Publié le 24 février 2022
Cette tribune de Fabrice Bonnifet, Président du C3D et Directeur Développement Durable & Qualité, Sécurité, Environnement du Groupe Bouygues, a été précédemment publiée sur TF1 Info.
Ah que les injonctions contradictoires sont difficiles à gérer pour les décideurs, notamment lorsqu’ils n’arrivent pas à faire le deuil du monde sans fin. Les manifestations de leur déni des limites planétaires résident dans leur volonté de vouloir traiter le pire du mieux par le mieux du pire. Les voitures thermiques émettent trop de CO2, eh bien remplaçons les par des voitures électriques, l’agriculture intensive utilise trop d’eau, eh bien utilisons des OGM, le plastique empoisonne les océans, eh bien prenons des mesures (non contraignantes) pour le recycler….
Dans ces quelques cas parmi mille possibles, pas question de parler de sobriété, ni surtout de remettre en question le dogme du volume de production : seule la substitution a le droit au chapitre. Évidemment, à force de vouloir tout est son contraire, la croissance et la baisse des émissions de GES, l’essentiel et le superflu, des prix bas et des droits humains respectés, la préservation de la biodiversité marine sans réguler la surpêche, le tourisme de masse et des avions qui battent des ailes… Le dilemme du « en même temps » finit toujours par trouver ses limites, sur une planète limitée en ressources justement.
Et si la cohérence et la sincérité devenaient la nouvelle boussole des dirigeants ? Ne serait-ce pas une nouvelle voie à suivre pour agir enfin efficacement, afin d’en finir avec le « blablabla » de l’agir sans agir des discours creux pour sauver la planète, comme ceux auxquels nous avons encore eu droit à l’occasion du récent One Ocean Summit. Pour réussir ce challenge, il convient de considérer la cohérence comme la première condition de la sincérité. Être cohérent en politique, c’est par exemple éviter de fustiger une dispersion des candidatures en rajoutant la sienne, ou prétendre décarboner l’économie en continuant de subventionner les énergies fossiles, ce qui est aussi absurde que de vanter les vertus d’un régime en prescrivant de la tartiflette à tous les repas. La philosophe Cynthia Fleury a commis en 2010 un livre sur la fin du courage qui présente bien les raisons de la défiance des citoyens face à la politique. Elle y mentionnait que le décideur courageux est très rare, souvent solitaire, et son empreinte s’envole vite dès sa disparition. Seule est durable l’éthique collective du courage, et c’est précisément ce que les protecteurs du vivant essaient de faire émerger.
Alors collectivement : osons la cohérence en dénonçant les impostures de ceux qui instrumentalisent grossièrement la responsabilité sociétale (RSE) pour justifier leur incapacité à regarder en face la réalité implacable de la biophysique. L’hypocrisie, l’égoïsme, la cupidité, la lâcheté et l’ignorance sont les contre-valeurs les plus partagées parmi ces partisans de l’inaction ainsi que par les manipulateurs adeptes d’astroturfing. Osons la sincérité en cessant de nous mentir à nous-même à propos de la validité réelle des engagements solennels pour la planète, alors que tous les indicateurs du vivant montrent au contraire que nous fonçons de plus en plus vite vers la sixième extinction.
Cette année est une année d’élection présidentielle. Sur le plan de la prise en compte de l’écologie, nous n’en attendons rien et nous serons tout de même déçus ! Car force est de constater qu’au rythme actuel des calamités environnementales qui s’accumulent, nous sommes collectivement en train d’échouer dans notre volonté de vouloir transformer notre modèle de société dans le respect sincère des communs ! Pour stopper cette mauvaise dynamique, les lanceurs d’alerte, les cassandres bienveillants, les empêcheurs de greenwasher en rond, les promoteurs de l’intelligence collaborative, les professionnels de la RSE et les scientifiques souhaitent aider les citoyens du monde à prendre conscience du grand mensonge dans lequel on les tient prisonniers. Et si les amoureux de la nature nourricière ressentent parfois de la solitude dans ce long chemin vers la cohérence et la sincérité, convenons qu’il vaut mieux souffrir dans la dignité qu’accepter le mensonge de l’illusion.