Face à des émissions mondiales de gaz à effet de serre qui ne semblent pas vouloir ralentir, de plus en plus de voix proposent le stockage du carbone comme manière de lutter contre le réchauffement climatique. Mais est-ce vraiment la solution ? 

Fin janvier, le milliardaire Elon Musk a annoncé, sur son compte Twitter, donner 100 millions de dollars à l’équipe qui trouvera le meilleur moyen de séquestrer des centaines de tonnes de carbone par an. Solution basée sur la nature, capture directe depuis l’air, utilisation de l’océan, minéralisation : toute technologie est recevable pour tenter de retirer du dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère, annonce le site de la compétition

En effet, les chiffres des émissions de gaz à effet de serre planétaires sont alarmants. Selon le Commissariat général au développement durable français, les activités humaines ont généré l’émission de 53,5 milliards de tonnes d’équivalent CO2 en 2017. Cela représente une augmentation de 1,2% par rapport à l’année précédente. Une grande part de ce CO2 se retrouve dans l’atmosphère provoquant le réchauffement climatique. Une autre part importante est absorbée par l’océan, conduisant à son acidification, avec des conséquences dramatiques pour la biodiversité. Une part plus faible est finalement absorbée par les sols et la végétation. 

Stockage du carbone : qu’est ce que c’est ?

Depuis une vingtaine d’années, l’idée de retirer une partie de ce CO2 de l’atmosphère a émergé. Même le GIEC (Groupement International d’Experts sur le Climat) dans son rapport de 2016, prévoit l’élimination de 100 à 1000 milliards de tonnes de CO2 au cours du XXIe siècle pour respecter un réchauffement de 1,5°C. Quelles technologies permettent alors de capturer du carbone et de le stocker ? Sont-elles la solution miracle au réchauffement climatique ? Décryptage.

Les différentes technologies de stockage du carbone

Le stockage du carbone comprend toutes les technologies humaines de géo-ingénierie qui permettent d’éliminer du CO2 de l’atmosphère et de le stocker durablement sous terre, dans les océans ou dans des produits.  En général, ces technologies se structurent en deux phases : une phase où l’on capture le CO2 de l’atmosphère (au point de combustion ou directement dans l’air) et une phase où l’on stocke le carbone ainsi capturé de façon à ce qu’il ne retourne pas dans l’atmosphère.


Approfondir le sujet de la géo-ingénierie : La géo-ingénierie : quels dangers ?

La capture dans les fumées de combustion

L’une des technologies les plus en vogue est la capture de carbone depuis les fumées de combustion. Lorsque l’on brûle un combustible fossile dans une centrale à charbon ou dans une aciérie par exemple, on peut récupérer les gaz issus de la combustion et les faire passer dans un dispositif qui récupère le CO2. Pour cela, les gaz sont mélangés à un liquide dans lequel le CO2 se dissout. Un autre appareil va ensuite permettre de récupérer le CO2 dans le liquide.

Le CO2 est ensuite compressé et injecté dans le sous-sol, dans d’anciennes mines ou d’anciens réservoirs de pétrole par exemple. Il est essentiel que ces réservoirs soient étanches pour éviter que le CO2 ne ressorte. Cette technologie serait particulièrement intéressante dans le cas des centrales à charbon où les émissions de CO2 sont intenses et localisées. Selon le GIEC, avec les technologies adaptées, 99% du CO2 stocké sur 1000 ans pourraient rester emprisonné pour des millions d’années.

La capture directe depuis l’air 

La capture directe depuis l’air ressemble à la technologie précédente sauf que, cette fois, le CO2 est récupéré directement depuis l’air ambiant grâce à d’énormes ventilateurs qui poussent l’air à travers un filtre. L’air est ensuite mélangé à un liquide à base de sodium qui récupère les atomes de carbone et d’oxygène. Un autre processus permet de récupérer le CO2 en chauffant ce liquide. Cette technologie est encore au stade de développement même si quelques usines expérimentales existent en Europe et aux États-Unis. 

Le stockage du carbone par la minéralisation

Une fois que l’on a capturé du CO2 par l’une ou l’autre des techniques précédentes, on peut le stocker de façon stable en le transformant en minéral. Si on injecte le CO2 dans certaines couches de roche, il réagit avec les atomes de calcium et de magnésium contenus dans ces roches et reste fixé. Cette technique est expérimentée actuellement dans le cadre de deux projets en Islande où plus de 65 000 tonnes de CO2 ont été injectées dans la roche. 

Le stockage du carbone par la fertilisation des océans

Le stockage par la fertilisation des océans est basé sur le principe que la croissance des algues, comme celle des plantes, est limitée par la quantité de nutriments présents dans leur environnement. L’idée est donc de stimuler la croissance d’algues en surface par l’ajout de nutriments comme le fer ou le phosphore. Alors qu’elles grandissent et se multiplient, les algues vont absorber du CO2. Lorsqu’elles meurent, elles tombent au fond des océans et stockent du carbone dans les profondeurs. Cette idée a émergé à la fin des années 1980 et a, depuis, été testée en différents endroits de l’océan. 

Le stockage du carbone via la reforestation

Parmi les solutions basées sur la nature, on trouve la reforestation. L’idée est qu’en plantant certaines essences d’arbres dans certaines conditions, on peut stocker du carbone dans les arbres mais aussi dans le sol des forêts. Les arbres, au début de leur vie, utilisent les atomes de carbone qu’ils absorbent pour fabriquer du bois et grandir. Lorsque leurs feuilles tombent ou lorsqu’ils meurent, ce carbone retourne à la terre et peut y être stocké pour longtemps.  

Les limites des technologies de stockage du carbone

Si ces technologies peuvent apparaître comme la solution miracle au changement climatique, elles sont encore à l’essai et n’ont pas toutes prouvé leur efficacité. Elles ont un coût élevé et peuvent même comporter des risques pour l’Homme ou pour l’environnement. Ces techniques sont au stade expérimental, les développer et les commercialiser prendra du temps. Il faudra, par exemple, des années pour équiper toutes les centrales à charbon d’un système de capture du CO2. Du temps, c’est précisément ce dont on manque alors que la communauté scientifique exhorte les pays à réduire leurs émissions immédiatement. 

Les technologies de stockage du carbone sont encore très coûteuses

Ensuite, ces technologies sont très coûteuses en argent et en énergie. Lorsque l’on brûle un combustible fossile, capter le carbone contenu dans les fumées consomme de 10 à 20% de l’énergie obtenue par cette combustion selon Jean-Marc Jancovici. Capturer le carbone dans l’air est encore plus énergivore puisque le CO2 y est beaucoup moins concentré que dans les fumées de combustion. Cette étude publiée dans Nature en 2019 montre que stocker 30 Gt d’équivalent CO2 par cette technologie (soit un peu plus de la moitié de nos émissions annuelles) consommerait 12 à 20% de toute l’énergie produite mondialement en un an. La minéralisation est également très coûteuse en eau et en énergie. 

Des dangers potentiels pour l’Homme et pour l’environnement

Ces technologies peuvent même comporter des dangers pour la santé humaine et environnementale. Injecter le CO2 sous terre ou dans la roche augmente le risque sismique. La demi-douzaine de projets de stockage géologique de carbone a déjà traversé des milliers de tremblements de terre de faible magnitude (voir tableau 1 de cette étude de 2016). La fertilisation des océans risque de perturber grandement les écosystèmes marins par le phénomène d’eutrophisation notamment. Lors de la Convention sur la Diversité Biologique de 2008, 191 pays ont d’ailleurs appelé à interdire la fertilisation des océans tant que des recherches sur ses impacts environnementaux n’auraient pas été menées. Même des solutions basées sur la nature telle la reforestation peuvent avoir des conséquences négatives sur l’environnement si la préservation de la biodiversité n’est pas prise en compte (comme dans le cas de ce programme de reforestation dans la savane) . 

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Enfin, on peut penser que ces solutions techniques pourraient freiner l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre en donnant l’impression que toute émission peut être compensée par la capture de carbone. 

Quel avenir pour le stockage du carbone ?  

Doit-on pour autant renoncer totalement aux technologies de stockage du carbone ? Pas forcément. Sous certaines conditions, elles peuvent être utiles. Par exemple, pour les technologies qui demandent de l’énergie, comme la capture directe, le bilan environnemental dépend de la provenance de cette énergie. Dès lorsque ces technologies utilisent des énergies bas carbone, leur bilan environnemental s’améliore.

D’autre part, l’une des caractéristiques des énergies renouvelables est le fait qu’elles soient intermittentes : la production varie grandement en fonction de la météo, du moment de la journée. Cela incite certains à penser que si les énergies renouvelables venaient à se généraliser, on pourrait se retrouver avec d’importants surplus d’énergie à des moments où la consommation est faible. Ces surplus étant difficiles à stocker, on pourrait envisager de les utiliser pour alimenter des technologies de stockage du carbone comme des mécanismes de capture du carbone dans les fumées de combustion ou dans l’air. 

De la même manière, les projets de reforestation peuvent être utiles, à condition d’être bien encadrés, mesurés, avec une prise en compte globale des enjeux de biodiversité.

Une stratégie globale de réduction des émissions

Ces technologies pourraient donc faire partie d’une stratégie globale de réduction de nos émissions et de décarbonation de notre système. En effet, la solution prioritaire et la plus efficace pour lutter contre le réchauffement climatique reste de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre le plus vite possible. Réduire l’usage d’énergies fossiles, favoriser les énergies décarbonées, éviter d’utiliser des voitures individuelles, préférer les transports en commun, cesser la déforestation et l’artificialisation des sols, rénover énergétiquement les bâtiments : toutes ces solutions, si elles étaient mises en œuvre immédiatement au sein d’un changement global de paradigme économique permettraient de réduire rapidement nos émissions de gaz à effet de serre. 

Mais même en mettant en place rapidement ce type de transition, il pourrait rester utile de chercher à stocker le carbone en surplus dans l’atmosphère. Cela peut être accompli de façon plus sûre et plus respectueuse de l’environnement en employant des solutions basées sur la nature. Parmi ces solutions, on trouve celle de réhabiliter des zones artificialisées, d’augmenter la biodiversité dans les systèmes agricoles et de la préserver dans les écosystèmes naturels, d’employer des techniques agroécologiques, d’enrichir les sols en matière organique sous certaines conditions ou de construire en bois issu de forêts gérées durablement. Ces solutions sont un des leviers de la lutte contre le changement climatique et doivent accompagner une importante réduction de nos émissions de gaz à effet qui est maintenant urgente. 

Photo de couverture par Markus Spiske sur Unsplash

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