L’engagement actionnarial, un outil d’investissement responsable pour LBP AM

Héléna Charrier - Responsable des Solutions ISR pour le groupe LBP AM

La Banque Postale

Héléna Charrier est responsable des Solutions ISR pour le groupe LBP AM depuis octobre 2021, où elle est en charge du développement continu des politiques ISR et des méthodologies ISR et de leur concrète intégration dans la gestion des fonds. Avec son équipe, elle gère ainsi les méthodologies d’analyse, de sélection, et d’exclusion, la production de notations et la coordination des actions d’engagements et de vote. Héléna est également vice-présidente du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) depuis 2017 et membre de la Commission Consultative Climat et Finance Durable de l’AMF depuis 2022.

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L’engagement actionnarial est une pratique issue des pays anglo-saxons, qui a pour objectif de susciter un changement au sein des entreprises via une action d’influence, les actionnaires disposant d’un certain nombre de droits leur permettant de participer à la gouvernance de l’entreprise. Aujourd’hui, des acteurs financiers engagés utilisent ce levier pour pousser à une amélioration, dans la durée, des pratiques environnementales, sociales ou de gouvernance de l’entreprise.

Héléna Charrier, Responsable Solutions ISR, nous explique comment l’engagement actionnarial se concrétise au sein de LBP AM, société de gestion en ISR de La Banque Postale. 

L’engagement actionnarial, un concept difficile à définir 

S’il n’y a pas de définition homogène de l’engagement en France, son objectif est d’encourager les entreprises, qui sont investies soit en dette ou en capital, à améliorer leur performance en matière de gestion des enjeux environnementaux, sociaux ou en lien avec leur gouvernance. Ce mécanisme d’encouragement prend forme via des dialogues informels, c’est-à-dire des échanges entre le management de l’entreprise et l’investisseur, et par un certain nombre de droits et mécanismes formels, réservés à l’actionnaire. Par exemple, en assemblée générale (AG), l’actionnaire peut voter sur les résolutions soumises au vote, mais aussi sous certaines conditions déposer des résolutions et poser des questions auxquelles le management devra répondre. 

L’engagement actionnarial est une approche de l’investissement socialement responsable (ISR), défini par l’association Française de la gestion financière (AFG) en partenariat avec le Forum pour l’investissement Responsable (FIR), comme “un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité. En influençant la gouvernance et le comportement des acteurs, l’ISR favorise une économie responsable.” C’est dans cette seconde partie de définition que nous retrouvons la notion d’engagement actionnarial. 

La pratique est mentionnée dès 2005 comme l’un des six grands Principes pour l’Investissement Responsable (PRI, mis en place sous la houlette des Nations Unies), dont les signataires s’engagent à “être des propriétaires actifs, intégrant les enjeux ESG dans les politiques et pratiques actionnariales”.

Elle s’est progressivement développée en Europe depuis plus de dix ans, s’installant comme un levier d’action légitime parmi la palette d’approches possibles de l’investisseur responsable. Ainsi, cette pratique est promue et encadrée dans les directives sur le droit des actionnaires mais aussi dans le plan finance durable. Aujourd’hui, il est d’ailleurs devenu un pré requis nécessaire pour pouvoir bénéficier du label ISR français. 

L’implication de LBP AM dans l’engagement actionnarial

Du côté de LBP AM, nous avons intégré ce concept depuis 2009 en devenant signataires des  Principes pour l’Investissement Responsable (PRI). Notre objectif est de chercher à encourager les entreprises dans lesquelles nous investissons à s’inscrire dans une démarche de progrès continus sur l’ensemble des sujets de développement durable qui nous semblent pertinents pour leurs activités. 

Nous cherchons à favoriser l’intégration des enjeux de durabilité dans les stratégies des entreprises. Nous cherchons ainsi à encourager les entreprises à formaliser des politiques environnementales ou sociales qui préviennent les impacts négatifs sur la société et l’environnement, et qui contribuent aussi à la croissance et la pérennité des activités de l’entreprise. 

Nous souhaitons également nous assurer d’une mise en œuvre opérationnelle de ces politiques via des plans d’action concrets. Enfin, nous cherchons à promouvoir un bon niveau de transparence et redevabilité, que ce soit sur les politiques ou sur les résultats.

Si nous procédons à une analyse au cas par cas pour identifier les enjeux précis de chaque société, nous avons établi un certain nombre de thématiques prioritaires de suivi et d’engagement vis-à-vis des sociétés investies, exposant nos attentes particulières sur ces sujets qui concernent de nombreuses entreprises. 

L’une de nos priorités est le climat. L’engagement des sociétés sur cette thématique est un levier majeur dans l’atteinte de notre ambition d’alignement progressif de nos portefeuilles sur une trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre qui soit compatible avec les objectifs de l’accord de Paris. 

Dans le cadre de l’initiative Net Zero Investment Managers, nous nous sommes en effet engagés dans une démarche de long terme pour atteindre la neutralité carbone de nos portefeuilles à horizon 2050. Nous nous sommes ainsi dotés d’un objectif intermédiaire : que 80% de nos encours soient alignés sur des trajectoires d’émissions compatibles avec l’accord de Paris, dès 2030. Pour ce faire, nous devons donc investir dans des entreprises qui ont-elles-mêmes d’ores et déjà définis des objectifs qui soient sur une trajectoire de réduction suffisante pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, mais nous voulons surtout inciter les entreprises dont nous sommes déjà investisseurs, à formaliser des plans et des objectifs d’alignement de leurs activités. 

Nous traitons également d’autres sujets que le climat. Nous avons par exemple des attendus en termes de biodiversité, que nous avons tout récemment déclinés autour des enjeux spécifiques de gestion de l’eau, l’économie circulaire, les déchets, ou encore la déforestation. 

Nous nous intéressons également aux droits humains, que ce soient les problématiques au sein des chaînes de valeur, mais aussi les questions liées au droit du travail au sein de l’entreprise, et les problématiques liées à la santé et sécurité des consommateurs et des communautés. Notre processus de gestion des risques et des controverses en matière de droits humains, fondé sur un dispositif de veille continue et de diligences renforcées, nous permet de suivre la manière dont les entreprises appliquent elles-mêmes des principes de vigilance et de diligence qui soient en ligne avec les grands standards internationaux, par exemple les principes de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales ou encore les principes de l’ONU sur les droits humains.

Pour échanger avec les sociétés investies, nous utilisons les différents canaux du dialogue actionnarial :

  • L’engagement du bilatéral avec le management des sociétés. Très concrètement, il s’agit de rendez-vous bilatéraux avec ces entreprises, souvent conduits avec nos analystes et gérants de portefeuille. 
  • Des engagements collaboratifs qui sont menés avec d’autres investisseurs, souvent dans le cadre d’initiatives internationales thématiques.

Cet engagement actionnarial est aujourd’hui une pratique relativement bien déployée sur le marché français. Ainsi, en 2022, trois quarts des sociétés de gestion françaises ont déclaré avoir conduit au moins un engagement. LBP AM se positionnant comme un investisseur responsable, nous nous attachons à mettre en place ces démarches sur une échelle plus importante avec environ 150 engagements et près de 400 échanges ESG par an. 

L’assemblée générale, un levier d’action pour l’engagement actionnarial

Par-delà ce dialogue, nous nous attachons également à utiliser nos droits formels d’actionnaires. 

En 2023, nous avons ainsi voté à 98% de nos AG (près de 1000 assemblées générales) et nous avons pour objectif de passer à 100% en 2025. Selon une étude de l’association française de gestion, en 2022, les sociétés de gestion française exerçaient leur droit de vote sur 91% des actions qu’elles détenaient en portefeuille. 

Dans le cadre de ces votes, nous n’hésitons pas à voter contre des résolutions, qu’elles soient proposées par les entreprises elles-mêmes ou par d’autres actionnaires, si nous estimons qu’elles ne sont pas pertinentes. Dans une démarche de transparence, nous avons publié une politique de vote, qui précise les règles d’analyse que nous appliquons pour déterminer notre position sur une résolution. Notre taux de vote “contre des résolutions” est de 30%, alors que la moyenne des sociétés de gestion française est de 20%. En votant “non”, nous nous attachons lorsque possible à faire passer des messages aux entreprises sur les raisons pour lesquelles nous n’avons pas soutenu une résolution.

Quels sont les sujets prioritaires en AG ? 

Nous pouvons observer une forme de convergence des attentes des investisseurs sur les sujets de gouvernance, en particulier au sein d’un même pays. Certains sujets ne font toutefois pas consensus, par exemple concernant les niveaux absolus de rémunération. Pour LBP AM ce sujet reste un sujet de vigilance, dans un contexte de montée croissante des inégalités de revenus. 

L’analyse des résolutions portant sur la gestion des enjeux environnementaux et sociaux font, quant à eux, encore peu l’unanimité chez les investisseurs, car ce sont des thématiques qui sont discutées plus récemment en AG. De par la diversité des sujets embrassés, il n’y a guère de normes dans la manière de présenter ces résolutions.

LBP AM s’attache de manière générale à faire émerger les sujets environnementaux dans les assemblées générales des entreprises sensibles. En 2023 par exemple, nous avons déposé une résolution (soutenue par un quart des actionnaires) et participé à l’inscription d’un point à l’ordre du jour de l’AG d’ENGIE, pour demander à l’entreprise d’être plus précise dans ses publications afin d’exposer la manière dont elle comptait atteindre ses objectifs de réduction des émissions, sur une trajectoire conforme à l’Accord de Paris. Nous avons également déposé une résolution consultative à l’AG de TotalEnergies, portant sur l’opportunité d’aligner les objectifs de réduction de gaz à effet de serre du scope 3 de la société avec l’Accord de Paris à horizon 2030. Cette résolution, coordonnée par une association néerlandaise, a obtenu un très bon score de soutien avec 30% de la base d’actionnaires. 

Le positionnement de LBP AM lorsque ses critères et valeurs ne sont pas en adéquation avec ceux de l’entreprise investie

Enfin, il nous arrive de prendre des mesures quand nous estimons que l’entreprise n’est pas ouverte au dialogue ou que ce dernier ne permet pas d’atteindre les objectifs poursuivis. Il ne s’agit pas de sanctions puisque nous ne sommes pas une instance judiciaire ou morale, mais en revanche, nous prenons des décisions de gestion.

Par exemple, dans le cadre de notre politique fossile et des attendus minimums de transition que nous avons définis pour les sociétés minières et énergéticiennes dans lesquelles nous investissons, nous avons estimé que certaines avaient des plans de sortie du charbon pertinents mais qui n’étaient pas assez rapides. Dans ce cas de figure, nous nous donnons un an pour échanger avec l’entreprise. Si à cette échéance, cette dernière n’a pas raccourci ses horizons de sortie au niveau espéré, nous nous engageons à vendre les titres. Ainsi nous ne détenons pas de titres ne respectant pas nos horizons de sortie du charbon. 

Cependant il faut bien mesurer que dès que nous vendons le titre, nous n’avons plus aucune influence sur la société. Ainsi, pour d’autres sujets, nous estimons qu’il n’est pas souhaitable de perdre un levier d’action sur l’entreprise. Nous utilisons donc des moyens d’escalade, via les assemblées générales, pour essayer d’accroître peu à peu notre influence auprès de ces entreprises.

Quel avenir pour l’engagement actionnarial ?

Nous réussissons à obtenir des résultats positifs et encourageants qui font progresser à la fois les entreprises et les investisseurs sur des questions d’amélioration de la transparence des entreprises sur différents enjeux sociaux et environnementaux.

Cependant cette démarche a aussi ses limites. Quand l’objet de l’échange concerne l’évolution fondamentale du modèle d’affaires de l’entreprise, il peut y avoir des moments où l’actionnaire, en particulier minoritaire, n’est pas en capacité de se substituer à l’action du régulateur pour créer un modèle économique plus favorable à certaines activités positives pour les hommes et l’environnement, ou a contrario dessiner un calendrier clair d’interdiction de certains pratiques et activités. C’est pourquoi, nous avons également commencé à développer des pratiques consistant à dialoguer avec les régulateurs, afin de faire connaître notre soutien à des initiatives de réglementation qui, d’après nos analyses, contribueraient à une meilleure prise en compte des enjeux de protection de la nature ou des droits fondamentaux par l’économie réelle. 

Force est de constater également que l’engagement actionnarial est à la fois de plus en plus pratiqué, mais s’inscrit aussi dans un contexte de tensions et de lutte juridique de plus en plus forte. Nous observons ainsi l’émergence de mesures de rétorsion fortes vis-à-vis des actionnaires. La société Exxon Mobil par exemple a ainsi récemment engagé un procès contre des actionnaires qui avaient voulu inciter la société à mettre en place des objectifs de réduction de ses émissions du scope 3, essentiellement liées à son mix produit, afin que leur résolution ne soit pas soumise au vote de l’Assemblée Générale. Ces litiges créent des freins à l’action des investisseurs responsables, qui n’ont pas les moyens juridiques de la multinationale. 

L’engagement n’est de manière générale pas une pratique qui n’est pas accessible à tous : sur le marché français, la capacité des investisseurs à déposer des résolutions par exemple reste encore assez limitée aux investisseurs institutionnels : elle n’est pas encore réellement à la portée du grand public ! C’est pourquoi, il est intéressant pour les épargnants de se renseigner sur les politiques et pratiques de vote et d’engagement de leur gérant d’actifs. Chez LBP AM, ces informations sont disponibles sur notre site, qui permet notamment de suivre chacun de nos votes, sur tous nos fonds ouverts. 

Notre plus grande réussite consiste à ce que nos actions de dialogue sortent du seul périmètre des équipes d’analystes ISR et soient portées par l’ensemble de nos gérants de portefeuille. Il est en effet essentiel que les porteurs de la décision financière participent et portent ces échanges !

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