Publié le 8 novembre 2016
L’association RSE Lib organise chaque mois un atelier thématique pour comprendre ce qui fait aujourd’hui que la RSE apparaît comme le langage commun d’un nouveau paradigme managérial et que les organisations en attendent une source d’innovations, d’attractivité et de performance économique. Le 19 octobre dernier, RSE Lib s’intéressait au lien entre objets connectés et Responsabilité Sociétale des entreprises. Retour sur cet atelier avec Valérie Schneider, Présidente de Valérie Schneider Conseil.
500 millions d’objets connectés en 2003 et des prévisions qui tournent autour de 50 milliards en 2020. 12 ans après la 1ère invention, ces objets communicants touchent à tous les domaines d’application si bien que chacun d’entre nous y trouve une utilité. Peut-on cependant envisager un avenir durable sans objets connectés que ce soit à la maison ou au bureau ? Annoncés comme la solution incontournable pour améliorer la performance de l’entreprise, piloter la gestion de la consommation énergétique, optimiser les flux logistiques, etc., n’ont-ils pas un côté obscur, une face cachée ? N’est-ce pas simplement un outil qui fait perdurer notre modèle, un alibi pour redynamiser une économie à bout de souffle ?
Je vais tenter de répondre aux questions suivantes :
- L’objet connecté est-il un levier de progrès ?
- Est-il un vrai ou faux ami du développement durable ?
- Quels sont finalement les liens entre objet connecté et RSE ?
Qu’appelle-t-on un objet connecté ?
Un objet connecté est une chose fabriquée par l’homme dont l’usage est d’établir une liaison afin de pouvoir faire passer des informations diverses et variées à un autre objet ou à toute autre chose connectée. A partir de cette définition très large, remontons le temps pour trouver les premiers objets connectés. Lors de la Première Guerre Mondiale, des caméras, ancêtres de nos GoPro actuelles, étaient attachées au cou de pigeons dressés afin d’espionner les lignes ennemies. Le premier vêtement connecté date de 1961. Il s’agissait d’une chaussure conçue par deux mathématiciens qui embarquait un petit dispositif capable de calculer les probabilités du jeu de la roulette dans les casinos, avec un taux de précision de 44%. Les calculs étaient transmis au joueur par le biais d’un émetteur radio. Cette chaussure connectée fut bien sûr ensuite interdite.
Mais depuis l’aube du XXIème siècle, l’usage massif du numérique en général, notre mode de vie ultra connecté et l’évolution de nos usages ont constitué les germes d’un essor phénoménal des objets connectés. Ils nous promettent plus de flexibilité, un meilleur suivi, une meilleure expérience client, une démarche de prévention et donc l’optimisation des coûts et une meilleure efficacité ! Certains objets connectés combinent des fonctionnalités parfois insoupçonnées. Ainsi, les pèse-personnes connectés conçu par Withings, une société française rachetée cette année par Nokia, donnent bien sûr le poids, l’indice de masse corporelle et depuis peu la météo…
L’objet connecté est-il un levier de progrès ?
L’objet connecté participe indéniablement au progrès. Il est créateur de valeur ajoutée dans de nombreux champs d’application dont voici quelques exemples choisis :
- Dans l’habitat, pour commencer, ils peuvent être utilisés pour optimiser l’éclairage, le chauffage, contrôler volets roulants, porte de garage, portail d’entrée, arrosage automatique ou encore piloter alarmes de sécurité et vidéo surveillance… Somme toute, ces solutions domotiques de la maison connectée nous permettent non seulement une optimisation des coûts et du confort mais également une meilleure gestion de notre impact environnemental.
- Dans l’industrie, les objets connectés facilitent la maintenance préventive. Par exemple, la CPCU (réseau de chaleur de Paris) installe des capteurs intelligents pour gérer ses sous-stations, inspecter et anticiper la réparation de ses canalisations.
- En termes de santé, de nombreux objets connectés sont disponibles sur le marché pour surveiller nos constantes physiques et physiologiques. En milieu hospitalier, ils permettent de répondre au développement de la médecine ambulatoire et d’assurer une meilleure gestion et un meilleur suivi des patients.
- Depuis octobre 2015, l’assureur auto Direct Assurance teste YouDrive. Le système fonctionne grâce à un boîtier intelligent connecté à une application mobile. Disposé à l’intérieur du véhicule, le boîtier enregistre et analyse les données de conduite telles que le niveau de freinage, l’anticipation des virages ou la vitesse moyenne comparée à celle du trafic en temps réel. C’est la première assurance auto connectée qui propose une tarification dynamique à ses assurés selon la qualité de leur conduite.
- L’agriculture n’est pas en reste, puisque par exemple, l’entreprise américaine Solum s’est spécialisée dans la vente de sondes enterrées. Géo localisées et connectées à Internet, elles mesurent l’humidité des sols et les taux de minéraux et de nitrates pour notamment optimiser l’irrigation et l’usage des fertilisants.
- Les objets connectés peuvent devenir également une aide précieuse pour soulager les personnes en situation de handicap : lunettes qui décrivent le monde aux malvoyants ou prototype du MIT (Finger Reader) pour analyser les textes et donner instantanément accès aux écrits, ordinateur adapté aux dyslexiques, gants pour traduire la langue des signes, nez virtuel pour reconnaître des odeurs…
Ne sommes-nous pas finalement tombés dans une phase où l’objet connecté n’a pas de limite ? Lors d’un reportage diffusé dans le journal télévisé de France 2 le 9 mai 2015, une femme plutôt agacée qu’enthousiasmée réagissait : « Je n’ai pas envie d’être connectée du matin au soir. On est déjà connecté au boulot, on est déjà connecté partout donc non ».
Vrai ou faux ami du développement durable ?
Savez-vous quel est le poids de matières premières nécessaire à la fabrication d’une puce électronique de 2 grammes ? Eh bien, comme le précise l’AGIT (Alliance Green IT), 32 kilos de matières premières sont nécessaires à la fabrication de ce mini composant. 30 litres d’eau, certes, mais également de nombreux métaux, parfois précieux comme l’or et des terres rares aux noms moins connus comme le lanthane, le gadollinium…
Alors, avec les 50 milliards d’objets connectés attendus d’ici peu et dont la fabrication nécessite des composants électroniques, ne sommes nous pas en train d’observer un formidable effet rebond ?
Citons rapidement quelques uns des impacts sociaux et environnementaux survenant aux différents stades du cycle de vie de ces objets désormais si présents dans notre vie quotidienne :
- L’extraction des éléments nécessaires à leur fabrication (plus d’une quarantaine par exemple pour un smartphone) et notamment des terres rares est généralement un processus très polluant et particulièrement consommateur d’eau. L’extraction du minerai passe par une concentration mécanique puis un traitement à l’aide d’appareils à triage gravimétrique en courant d’air. Cette opération a des conséquences sur l’environnement et la santé des travailleurs. Ensuite, le minerai est décomposé par une attaque chimique à l’acide chlorhydrique, sulfurique, nitrique ou par une solution alcaline (soude ou carbonate). De plus, dans certains pays comme la République Démocratique du Congo, l’extraction de certains minerais comme par exemple le tungstène ou le tantale est contrôlée par des groupes armés, c’est ce qu’on appelle les minerais de conflit.
- La plupart des objets connectés sont fabriqués en Chine. Or les manipulations de certains composés toxiques utilisés dans leur fabrication, comme les substances chlorées ou bromées, certains solvants, additifs du plastique, etc. ne sont pas toujours faites dans le respect des normes sanitaires. Et que dire des conditions de travail dans certaines usines de fabrication qui sont régulièrement pointée du doigt par des ONG comme China Labor Watch.
- Même si intrinsèquement chaque objet connecté consomme peu lors de sa phase d’utilisation, rappelons, selon des chiffres qui datent un peu maintenant, que les Technologies de l’Information et de la Consommation représentent 13,5% de la facture électrique française. L’inquiétude semblerait plutôt venir de la consommation du « Wireless Cloud » (le cloud auquel on accède avec les objets connectés) puisqu’une étude d’avril 2013 de Bell Labs et de l’Université de Melbourne annonce que 90% de l’énergie consommée dans ce cadre vient des technologies d’accès sans fil et 9% des centres de données. Le 1% restant venant de l’objet lui même.
- En fin de vie, les objets connectés obsolètes ou ne fonctionnant plus viendront grossir la longue liste des DEEE (Déchets Electriques Et Electroniques). Même si la collecte des DEEE professionnels en France est à la hausse (+ 28,9% en 2014 par rapport à 2013), il ne faut pas oublier que les nombreux produits toxiques qui les composent (plomb, cadmium, mercure, chrome hexavalent, retardateurs de flamme bromés, etc.) se retrouvent malheureusement souvent dans des décharges où ils viendront polluer les sols ou causer de graves problèmes de santé auprès de ceux qui les manipulent.
Alors oui, ces objets connectés ont indéniablement une face cachée que l’on oublie trop facilement.
Au-delà des actions menées par certaines grandes multinationales pour assurer une plus grande transparence dans leur chaîne d’approvisionnement ou pour auditer les conditions de travail chez leurs fournisseurs, des pistes complémentaires existent qui trouvent souvent leurs racines dans l’économie circulaire :
- En s’inspirant de la nature (biomimétisme), des chercheurs de l’université d’Uppsala en Suède ont réussi à isoler le modèle mathématique des fourmis. Leur mode de fonctionnement pourrait par exemple permettre d’améliorer considérablement l’efficacité de nos réseaux électriques ou de transport d’eau.
- D’autres travaillent d’arrache pied pour proposer un Fairphone dont la plupart des minerais sont garantis ne pas provenir de zones de conflit (avec beaucoup de difficulté pour l’or…).
- La société Californienne Nascent (qui vient d’être rachetée par Facebook) entame une timide démarche basée sur la modularité pour prolonger la durée de vie des objets connectés. Les objets sont fournis sous forme de modules que l’on peut assembler à sa convenance et en fonction de ses besoins : une caméra de vidéo surveillance de la maison peut ainsi être transformée ensuite en capteur de consommation d’eau.
- Une jeune association française, Loweee, propose de travailler sur la consommation énergétique de ces objets pour le rendre autonomes.
Quels sont les liens entre objet connecté et RSE ?
Lors de nos ateliers mensuels RSE Lib, nous nous attachons particulièrement à faire le lien entre le sujet que nous traitons et les référentiels du développement durable et de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise. Ainsi, vis-à-vis des 17 Objectifs du Développement Durable, nous avons fait le choix de mettre les objets connectés en perspective avec les 5 objectifs suivants :
- Objectif 3 : Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge ; pour tout ce qu’ils apportent dans ce domaine et nous l’avons illustré par quelques exemples cités ci-dessus.
- Objectif 6 : Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ; pour tous ces objets connectés qui permettent non seulement aux individus mais également aux entreprises de mieux gérer cette ressource.
- Objectif 11 : Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ; pour tous ces capteurs qui se déploient en lien avec les Smart Cities et qui permettent une gestion optimisée des bâtiments, de la mobilité, etc.
- Objectif 12 : Établir des modes de consommation et de production durables ; pour tous ces nouveaux objets qui permettent par exemple de lutter contre le gaspillage alimentaire en piquant vos aliments pour connaître leur état de fraîcheur (le Taste Bud).
- Objectif 17 : Partenariats pour la réalisation des objectifs ; pour tous ces partenariats qui sont noués entre acteurs publics et privés pour des villes qu’on nous promet plus intelligentes.
En ce qui concerne l’ISO 26000, le référentiel international d’application de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, nous avons pris le parti de les associer avec les domaines d’action suivants :
- Droits de l’Homme – Discrimination et groupes vulnérables ; pour les exemples que nous avons pris en faveur du handicap.
- Relations et conditions de travail – Santé et sécurité au travail ; pour ces applications que leurs auteurs sont venues nous présenter lors d’ateliers précédents (Squadr) et qui en plus de créer du lien social dans l’entreprise, apporte un moyen ludique de faire du sport entre collègues.
- Environnement – Prévention de la pollution ; pour ces capteurs qui nous permettent de réduire nos consommations de fluides (eau, gaz, électricité)
- Loyauté des pratiques – Concurrence loyale ; pour ces applications qui nous donnent plus d’information sur les produits, en termes de traçabilité par exemple.
- Questions relatives aux consommateurs – Protection des données et de la vie privée des consommateurs ; pour toutes les questions que les données manipulées par les objets connectés posent sur ce sujet.
- Communautés et développement local – Education et culture ; pour tout ce que ces objets apportent en terme de développement humain, mais en se posant en permanence la question de savoir s’ils ne permettent finalement pas de répliquer un modèle économique déjà existant…
Crédit photo Shutterstock : Internet Of Things, Objet connecté, Internet digital, métaux rares, vélo.