’énergie fournissent l’énergie de la transition énergétique, pour la neutralité carbone, celles de la mobilité aident chacun à avancer, les investisseurs financent le monde de demain. Mais ensuite ? En général, aucun organe de contrôle ne vérifie comment se réalise cette raison d’être, quels sont les moyens alloués à sa mise en oeuvre, personne ne vérifie, en gros, si l’entreprise respecte la mission qu’elle se donne elle même.

Pour cela, il faudrait devenir une entreprise à mission, et donc faire de la raison d’être une mission statutaire. Or, bien peu parmi les entreprises qui ont défini leur raison d’être sont devenues entreprises à mission : d’après les rapports faits ces dernières années sur le sujet, environ 4% des entreprises auraient pris ce statut, et plus parmi les petites entreprises que parmi les grandes. Sur près de 1000 entreprises à mission en France, seules 14 sont des grandes entreprises (alors qu’il y a près de 300 « grandes entreprises » au sens de l’INSEE).

Du reste, beaucoup de dirigeants considèrent en fait la raison d’être comme un slogan plus que comme un outil de transformation : l’année de l’adoption de la loi PACTE, 38% des dirigeants interrogés dans un sondage IPSOS-La Croix déclaraient que la raison d’être était une opération marketing avant tout. Cela explique sans doute pourquoi ça coince quand il faut rendre cette raison d’être opposable, en l’inscrivant dans les statuts. 80% des entreprises du CAC40 ont une raison d’être, une seule est entreprise à mission. CQFD.

La raison d’être, ça change quoi ?

Lorsque l’on analyse les pratiques de gouvernance et de responsabilité sociale mises en place par les entreprises, on se rend bien compte que les raisons d’être qui se sont multipliées ces dernières années n’ont pas changé grand chose à la manière dont les entreprises menaient leurs opérations. Sont-elles devenues plus durables ? Plus vertes ? Plus contributives ?

Pas sûr ! Déjà, les sondages menés ces dernières années montrent qu’une bonne partie des salariés des entreprises concernées ne sont même pas au courant de l’existence de ces raisons d’être. Quand ils sont au courant, ils jugent, là encore, que c’est plutôt un outil de com’ : 61 % des collaborateurs dont l’entreprise a une raison d’être perçoivent que l’entreprise en a fait un outil de communication et de positionnement de marque. Pourtant, toutes les études montrent aussi que les salariés souhaiteraient que leur entreprises s’engage davantage en termes de RSE. Et pas qu’en paroles.

Ensuite, la floraison de ces raisons d’être dans les entreprises françaises n’a pas franchement marqué un tournant dans les pratiques opérationnelles. Les études montrent, d’abord, que les dirigeants parlent beaucoup plus qu’ils ne font en matière de durabilité. Elles montrent aussi que les entreprises sont en retard en matière d’intégration de la RSE à la stratégie, que les organisations ne prennent pas bien compte les impacts environnementaux de leur chaîne de valeur, que la gouvernance des entreprises reste trop centralisée, pas assez à l’écoute des parties prenantes. Bref, qu’au fond, les entreprises ne sont pas franchement plus engagées et responsables qu’avant d’avoir écrit leur raison d’être.

Voir aussi : 100 exemples d’actions RSE à mettre en place en entreprise

Un slogan dans un rapport annuel

Même les administrateurs, lorsqu’on les interroge sur le sujet, disent que la raison d’être ne change rien aux décisions du CA. 46 % des administratrices et administrateurs dont la société a adopté une raison d’être révèlent qu’elle n’est qu’occasionnellement voire jamais considérée comme facteur éclairant une prise de décision du Conseil d’administration…

Alors à quoi bon ? La raison d’être, optionnelle, vague, sans consistance, ressemble plus aujourd’hui à un slogan, une baseline, une ligne qui fait joli dans un rapport annuel, qu’à une vraie utilité sociale qui servirait de boussole à la transformation des modèles d’affaires, des pratiques de gouvernance et des process opérationnels… Ce qu’elle aurait pourtant du incarner dès le départ.

De là à dire qu’elle frôle le greenwashing, le socialwashing, le purpose washing… Il n’y a qu’un pas. Sans le franchir totalement, on se contera de dire que c’est peut-être le moment de réfléchir à une refonte de la loi sur la raison d’être. À suivre.

Photo de Jamie Street sur Unsplash

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