Malgré les preuves de plus en plus accablantes concernant les SUV, certains ne peuvent pas s’empêcher de les défendre. Que peut-on leur répondre ?

On n’a jamais autant parlé des SUV. Ces gros véhicules, qu’on appelle aussi crossovers, alliant les « qualités » d’un 4×4, d’une berline et même d’un monospace, représentent désormais plus d’un tiers des ventes de véhicules en France.

Gros consommateurs de carburants, encombrants et lourds, ces véhicules sont décriés pour leurs conséquences environnementales. Pourtant, certains continuent de les défendre. Dernière exemple, Eric Bergerolle dans Challenges qui propose de « développer votre argumentaire » pour répondre aux furieux écologistes mal inspirés qui vous reprocheraient de conduire un SUV.

Alors, à notre tour, décryptons cet argumentaire et voyons ce que l’on peut y répondre.

Non, les SUV ne sont pas juste des « monospaces virils »

Premier argument : les SUV ne seraient après tout que des « monospaces qui se virilisent », pas de raison de les stigmatiser, donc. Si tant est qu’une voiture puisse être « virile », on a un peu de mal à comprendre en quoi ça peut bien être un argument pour défendre les SUV.

Il est vrai que monospaces et SUV partagent certaines caractéristiques : grands, plutôt lourds, ils émettent plus que des voitures citadines classiques. Et d’ailleurs, personne n’a prétendu que les monospaces étaient pertinents dans une société qui cherche à être plus écologique. Mais surtout, non, les SUV ne sont pas juste des monospace redesignés. Leur motorisation, leur puissance, leur volume, leur modularité : beaucoup de choses sont différentes entre un monospace et un SUV. Prenons l’un des monospaces les plus emblématiques, le Renault Scénic. Les modèles produits à partir de 2017 émettent autour de 100-115 g de CO2/km sur un moteur diesel. Pour un SUV comme le Peugeot 4008, les émissions varient selon les motorisations (toujours diesel) de 120 à 150 g de CO2/km. Jusqu’à 50% de CO2 en plus donc, et ce n’est pas un détail. Sur les essences, même chose : 120 g de CO2/km pour le monospace, 135 à 150 pour le SUV. Forcément, quand on met des moteurs plus puissants, voire des transmissions intégrales sur un véhicule, il pollue plus.

Mais même en termes d’espace, le monospace fait mieux que le SUV : 500 à 572 dm3 de volume de coffre, contre seulement 416 pour le SUV. Moins de volume utile, d’habitabilité, et un volume moins pratique car moins modulaire pour plus d’émissions de CO2.

Alors, c’est vrai, la différence s’efface progressivement : les constructeurs font « l’effort » de produire désormais des « SUV Compacts », de taille plus réduite… Tout en appliquant aux monospaces les mêmes spécificités (design, motorisations) qu’aux SUV. Ainsi, effectivement, certains SUV affichent des émissions à peine plus élevées que certains monospaces. Et finalement, un SUV n’est pas forcément bien pire qu’une grosse berline.

Mais ce n’est pas pour ça que c’est bien : un Kadjar qui fait partie des SUV bons élèves en matière d’émissions de CO2, avec 110-115 g de CO2 en moyenne sur les motorisations diesel, émet toujours près de 25% de CO2 de plus qu’une Clio… pour le même nombre de places assises. Et c’est un diesel, il émet donc moins de CO2, mais plus de particules fines.

Non, le SUV ne fait pas que répondre aux besoins des automobilistes

Mais si l’on écoute les défenseurs du SUV, ce gros véhicule ne ferait après tout que répondre aux besoins des utilisateurs, comme le faisaient les monospaces il y a 10 ou 15 ans.

C’est bien connu, tous les Français ont en permanence besoin d’un coffre de 500 litres, d’un espace intérieur plus grand, et de la place pour au moins « 3 sièges enfant à l’arrière » (en même temps !). À croire que tous les Français sont déménageurs de métiers ou agriculteurs, et qu’ils ont tous des triplés.

En fait, la plupart des utilisateurs de SUV sont des urbains (77% des Français le sont, en fait), et le taux moyen de fécondité en France dépasse à peine 1.9 enfant par femme. Ils doivent être assez rares les cas où le SUV répond aux besoins d’une famille nombreuse avec des besoins d’emports importants. On nous explique aussi « qu’une voiture plus compacte ne permet pas toujours de caser […] une paire d’adolescents ». On veut bien croire que les Français soient un peu plus grands qu’il y a quelques années, mais en théorie, ils rentrent quand même pour la plupart dans une voiture normale.

En France, on rappellera que le taux d’occupation moyenne d’une voiture est de 1.2. Ce n’est donc clairement pas de plus d’espace, de plus de place, de plus de volume, de plus de poids dont les Français ont besoin par rapport à leur voiture. Par contre, à en croire les sondages, ils ont besoin qu’on se préoccupe de l’environnement : c’est même leur inquiétude numéro 1 dans 3 récents sondages publiés depuis septembre.

Ça risque de ne pas être évident si les SUV deviennent la norme.

Non, les SUV ne sont pas juste un effet de mode

En fait, ce n’est pas simplement parce que les consommateurs aiment les designs « virils » qui « valorisent les hommes et rassurent les femmes » (sic) qu’ils achètent des SUV. Ni parce qu’ils ont besoin au quotidien d’un véhicule quasi-utilitaire pour faire leurs courses.

Non, c’est aussi et surtout parce que les constructeurs font depuis des années un marketing agressif et incessants pour promouvoir ces véhicules, à grands coups de journée porte ouvertes (que monsieur pourra aller visiter pendant que sa femme accouche), de promotions et de spots de pub.

Selon la fondation Nicolas Hulot, près de 1500 euros de pubs sont dépensés pour chaque véhicule vendu en France. Et il suffit de regarder une page de pub à la télévision pour se rendre compte que les SUV sont parmi les véhicules qui profitent le plus de ces dépenses publicitaires.

Est-il sain, logique et pertinent de continuer à dépenser autant d’argent pour faire la promotion de véhicules que l’on devrait tout faire pour limiter ?

Non, les SUV ne sont pas un détail dans nos problèmes environnementaux

Alors, évidemment, si l’on compare les émissions d’un SUV à celles d’un Airbus A380, les émissions de nos chers crossovers peuvent apparaître comme négligeables. Mais c’est loin d’être le cas.

Il faut garder à l’esprit qu’en France, le transport routier est la principale source d’émissions de CO2. Et qu’au niveau mondial c’est l’une des plus importantes juste après la consommation énergétique des bâtiments.

Si l’on se met à vendre de plus en plus de véhicules plus lourds, plus polluants, plus encombrants, alors il va être très compliqué de faire baisser nos émissions globales, même si l’on fait des efforts par ailleurs.

Selon une étude récente de l’Agence Internationale de l’Énergie (qui ne sont pas exactement des « écolo furieux »), la multiplication des SUV est d’ailleurs le deuxième contributeur le plus important à la hausse des émissions de CO2. Mais si ce n’était que ça : plus de véhicules lourds, c’est plus de matériaux et de ressources naturelles consommées pour fabriquer le véhicule. On comprend aisément qu’un SUV d’une tonne et demi embarque plus de métaux, de plastiques et de matériaux composites qu’une Citroën C1 de 800 kg. Un SUV, est aussi 15% à 25% plus large qu’une citadine compacte. Cela implique aussi de faire des parkings plus grands. Cela empiète sur les pistes cyclables et donc rend plus difficile le passage à une mobilité douce.

Tout ça, multiplié par des millions d’acheteurs, ce n’est pas rien. Rien qu’aujourd’hui, les voitures mondiales polluent 2 fois plus que l’ensemble de l’aviation et du transport maritime réunis. Quid d’un monde où le SUV serait la norme ?

Non, les faiblesses du système de bonus-malus ne justifient pas l’engouement pour le SUV

Les chevaliers protecteurs du SUV se cachent derrière un dernier argument dans leur plaidoyer pour la sauvegarde du SUV : le système des bonus-malus serait mal fait !

Il est vrai que le bonus-malus actuel, calculé sur les émissions de CO2 uniquement, est forcément plus tendre avec les SUV diesels, qui par définition émettent moins de CO2 que leurs équivalents essence. Et ce même si le diesel émet plus de polluants atmosphériques.

Mais ce n’est pas le propos. D’abord, il est évident que le transport pose de nombreux problèmes environnementaux (CO2, pollutions de l’air et particules fines, bruit…) et que les systèmes incitatifs (bonus-malus, Crit’Air) ne sont pas toujours parfaitement adaptés. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains proposent d’instaurer un bonus-malus au poids, qui pénaliserait forcément les SUV, plus lourds.

Mais surtout, il existe toute une gamme de véhicules, essence et diesel qui émettent à la fois moins de CO2 et de particules fines que les SUV. Et, en plus, ils sont généralement au moins 2 à 3 fois moins chers que les SUV, justement. Quand il faut débourser entre 25 000 et 40 000 euros pour un SUV « compact » type Kadjar, une C1, une Twingo ou une Fiat 500 ne coûtent qu’autour de 10 000 à 15 000 euros. Et ces véhicules émettent à la fois moins de CO2 (même en essence à condition de choisir des petites cylindrées) et moins de particules fines.

Oui, le choix d’acheter un SUV est déconnecté de toute logique écologique, économique et collective

Le choix d’acheter un SUV ne répond donc ni à des impératifs réellement financiers, ni encore moins écologiques (puisqu’il existe moins cher et plus écolo). Il ne répond pas non plus à des besoins d’usage impérieux : la majorité des gens on rarement besoin d’un 4×4, ou d’un volume utile gigantesque, en ville qui plus est.

Au mieux, le choix d’acheter un SUV relève de la liberté de chacun de « succomber au diktat de la mode » comme disent ses partisans, mais cela reste une mode en totale contradiction avec des urgences bien réelles comme la lutte contre le réchauffement climatique et même la lutte contre la pollution de l’air. Cette mode est aussi un non-sens collectif puisqu’elle implique de continuer à penser et organiser notre mobilité sur des critères qui seront bientôt complètement obsolètes : de gros véhicules individuels puissants et sur-consommateurs.

À l’heure où l’on prend conscience de l’urgence de passer à une mobilité différente, continuer de défendre le SUV relève donc d’un triste et cynique aveuglement.

Photo par Anna Utochkina sur Unsplash