Contrairement aux idées reçues, le partage de fausses informations ne serait pas dû à un manque de recul sur l’information ou à des biais politiques, mais plutôt à une routine encouragée par les réseaux sociaux.

Les Fake News sont littéralement rentrées dans notre vocabulaire quotidien à partir des élections américaines de 2016 qui se sont conclues par l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump. On a enfin donné un nom à quelque chose qui existe depuis la création des médias traditionnels et leur démocratisation rapide à partir de la Seconde Guerre mondiale.

Ces Fake News, ou ces informations parfois fausses, parfois incomplètes, parfois partisanes, se sont multipliées et diffusées telle une vague dans la population en grande partie grâce aux réseaux sociaux, et particulièrement lors des périodes d’incertitudes à l’instar de la crise de la Covid-19 ou de la guerre en Ukraine. Par leur caractère émotionnel, engageant, cathartique, les Fake News se diffusent plus rapidement et atteignent une vaste pluralité de cercles, d’autant plus lorsque cette diffusion est organisée par les « usines à trolls », une organisation utilisant les réseaux sociaux pour diffuser des fausses informations et influencer les populations, par exemple lors d’élections.

À un tel niveau que les médias ayant pignon sur rue se sont équipés eux-mêmes d’une cellule anti-Fake News pour faire face à une perte de confiance des citoyens envers les médias, et ainsi relégitimer leur position en temps que média de confiance.« Les décodeurs » pour Le Monde, « Check News » pour Libération, ou « Vrai ou fake » pour France Info, les journalistes écument la toile afin de vérifier, confirmer ou infirmer les publications les plus virulentes.

Dans l’imaginaire commun, on impute souvent la publication des Fakes News à un manque de connaissance du sujet de la part des citoyens, ou bien à une décision partisane de cherry picking, ou picorage en français, une rhétorique consistant à ne diffuser que ce qui va dans le sens d’une opinion.

Une récente étude publiée dans le journal Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) propose une nouvelle hypothèse : le partage de fausses informations ne serait-il pas dû à un système de récompense bien rôdé sur les réseaux sociaux ?

Croire aux Fake News

La recherche sur les Fake News se penche bien souvent sur la psychologie même des individus. Quel type de population partage de fausses informations ? Pour quelles raisons les partagent-ils ? Sont-ils alertent sur la qualité ou non de l’information partagée ?

Quelques études sur le sujet démontrent d’une part que certaines personnes, en particulier les personnes âgées, sont plus enclines à diffuser des publications, qu’elles soient vraie ou non, par manque de capacité à reconnaître la véracité de l’information. Pour ce qui est de l’argument politique, les résultats sont plus nuancés. Même s’il est reconnu que les convictions politiques et les biais inhérents participent à la diffusion de fausses informations, notamment pour les profils les plus conservateurs, elle n’est pas la raison principale au fait que les gens croient à une Fake News.

Tandis qu’une autre étude publiée dans Trends in Cognitive Sciences soulève l’idée que la raison principale de la croyance aux Fake News réside plutôt dans la première proposition, à savoir un manque de connaissance sur les sujets traités, les chercheurs à l’origine de l’étude publiée dans le PNAS proposent une autre hypothèse. Le partage de fausses informations n’est pas forcément le fruit de croyance ou non, de connaissances du sujet ou non, mais plutôt d’une routine d’usage des réseaux sociaux.

Le besoin de reconnaissance

C’est par l’observation des usages du réseau social Facebook de 2 476 participants que les chercheurs ont observé un comportement particulier, ceux qui partagent le plus de fausses informations sont également ceux qui partagent le plus d’informations vraies. En d’autres termes, la véracité et la qualité de l’information n’ont que peu d’importance pour ces individus. Sur l’ensemble des participants aux expériences menées lors de l’étude, les 15% les plus actifs ont été responsables d’entre 30 et 40 % de l’ensemble des fausses informations partagées.

Pour les auteurs de l’étude, cette tendance s’explique notamment par le système de récompense mis en place sur les réseaux sociaux. Les fortes réactions de colère, d’amusement, de perplexité qu’entraînent les fausses informations motiveraient leur partage. Les individus, voyant que leurs messages ont une résonnance notable, diffusent machinalement des informations qu’ils reconnaissent comme virales. Et à chaque expérience menée lors de l’étude, c’était bel et bien le facteur de l’habitude qui avait le plus d’influence sur les participants, devant le manque de connaissance ou le biais politique.

Mais cela veut aussi dire que ce sont, in fine, les géants du numérique qui ont la plupart des cartes en main pour réduire l’influence des fausses informations sur les réseaux. Là où la plupart des stratégies et des politiques de contrôle des Fakes News se concentrent sur l’individu en lui-même (sensibilisation, éducation aux réseaux sociaux…), un des leviers majeurs est finalement à activer du côté des entreprises en charge des réseaux sociaux.

En transformant le fonctionnement des algorithmes, il est possible de briser ce système de récompense vicieux mettant en avant les fausses informations au profit d’un système plus sain mettant en avant les informations plus sûres issues des médias traditionnels, et/ou via des institutions de références. Les auteurs proposent en outre de changer et/ou de rendre plus difficile le système de publication sur des sujets épineux afin de réguler la diffusion des fausses informations.

Mais sans obligation légale pour les géants du numérique, il est peu probable que ces entreprises se décident d’elle-même d’adapter leurs algorithmes afin de lutter contre les fausses informations à partir du moment où le partage et l’échange sont leur fonds de commerce.

Ceylan, G., Anderson, I. A., & Wood, W. (2023). Sharing of misinformation is habitual, not just lazy or biased. Proceedings of the National Academy of Sciences.

Pennycook, G., & Rand, D. G. (2019). Lazy, not biased : Susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning. Cognition.

Pennycook, G., & Rand, D. G. (2021). The Psychology of Fake News. Trends in Cognitive Sciences.

Lazer, D. M. J., et al. (2018). The science of fake news. Science.


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