Nouveaux statuts des sociétés et RSE : la transformation des statuts servira-t-elle le bien commun ?

Marc Unfried - Délégué Général

RSE Lib

Conseiller Sociétal depuis 2009 après avoir dirigé les opérations RSE du Groupe Soparind Bongrain, Marc Unfried met au service des PME son expérience et expertise opérationnelle de la RSE comme cadre d'application d'une performance globale pour les organisations, dans un objectif d'innovation et de création d'emplois. Ses missions de Conseiller Sociétal l'ont conduit à développer une expertise multisectorielle de la RSE par l'évaluation et l'analyse des bonnes pratiques au sein de plusieurs interprofessions. Par ailleurs, Marc Unfried est également évaluateur technique d'un organisme national d'accréditation, pour les vérifications des informations sociales, environnementales et sociétales des rapports annuels du conseil d'administration ou du directoire. Enfin, Marc Unfried enseigne depuis 2011 sur différents champs disciplinaires de la RSE auprès de MBA d'écoles de commerce (ISTEC, mbaESG, SKEMA).

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La révision du code civil, au cœur du projet de Loi PACTE, instaure un débat sur la place de l’entreprise dans la société. Quelles sont les évolutions à venir ? La RSE y gagnera-t-elle en lisibilité ? Pour quelles conséquences ? Qu’adviendra-t-il de l’économie sociale et solidaire ? RSE Lib décrypte les changements à venir…

Loi PACTE : décryptage

Avec le projet de loi Pacte, la mission de l’entreprise ne se limitera plus au profit. Contribution à l’intérêt collectif, actionnariat plus responsable, meilleur dialogue social… Un nouveau paradigme parfaitement en phase avec une nouvelle ère où l’entreprise s’empare de son rôle sociétal. Un véritable alignement des planètes pour la RSE. Mais que propose le gouvernement ? Que contient ce projet ?

Le projet de loi PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), c’est avant tout une vision qui consacre l’entreprise comme un lieu d’innovation collective, produisant de l’utilité au service d’une économie juste, efficace, durable.

Objectif ? Donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois. Mais aussi repenser la place des entreprise dans la société et mieux associer les salariés à leurs résultats.

Basé sur une logique de co-construction avec tous les acteurs, le projet débute en décembre 2017 avec une 1ère phase de consultation autour de 6 thèmes :

  • Création, croissance, transmission et rebond.
  • Financement des entreprises.
  • Numérisation et innovation.
  • Simplification.
  • Conquête de l’international.
  • Et surtout, thème fortement RSE qui nous intéresse : partage de la valeur et engagement sociétal des entreprises.

Résultat : 38 organisations ont contribué et formulé 980 propositions.

1) Mieux partager la valeur et l’engagement des entreprises

Le projet PACTE constitue une réelle opportunité pour impulser et déployer la responsabilité sociétale des entreprises. 5 propositions viennent concourir à l’objectif de partage et d’engagement, avec en tête la création des entreprises à mission, ou encore à objet social élargi qui provoque la controverse.

Autres objectifs :

  • Renforcer le système d’autorégulation comme outil de compétitivité en engageant une consultation de place pour des propositions sur la rédaction et la supervision du principal code de gouvernement d’entreprises (proposition 2).
  • Favoriser un meilleur dialogue émetteurs investisseurs en clarifiant les droits et devoirs de part et d’autre via le droit souple et la transposition de la directive « droits des actionnaires » (proposition 3).
  • Simplifier et renforcer le recours à l’intéressement et à la participation, notamment pour les PME (proposition 4).
  • Continuer à développer l’actionnariat salarié en visant un objectif de 10 % du capital des entreprises françaises détenu par les salariés (Proposition 5).

2) Contribuer à l’intérêt collectif

« L’entreprise ne se résume pas à la réalisation de profits : elle a une dimension sociale, environnementale ». C’est ce qu’affirme le rapport Sénard-Cotat remis au ministre de l’économe Bruno Le Maire le 9 mars dernier, qui fait écho aux convictions profondes d’Henry Ford : « L’entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l’on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n’aura plus de raison d’être. »

Cette mission de l’entreprise s’appuie sur plusieurs constats :

  • Les entreprises considèrent déjà leurs enjeux sociaux et environnementaux.
  • L’image de l’entreprise est dépréciée par rapport à ce qu’elle pourrait être.
  • Le droit des sociétés est perçu comme décalé avec la réalité des entreprises et des attentes.

3) Inscrire la mission dans la loi

Afin de faire figurer la raison d’être au cœur de la loi, le rapport Sénard-Cotat émet 14 recommandations sur les plans législatif, juridique et pratique qui entraînent des modifications du code civil, plus spécifiquement des articles suivants :

  • Art. 1832. La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter, à travers la poursuite d’une activité soutenable et responsable. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne.
  • Art. 1833. Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.

4) Rendre l’entreprise à mission accessible

Des États-Unis à l’Italie, en passant par le Canada ou le Royaume-Uni, les entreprises à mission fleurissent et traduisent une dynamique puissante. 69 % des dirigeants considèrent que l’entreprise à mission représente un avantage compétitif. Or, 15 % seulement d’entre eux déclarent remplir les critères d’accès. L’enjeu est donc de rendre ce statut accessible à toutes les formes juridiques de société. C’est l’objet de la recommandation n°12 qui propose :

  • l’inscription de la raison d’être de l’entreprise dans ses statuts ;
  • l’existence d’un comité d’impact doté de moyens, éventuellement composé de parties prenantes ;
  • la mesure par un tiers et la reddition publique par les organes de gouvernance du respect de la raison d’être inscrite dans les statuts ;
  • la publication d’une déclaration de performance extra-financière comme les sociétés de plus de 500 salariés.

5) Transmettre l’entreprise sans en dénaturer l’esprit

700 000 entreprises familiales devraient être transmises dans les quinze prochaines années en France. Mais comment s’assurer que leur raison d’être ne soit pas dévoyée lors d’un rachat ? La recommandation n°14 permet d’assouplir la détention de parts sociales majoritaires par les fondations, sans en dénaturer l’esprit, et d’envisager la création de fonds de transmission et de pérennisation des entreprises. Qui sait que Tata (Inde), Bosch ou Bertelsmann (Allemagne), Rolex (Suisse), Ikea (Suède), Carlsberg (Danemark), ou Pierre Fabre (France) appartiennent à… des fondations ? Elles sont plus de 1 000 en Allemagne, 1 000 en Suède, 1 350 au Danemark, ces entreprises grandes ou plus petites, dont les fondateurs ont fait le choix de transmettre tout ou partie du capital et des droits de vote, à des fondations.

A noter : le terme de fondation et la fiscalité afférente doivent être réservés aux missions philanthropiques et d’intérêt général. Ces fondations peuvent depuis 2005 détenir la majorité des parts d’une entreprise sans intervenir dans sa gestion.

La RSE au coeur de la Loi PACTE

Le rapport Sénard-Cotat place la RSE au centre des préoccupations. Selon France Stratégie, l’écart de performance économique est d’environ 13 % en moyenne entre les entreprises qui mettent en place des pratiques RSE et celles qui ne le font pas. LA RSE constitue donc un levier de performance économique important ; comme en témoigne le tableau ci-dessous, les entreprises françaises affichent de bons résultats en la matière, comparativement aux pays BRICS et de l’OCDE.

D’où la préconisation d’un accompagnement au développement de labels RSE sectoriels pour en faire un outil de renforcement du dialogue social dans les branches professionnelles (recommandation n°3). A cet effet, la plateforme RSE, présidée par Sylvain Boucherand, planche sur une expérimentation adaptée aux TPE, PME et ETI. Objectif ? Assurer une mesure fiable et pertinente de la performance globale des entreprises et des organisations.

Viennent s’ajouter d’autres actions complémentaires :

  • Inciter les grandes entreprises à se doter à l’initiative des dirigeants d’un comité de parties prenantes, indépendant du conseil d’administration (recommandation n°4).
  • Développer les critères RSE dans les rémunérations variables des dirigeants (recommandation n°5).
  • Engager une étude sur le comportement responsable de l’actionnaire, dans la continuité de la réflexion enclenchée sur l’entreprise (recommandation n°9)
  • Engager une étude concertée sur les conditions auxquelles les normes comptables doivent répondre pour servir l’intérêt général et la considération des enjeux sociaux et environnementaux (recommandation n°10).
  • Envisager la création d’un acteur européen de labellisation, adapté aux spécificités du continent européen, pour labelliser les entreprises à mission européennes (recommandation n°13).

Les controverses

La loi Pacte suscite quelques inquiétudes de la part des syndicats patronaux, des adeptes du droit dur, ou encore des acteurs de l’économie sociale et solidaire.

1) Vers une ingérence dans la gestion des entreprises ?

Ce dispositif divise fortement les dirigeants français. Les syndicats patronaux parlent de « jeu très dangereux, faisant peser sur les entreprises un risque majeur et même vital ». La modification mettrait « en difficulté l’ensemble des entreprises françaises » et les rendraient « dépendantes face à des activistes environnementaux ». C’est une « mauvaise réponse à une vraie question. Mettre de manière autoritaire sur un pied d’égalité juridique les salariés, les fournisseurs, les clients ou toute autre communauté potentiellement affectée par l’activité de l’entreprise quelle qu’elle soit, risquerait en effet d’entraîner une multiplication des contentieux. »

Face aux détracteurs, les partisans d’une entreprise à mission soutiennent que « nos sociétés contemporaines attendent de l’entreprise qu’elle joue un rôle prépondérant dans la recherche d’une croissance raisonnée, génératrice de bien-être et de progrès. » « Si [les] dispositions [du code civil] constituaient un progrès important lors de leur adoption il y a plus de deux siècles, il n’est pas choquant de devoir les adapter à notre monde actuel. Plutôt que de proposer de nouvelles structures juridiques (…) nous proposons de mettre la responsabilité sociale de l’entreprise au centre de ses documents constitutifs. »

2) Droit souple versus droit dur

Faut-il modifier le code civil ? Toucher à la loi, au « droit dur » ?

La RSE fournit l’exemple-même d’un droit souple progressivement pourvu d’une force quasi-normative. Si la déclaration RSE est légalement obligatoire, son contenu reste façonné par le droit souple : l’entreprise marque sa volonté de mettre en place une démarche RSE en signant les principes directeurs de l’OCDE, le Global compact et des accords-cadres mondiaux…

Le Conseil d’Etat n’affirme-t-il pas déjà en 2013, à propos du droit souple qu’« il n’existe aucune contradiction entre la reconnaissance du droit souple ainsi que son expansion et une meilleure qualité du droit. En donnant un plus grand pouvoir d’initiative aux acteurs, et au-delà plus de responsabilités, le droit souple contribue à oxygéner notre ordre juridique. Par un emploi raisonné, il peut pleinement contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation. »

Par ailleurs, sans nouvelle loi, se profile une vague de judiciarisation. Exemple ? La responsabilité de Total a été engagée dans l’affaire Erika à partir d’éléments de sa charte d’entreprise (Cass. Crim, 25 septembre 2012 n° 10.82-938). En outre, le devoir de vigilance impose aux entreprises de contrôler le respect des droits humains tout au long de leur chaîne d’approvisionnement. Intégré depuis le début des années 2000 dans les textes internationaux destinés aux multinationales mais non contraignant, il commence, doucement à prendre corps dans le droit dur. Un traité international sur le respect des droits humains, légalement contraignant pour les multinationales, est en cours d’élaboration au niveau onusien.

3) Une menace pour les entreprises du champ de l’ESS ?

On compte en France 692 SCIC et 967 entreprises ESUS qui ont pu se sentir menacées par ce nouveau statut. Les entreprises à objet social vont-elles supplanter l’ESS ? Qu’advient-il si cette dernière perd son caractère unique ? Clairement, non, il n’y a pas de concurrence entre les deux statuts mais plutôt une complémentarité, avec la volonté de favoriser les entreprises qui servent le bien commun à travers différents dispositifs.

Tout d’abord, rappelons que l’ESS ne limite pas réellement le profit, c’est-à-dire la constitution d’excédents financiers. Ce qu’elle interdit ou limite, est son appropriation individuelle, afin que cet objectif demeure secondaire :

  • Les excédents doivent être mis en réserve impartageable à hauteur de 57,5 %, avec déduction de l’impôt sur les sociétés. Le reste peut cependant être distribué à la manière de dividendes, sous forme d’intérêts à chaque part sociale
  • Une société commerciale peut entrer dans ce statut en inscrivant dans ses statuts un objet social d’utilité sociale, une gouvernance démocratique et l’affectation au report à nouveau et à la mise en réserve de 50 % des bénéfices. Une moitié des bénéfices peut cependant être distribuée

Une dynamique « EN MARCHE »

Bien loin d’être « hors sol », le projet de loi Pacte répond à une dynamique vertueuse qui s’impose à un moment où l’on doit réinventer l’entreprise et redéfinir sa place dans notre société.

1) Des initiatives qui foisonnent

Bon nombre d’entreprises portent déjà dans leur croissance et leur dynamisme des engagements sociétaux.

  • Vers un actionnariat plus responsable – LVMH, Eiffage ou encore L’Oréal féminisent leurs comités de direction, adoptent des stratégies climatiques plus exigeantes, pratiquent un « say and pay » plus contraignant…
  • Quand engagement social rime avec attractivité – En offrant à leurs salariés une raison d’être et une politique sociale particulièrement attrayantes, ces mêmes groupes se positionnent comme des employeurs de référence.
  • L’émergence de nouveaux statuts – Fin avril 2017, Danone acquiert la marque WhiteWave, leader des yaourts bio aux Etats-Unis, et en fait une filiale à bénéfice public qui permet de concilier but lucratif et mission d’intérêt général.
  • Une exemplarité sur le plan sociétal – L’ambition de TF1 ? Être le reflet de la diversité, promouvoir le lien social et la solidarité ou encore agir pour préserver l’environnement… A cet effet, le groupe lance une plateforme de contenus autour d’opérations concrètes et positives menées par des associations en matière de développement durable, logement ou santé.
  • 100 % de transparence – Le fabricant de baskets bio Veja, quant à lui, présente sur son site Internet la chaîne de fabrication du coton utilisé, les contrats signés avec les producteurs de coton ou caoutchouc, les factures, le prix payé, ses process…
  • La solidarité au niveau local – Le torréfacteur breton Lobodis, qui produit un café équitable, a récemment obtenu la labellisation « Entrepreneurs + engagés » pour ses initiatives écocitoyennes et locales auprès d’Esat.
  • Le crowdfunding au service de la RSE – Comment financer l’évaluation de sa démarche RSE quand on n’en a pas les moyens ? Réponse avec le vignoble Château de L’Eclair qui est en passe de collecter 6000€ via la plateforme Miimosa.
  • Etc., les initiatives ne manquent pas !

2) Un cadre favorable pour les entreprises avant-gardistes

« Ne pas chercher à être la meilleure entreprise du monde, mais à être la meilleure pour le monde » : c’est le leitmotiv du mouvement « B corp » qui, en 2017, compte 2 064 sociétés certifiées, issues de 131 secteurs d’industries et provenant de 51 pays. Lancé aux États-Unis, ce nouveau statut de sociétés lucratives à impacts sociaux et environnementaux est une alternative à la recherche de maximisation de la valeur pour l’actionnaire. On passe d’une réflexion sur les moyens (reporting) à une réflexion sur les fins (l’attention aux impacts sociaux et environnementaux). Selon un sondage, sur 623 chefs d’entreprise interrogés, 15 % pensent être déjà à la tête d’une société conciliant recherche du profit et intérêt général. 65 % estiment que toute entreprise devrait pouvoir inscrire formellement une mission spécifique dans son objet social.

Le projet de loi Pacte vise à valoriser les entreprises contributrices, celles qui participent à l’intérêt collectif et associent mieux les salariés à leurs résultatS. Loin de sortir du chapeau, cette réforme répond à une tendance de fond, déjà bien amorcée par des acteurs pionniers, conscients des atouts de la RSE. A la clé : des moyens pour faire de l’entreprise un lieu d’innovation, de transformation et de création d’emplois. De quoi inciter les entrepreneurs à construire des fabriques de sens…

Crédit photo : Texte de loi sur Shutterstock.

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