Pour la transition écologique, et en particulier la transition énergétique, nous allons avoir besoin de matériaux : lithium, cobalt, cuivre, terres rares. Vont-ils manquer ? Y’aura-t-il une crise, un épuisement des ressources naturelles ? On fait le point.

Aujourd’hui, les propositions relatives à la transition écologique reposent très largement sur des dispositifs technologiques : énergies renouvelables, voiture électrique, hydrogène « vert » ou encore smart-city. La sortie des énergies fossiles, l’efficacité énergétique, et même l’agriculture de demain sont souvent envisagées d’abord à travers le prisme technologique.

Le problème, c’est que ces technologies reposent sur l’usage d’un certain nombre de matériaux. Par exemple, pour produire des infrastructures de production d’énergie renouvelable, il faut des métaux divers : des terres rares (neodyme, niobium, erbium, dysprosium…), des métaux comme le cuivre pour l’électrification, du lithium et du cobalt pour produire des systèmes de stockage de l’électricité… Pour la voiture électrique, même chose : cuivre, cobalt, lithium et d’autres. Pour la production d’hydrogène : iridium, platinum, tantalum, nickel…

Mais alors, aura-t-on suffisamment de ces ressources pour mener la transition écologique en nous basant sur ces technologies ? Ne risque-t-on pas de faire face à des pénuries ? Tentons de comprendre.

Transition énergétique : la dépendance aux ressources

Plus nos systèmes techniques deviennent complexes, plus nous devenons dépendants des ressources naturelles et en particulier des minéraux et métaux. À la fin du XIXème siècle, l’ensemble de l’industrie moderne reposait sur l’usage d’une quinzaine de métaux qui servaient à fabriquer nos machines et nos technologies : fer, cuivre, aluminium, or, nickel… Aujourd’hui, avec le développement des technologies énergétiques nouvelles, du numérique et de l’informatique et d’autres technologies de pointe, ce sont plus d’une soixantaine qui sont exploités aujourd’hui, dont certains sont considérés comme rares : terres rares, platinoïdes, graphène et bien d’autres.

Avec la complexification et le développement de notre économie, nous avons donc besoin d’une variété de plus en plus importante de matériaux, mais nous en avons aussi besoin en des quantités de plus en plus fortes. La quantité de cuivre consommée dans le monde a ainsi été multipliée par 10 durant les 100 dernières années. Les métaux nouveaux, et notamment les terres rares, voient aussi leur consommation augmenter de façon très rapide depuis quelques décennies : c’est le cas du lithium dont la production a été multipliée par 3 entre 2010 et aujourd’hui.

Bref, nous sommes de plus en plus dépendants des ressources naturelles. Or ces ressources ne sont pas disponibles en quantités infinies sur terre. Il faut donc tenter de mesurer ce que l’on appelle la « criticité » de ces matières premières, c’est-à-dire le rapport entre nos besoins en ressources et leur disponibilité. On dit qu’une ressource est « critique » lorsque sa disponibilité pourrait être remise en cause à moyen terme par nos besoins.

Les ressources critiques et la transition écologique

La mesure de la criticité des ressources est hautement spéculative, car elle nécessite de faire un certain nombre d’hypothèses. D’abord il faut connaître les ressources géologiques, puis connaître nos usages et la façon dont ils sont susceptibles d’évoluer, prévoir comment évolueront les prix et les technologies d’extraction des matériaux mais aussi les technologies qui utilisent ces matériaux. L’exercice n’est donc jamais une prédiction d’une absolue précision, mais il permet de dégager des tendances, et de voir quelles sont les ressources où nous pourrions être « à risque » d’une pénurie ou d’une tension sur les marchés.

Ce travail de prospective est aujourd’hui réalisé par de grandes institutions au niveau mondial. La Commission Européenne, par exemple, recense les matériaux considérés comme critiques pour l’Union Européenne. Pour les Etats-Unis, c’est l’United States Geological Survey, grande institution d’experts géologues, qui fait ce travail. Résultat ? Près de 50 matériaux et minéraux sont considérés aujourd’hui comme critiques, d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique.

Et parmi ces métaux, un certain nombre sont cruciaux dans la transition énergétique. C’est le cas du cuivre, du cobalt, du nickel, des platinoïdes ou encore des terres rares, du lithium et d’autres. Prenons quelques exemples pour illustrer le lien entre ces métaux critiques et la transition écologique. Les véhicules électrifiés, par exemple, ont besoin de cobalt, de cuivre, de lanthane, de lithium. Pour donner un ordre de grandeur : selon l’IFPEN (Institut Français pour les Énergies Nouvelles) 20 kg de cuivre sont nécessaires pour fabriquer un véhicule thermique, 40 kg pour un véhicule hybride et environ 80 kg pour un véhicule électrique. En ce qui concerne les véhicules à hydrogène, les piles à combustible qu’elles contiennent nécessitent l’usage de platine, de palladium, de rhodium. Les technologies de l’éolien font appel au cuivre, mais aussi pour leurs aimants permanents au néodyme, au dysprosium, au terbium. On pourrait continuer avec les technologies solaires, les batteries, les électrolyseurs à hydrogène et bien d’autres technologies.

En gros, toutes les technologies présentées comme « durables », « bas carbone », « vertes » reposent systématiquement sur l’usage accru d’un certain nombre de matériaux, notamment des métaux.

Transition écologique et tension sur les ressources naturelles

Plusieurs organismes, notamment l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) ou l’Institut Français pour les Énergies Nouvelles (IFPEN), ont donc voulu évaluer précisément la criticité de ces ressources en lien avec la transition écologique. Comment vont évoluer nos besoins en ressources ? De combien d’années de réserves de ces ressources disposons-nous ? Les résultats ont de quoi inquiéter.

En effet, selon l’AIE, le déploiement massif des technologies de la transition écologique pourrait par exemple multiplier nos besoins en lithium par près de 15 d’ici 2040. Il multiplierait nos besoins en cobalt par 5. Et si l’on met en parallèle la hausse de ces besoins avec nos réserves ? On pourrait épuiser une très grande partie des réserves géologiques de ressources naturelles en seulement quelques décennies.

L’IFPEN a ainsi calculé que, si l’on déployait toutes les technologies nécessaires pour limiter le réchauffement climatique sous les 2 degrés, près de 90 % des ressources en cuivre connues aujourd’hui seraient extraites d’ici 2050. Pour le cobalt, l’institut prévoit une extraction de 65 à 85%, et pour le nickel, autour de 50%. En 30 ans, on aura donc épuisé entre la moitié et la quasi-totalité de certaines ressources minérales disponibles pour la planète. Et ce, sans même avoir développé ces technologies de façon égalitaire sur la planète. Il faudra donc continuer à les déployer, notamment dans les pays les moins avancés, dans les décennies qui suivront.

La transition écologique et les risques du pari technologique

Avec la transition écologique que nous menons aujourd’hui, nous sommes donc probablement en train de rejouer le même scénario que celui que nous jouons aujourd’hui avec les énergies fossiles. L’actualité récente et la guerre en Ukraine nous le rappellent brutalement : nous avons bâti l’ensemble de notre système économique et social sur l’usage des énergies fossiles, pétrole, gaz et charbon, ressources énergétiques limitées et géographiquement concentrées. Nous sommes donc vulnérables dès qu’il existe une tension sur ce marché. Or la transition écologique telle qu’elle est aujourd’hui menée dans la plupart des grandes puissances mondiales ne fait que répéter cette stratégie de dépendance.

Plutôt que de nous émanciper, nous sommes en train de déplacer nos chaînes, et probablement de les alourdir. Car le pari que nous faisons aujourd’hui, celui d’une transition écologique reposant sur des technologies gourmandes en ressources, risque de nous enfermer dans un modèle où au lieu d’être dépendants des seules énergies fossiles, nous serons dépendants de ces minéraux, sans pour autant nous libérer des énergies fossiles, qu’il faudra sans doute encore utiliser pour les extraire.

Il faudra donc tôt ou tard s’interroger sur les risques de ce pari d’une transition essentiellement technologique. Quand on sait que ces ressources sont presque toujours concentrées géographiquement (50% des réserves mondiales connues de cobalt se trouvent en République Démocratique du Congo, par exemple), que leur exploitation est souvent une catastrophe environnementale et sociale, cela pose de nombreuses questions. Pourrons-nous tenir ce pari sur le long terme ? Les ressources seront-elles suffisantes ? Quelles conséquences géopolitiques aura la dépendance à ces ressources ?

Transition écologique et ressources naturelles : un risque multiforme

Mais le risque associé à cette dépendance nouvelle aux ressources naturelles n’est pas qu’un risque de disponibilité. Même si nous parvenons à extraire suffisamment de ressources pour mettre en oeuvre la transition énergétique à l’échelle globale, cela ne signifie pas pour autant que cette transition sera réellement « écologique ». Car derrière l’exploitation de ces ressources naturelles se cachent d’autres externalités environnementales. Les activités minières, la production et le traitement de toutes ces ressources naturelles dégradent aussi les écosystèmes, détruisent la biodiversité, et génèrent pollution et déchets.

Il faudra donc veiller à ne pas créer de nouvelles crises écologiques avec les technologies supposées nous permettre de résoudre (entre autre) la crise climatique.

De nombreux experts mettent en tout cas dès aujourd’hui en garde contre le risque de tensions liées à l’exploitation des matériaux, les risques de hausse des prix ou encore les risques environnementaux. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, la question reste un impensé du débat public sur la transition écologique. Et on continue, jour après jour, à mettre notre confiance entièrement dans des technologies qui nous demanderont toujours plus de matériaux et de ressources naturelles. Sans envisager ni la sobriété, sans anticiper un changement de modèle.

Jusqu’au jour où, comme avec le réchauffement climatique et le pic pétrolier, on se rendra compte que le pari était un peu risqué.

Photo par Matthew de Livera sur Unsplash

[box]

Se former aux enjeux en lien avec les Ressources naturelles et les déchets :

Organisme de formation certifié Qualiopi au titre de la catégorie d’action suivante : actions de formation, Youmatter for Organizations accompagne les organisations à la sensibilisation et formation de leurs collaborateurs sur les enjeux liés aux ressources naturelles et à la gestion des déchets.

En 3 heures, la formation « Ressources naturelles et déchets » permet de mieux appréhender les enjeux d’épuisement des ressources naturelles & cibler les impacts économiques et environnementaux de son activité professionnelle pour définir des alternatives efficaces.

Pour plus d’informations, consultez notre catalogue de formations.

[/box]