Gratuité des transports en commun : quels avantages, quels inconvénients ? Est-ce LA solution pour une ville écolo et sans voiture ? En y regardant de plus près, pas forcément…

Adoptée par plus d’une trentaine de villes en France, la gratuité des transports fait régulièrement débat. La mesure s’est d’ailleurs invitée dans le débat politique de l’Île-de-France, puisqu’elle est désormais au programme de certains élus.

Le débat sur les avantages et les inconvénients de la gratuité des transports reviennent régulièrement sur la scène publique. Alors pour y voir plus clair, tentons d’objectiver la question en analysant les avantages et les principales limites que pose la gratuité des transports en commun.

Gratuité des transports : des avantages théoriques

Tout d’abord, la gratuité des transports en commun permet en théorie une hausse de la fréquentation. Lorsqu’un service est gratuit, il y a moins de freins à son usage. Par exemple un an après sa mise en œuvre, la gratuité des transports à Dunkerque a fait exploser la fréquentation du réseau de +85%, dont +125% le week-end.

La gratuité peut aussi permettre de diminuer les dépenses liées au fonctionnement du service : plus besoin de fabriquer des tickets, de machine pour les composter ou encore de payer des contrôleurs. La suppression des billets fait ainsi économiser à Châteauroux plus de 100 000€ par an.

En théorie, si la gratuité des transports permet d’augmenter l’usage du service, elle peut aussi provoquer certains bénéfices écologiques. En effet, si les habitants d’une ville utilisent les transports en commun plutôt que leurs voitures, alors cela limite la pollution et les émissions de gaz à effet de serre, tout en diminuant l’encombrement des routes.

Qui paye la facture des transports en commun gratuits ?

Toutefois, la gratuité n’est pas une recette miracle pour autant. Le principal problème lié à ce type de mesure est celui du financement.

Lorsqu’une ville passe à la gratuité des transports, elle est privée de ses recettes liée à la vente de tickets. La perte de ces recettes n’est pas forcément compensée par la diminution des dépenses de fonctionnement. D’autre part la gratuité entraîne bien souvent une hausse de la fréquentation des transports qui peuvent alors rapidement être saturés. Pour continuer d’assurer un service de qualité, la ville est alors contrainte d’augmenter le nombre de bus mais aussi de payer davantage de conducteurs afin de répondre à la demande. Ainsi, la ville de Châteauroux a notamment dû augmenter par 2 le nombre de bus sur 4 de ses lignes aux heures de pointe. Alors, si les usagers ne paient plus, qui paie pour financer ce système ?

Dans beaucoup de villes, ce sont les entreprises qui payent la facture au moyen du « versement transport » calculé sur la base de leur masse salariale. À Aubagne, le versement transport a triplé avec la mise en place de la gratuité passant de 0,6% à 1,8% de la masse salariale. Mais le versement transport a un plafond et parfois il ne suffit pas à couvrir l’ensemble des coûts. La seule possibilité pour la collectivité est alors d’augmenter les impôts locaux autrement dit la taxe d’habitation ou encore des différentes taxes foncières…

Pour la FNAUT et l’UTP, deux associations d’usagers, la gratuité des transports en commun « menace la qualité du service rendu aux voyageurs à terme » car celle-ci ne permettrait pas « d’absorber efficacement le rebond de fréquentation qu’elle suscite »

La ville de Niort par exemple a baissé l’offre en même temps qu’elle instaurait la gratuité, et est la ville dans laquelle l’augmentation de la fréquentation du réseau de transport a été la plus faible. Le nombre d’usagers a augmenté lors de la mise en place de la gratuité, mais le taux de fréquentation a rechuté ensuite, l’offre ne suivant pas.

L’équation est donc complexe : moins de financement direct, pour une offre qui doit croître, tout en préservant la qualité du service… Pas simple.

Les mesures de gratuité visent-elles les bonnes cibles ?

L’objectif de la gratuité des transports est d’augmenter leur usage pour bénéficier des cobénéfices environnementaux des transports en commun par rapport aux transports individuels. Mais cela fonctionne-t-il vraiment ? La gratuité permet-elle de créer un report modal, de faire passer les habitants de la voiture aux transports en commun ?

Les études sur le sujet convergent à dire que le report modal a principalement lieu des modes de déplacement actif (marche, vélo) vers les transports en commun alors que le report modal depuis l’automobile est présent mais généralement très faible.

Par ailleurs, ce sont avant tout les habitués comme les personnes âgées ou les étudiants qui grâce à la gratuité prennent encore plus souvent que d’habitude les transports en commun pour effectuer des trajets nouveaux ou alors qu’ils effectuaient auparavant à pied ou à vélo.

Autrement dit, la gratuité n’est pas forcément efficace pour encourager les automobilistes à délaisser leur voiture. Cela ne permet donc pas vraiment de décongestionner les routes ou de limiter la pollution.

Le choix du moyen de transport ne dépend pas uniquement de son prix

Mais alors pourquoi les automobilistes ont-ils tant de mal à se séparer de leur voiture pour les trajets quotidiens ? Pourquoi la gratuité ne permet-elle généralement pas de créer du report modal ?

Coût direct et coût indirect des transports

Pour bien comprendre, intéressons-nous aux déterminants du choix modal par les agents. Pour choisir un mode de transport, l’usager compare « les coûts généralisés » associés aux différents modes de transport disponibles. Le coût généralisé est composé du coût monétaire direct (le prix du billet de transport), mais aussi des coûts indirects tels que le temps de transport (pour l’attente et le trajet), l’inconfort dans les transports publics, l’incertitude quant aux heures d’arrivée ou encore la difficulté de l’intermodalité (présence de parkings relai en nombre suffisant etc).

Or, la gratuité des transports en commun joue que sur l’une de ces variables : le coût. La gratuité n’améliore pas le confort de trajet, l’incertitude liée au temps de transport, la fréquence ou la densité du réseau de transports en commun. Pire, elle peut dégrader ces « coûts indirects », le manque de financement ne permettant pas d’améliorer le réseau.

Pour que l’usage des transports en commun devienne plus intéressant que la voiture individuelle, les contributions scientifiques suggèrent qu’il faut modifier le coût relatif des modes de transport. Autrement dit, rendre les transports en commun plus attractifs et la voiture moins attractive.

Or d’après Yves Crozet, économiste français et spécialiste de l’économie des transports, les automobilistes n’ont pas l’impression que la voiture leur coûte très cher car ils sont avant tout sensibles au coût marginal (coût de l’essence, du stationnement). D’un point de vue financier, rendre la voiture moins attractive peut donc passer par une taxation plus importante de l’automobile, à l’achat, ou sur le modèle d’un péage urbain par exemple. Les performances sur la pression automobile semblent globalement avérées pour les villes qui l’ont mis en place.

Pour autant, cela ne règlera pas le problème des coûts indirects qui doivent être palliés par d’autres mesures et la tarification ne constitue pas le seul outil en mesure de modifier le coût relatif des différents modes de transport. La question de l’espace laissé à l’automobile (nombre de bandes de circulation par exemple), celle laissée aux autres modes de transport (vélo, transports en commun…) et la promotion d’un usage plus efficace de la voiture (covoiturage, auto-partage…) sont autant d’éléments qui doivent être pris en compte dans une approche globale de la mobilité urbaine au-delà de l’unique question de la tarification.

Une mesure mieux adaptée aux villes de taille moyenne ?

En fait, la gratuité des transports n’est tout simplement pas exportable partout. C’est en tous cas le constat de Charles-Eric Lemaignen, vice-président du Groupement des autorités responsables de transport, dans un entretien pour Le Monde d’après une étude qu’il a menée sur le sujet.

Aujourd’hui, 35 villes françaises ont rendu leur réseau de transport 100% gratuit dont certaines de plus de 100 000 habitants telles que Calais, Dunkerque, Aubagne ou Niort.

Mais ces villes ont toutes un point commun : avant la mise en place de la gratuité, leur réseau de bus était peu performant et sous utilisé, avec, par conséquent, des recettes commerciales faibles (environ 155 000 euros par an de recettes pour les réseaux de moins de 50 000 habitants). La gratuité relève alors davantage d’un choix politique que de faisabilité.

En revanche, au sein de métropoles comme Lille avec 100 millions d’euros de recettes annuelles ou Lyon avec 226 millions d’euros et d’autres grandes villes, difficile de se priver de telles recettes tarifaires. Elles servent notamment à développer le réseau et préparer la transition énergétique.

Selon Charles-Eric Lemaignen, « l’enjeu financier est d’autant plus important que nos collectivités locales ont de moins en moins d’argent – phénomène qui va s’accentuer avec la suppression de la taxe d’habitation – et doivent forcément établir des priorités. »

Réduction des prix, tarification solidaire : des alternatives à la gratuité ?

La gratuité n’est donc pas forcément la plus opportune ou durable selon le contexte. Mais pour permettre à chacun d’utiliser les transports indépendamment de sa situation financière, des solutions comme une baisse des prix ou une tarification où chacun paye en fonction de ses moyens semblent séduisantes.

Elles intéressent notamment les grandes villes comme Lyon, qui met en place dès le 1er septembre 2021 une tarification de 25€ pour les étudiants et de 10€ pour les étudiants boursiers contre 32,50€ normalement.

De telles mesures incitent la population à prendre les transports en commun sans que les villes ne perdent (trop) d’argent.

Dans tous les cas, les villes françaises dépensent en moyenne 9 fois plus pour les voitures en travaux de voirie ou de stationnement que pour les transports en commun. Une partie de cet argent pourrait alors être consacrée au développement des transports en commun.

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