Et si l’on en finissait avec l’obsolescence programmée en changeant le business model des entreprises et en favorisant la rentabilité ? C’est l’idée mise en place par le Groupe Seb pour réduire ses coûts et améliorer la durée de vis de nos objets. Interview.

Comme nous avons eu l’occasion de le voir depuis janvier dans notre dossier spécial « Obsolescence Programmée et Durabilité des Produits« , l’obsolescence programmée est une problématique très complexe : ses coûts économiques et environnementaux sont élevés, notamment dans les pays en développement qui servent de décharge à nos déchets. Elle repose solidement sur notre modèle économique, et est également le moteur de la surconsommation et de la croissance mondiale. Le business model de beaucoup d’entreprises est donc intrinsèquement lié à celui de l’obsolescence, de la faible durée de vie des produits, et de leur rachat systématique. C’est notamment le cas dans l’industrie de la mode, mais aussi de certains secteurs comme, dans une certaine mesure, l’électroménager.

Pour clôturer notre dossier spécial consacré à la problématique de l’obsolescence programmée, nous avons choisi d’interviewer Alain Pautrot, responsable Service Après-Vente et satisfaction du consommateur au sein du Groupe Seb, pour l’interroger sur un projet de réparabilité mis en place à grande échelle dans l’entreprise. Si nous avons choisi d’interroger un grand groupe industriel qui fait partie d’un secteur souvent montré du doigt pour ses stratégies en matière de durabilité des produits, c’est parce que Seb est peut-être en train de changer de regard sur ce problème. Retour sur la stratégie de réparabilité mise en place au sein du groupe.

La réparabilité chez Seb, qu’est-ce que ça veut dire ?

Alain Pautrot : « Le projet au sein du groupe Seb a été lancé en 2008, et l’objectif à l’origine n’était pas de lutter contre l’obsolescence, mais d’initier un changement radical par rapport aux politiques industrielles dans notre secteur : faire le maximum pour que nos produits soient réparables et réparés. L’idée était de rendre possible, facile et rentable la réparation d’un produit.

Cela veut dire qu’il faut que le produit soit facilement démontable, que les pièces détachées soient disponibles et facilement utilisables. In fine, cela participe aussi à lutter contre l’obsolescence programmée, puisque cela augmente la durée de vie d’un produit. »

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Quel intérêt pour Seb de rendre ses produits réparables ?

« Au départ, cette stratégie avait pour objectif de permettre de réduire nos coûts et nos frais.

En effet, en tant qu’industriels nous supportons souvent les frais lorsqu’un produit est défectueux. S’il est sous garantie, nous supportons les frais d’échange et de réparation par exemple. Nous avons donc tout intérêt à réduire ces coûts en rendant nos produits plus faciles à réparer. Réparer un produit, même relativement bon marché, est moins cher que de le changer, puisque l’on change des pièces peu coûteuses et qu’il y a moins de travail à effectuer (donc le coût en main d’oeuvre est inférieur). Sachant qu’il y a seulement une « vraie panne » pour 4 pannes signalées sur les produits électroménagers en moyenne, cela représente un potentiel important.

L’autre aspect, qui est loin d’être négligeable, c’est qu’en tant qu’industriel, avoir la capacité de réparer, démonter et identifier les pannes sur les produits défectueux, cela permet de constituer une source d’information cruciale pour développer de meilleurs produits à la génération suivante. Grâce à cette politique, à partir de 2010 on a constaté une amélioration flagrante de la qualité de nos produits, et une baisse significative des taux de retours. C’est donc aussi un outil d’amélioration continue de nos processus.

Enfin, notre perception est aussi qu’un client peut changer de crèmerie. Si un client constate trop de pannes, des produits irréparables chez nous, il peut acheter ailleurs. L’idée d’avoir des produits réparables, donc plus durables, c’est aussi fidéliser le client, lui permettre de vivre au milieu de nos produits, qui vont durer. Cela l’incite à racheter chez nous. »

Concrètement, quelle est la politique de Seb en matière de réparabilité des produits ? Quels sont ses résultats ?

« Nous avons intégré le fait que nos produits soient démontables, réparables, nous avons adapté les produits, stocké les pièces détachées. Concrètement, aujourd’hui, je suis en capacité de fournir des pièces détachées que j’ai depuis 10 ans, et nous avons baissé le prix de nos pièces détachées de 30% en moyenne. Ainsi nous stockons en Franche-Comté près de 5 millions de pièces détachées. Depuis 5 ans, nous avons doublé la proportion des réparations sous garanties. Aujourd’hui, 97 % de nos produits sont réparables, dont plus des deux tiers totalement réparables.

Paradoxalement, le principal frein au développement de cette stratégie de réparabilité est le fait que les consommateurs n’imaginent pas que nos produits puissent être réparés, et que la réparation soit rentable. Nous avons donc développé une politique de communication référence par référence, produit par produit pour éviter cela, avec un logo spécial pour nos produits réparables 10 ans. Il faut que le consommateur comprenne qu’il faut revenir vers l’industriel pour réparer son produit. Nous avons lancé un programme pour rendre accessible la documentation sur les produits, mettre à disposition des conseils notamment en vidéo sur la réparation des différents produits. Toutes nos démarches sont orientées vers le consommateur, vers le client.

En ce moment nous développons également un partenariat avec l’ADEME pour lancer l’impression 3D de nos pièces détachées. Nous avons investi 300 000 euros pour mettre ce projet à l’étude, et cela permettrait de produire à vie des pièces détachées. »

Comment le groupe a-t-il pu mettre en place ce changement au sein de l’entreprise ?

« C’est un processus qui a été très long : nous avons lancé ce projet en 2008 et il commence à porter ses fruits depuis quelques années. Ca a été une véritable révolution pour tous les processus de l’entreprise, de la fabrication jusqu’au service après-vente. Mais Seb a l’avantage d’être une structure avec une culture d’entreprise très familiale et une direction qui avait envie de porter le projet. Cela nous a permis de prendre les décisions plus rapidement, et surtout d’être prêts à supporter un projet qui n’avait pas forcément de retour sur investissement à court terme, mais un rendement véritable sur le temps long.

Ce genre de changement demande une vraie volonté car ce sont des transformations qui affectent profondément la façon dont fonctionnent les entreprises, mais en interne nous avons pu démontrer que c’était plus rentable comme ça, aussi bien pour nous que pour les consommateurs. Ensuite, il a fallu lancer la transformation à toutes les échelles, impliquer le plus de personnes possibles à tous les niveaux de l’entreprise. »

Quelles suites pour continuer à donner de l’envergure à ce projet ?

« Nous cherchons à développer des partenariats avec des organismes, notamment avec le Réseau Envie pour les opérations de récupération de nos produits arrivés en fin de vie. En effet, au-delà de la réparabilité, il faut s’assurer que les produits soient recyclables, mais aussi recyclés correctement. Cela implique de pouvoir les récupérer et là le circuit de distribution est assez mal conçu car il ne permet pas à l’industriel de reprendre facilement ses vieux appareils en fin de vie.

Nous travaillons aussi avec l’ADEME sur le développement de l’économie de la fonctionnalité, pour développer un service après-vente de longue durée et une vraie relation entre nous, nos produits et nos clients. On travaille aussi au développement des Repair Cafés, et nous essayons de nous connecter à tout cet écosystème de l’économie circulaire. »


L’exemple du Groupe Seb est pour l’instant encore isolé, que ce soit dans l’industrie de l’électroménager ou dans les autres industries de bien de consommation. Néanmoins, il témoigne d’une tendance : celle de la prise en compte de l’économie circulaire et des problématiques de recyclage et de réparabilité par les industriels. Cela montre que désormais, ces questions ne sont plus seulement l’apanage d’associations bienveillantes mais hors du monde économique.

L’économie circulaire fait son entrée par la grande porte (celle des business models des grands industriels) dans la réalité économique et commerciale. Comme toujours avec ce genre d’initiatives, seul le temps long dira si les résultats seront concrets, mesurables, et s’ils bénéficieront au consommateur et à la planète. En effet, sur le plan de l’empreinte écologique par exemple, rien ne dit qu’un produit « réparable » soit plus efficace qu’un produit « non-réparable ».

Il est probable que les entreprises se tournent de plus en plus vers ces nouveaux modèles économiques (économie circulaire, économie de la fonctionnalité) car ils représentent une vraie opportunité de réduire ses coûts et de créer de nouvelles sources de revenus. Est-on sur le point de voir émerger un modèle industriel qui ne se base plus sur l’obsolescence des produits ? Espérons-le !