Publié le 16 mai 2018
Avez-vous des boutons qui poussent quand vous touchez un gobelet en plastique ? Avez-vous remplacé tous les gobelets par des mugs à l’effigie de votre entreprise ? Si la réponse est oui, bravo, vous êtes engagé et la planète le rendra aux générations futures. Mais cette action est-elle réellement pertinente et à la hauteur de votre engagement sociétal ? Le diagnostic est sans appel : « les entreprises souffrent du syndrome du gobelet ». Cette maladie consiste à consacrer du temps, des budgets et de l’énergie sur des priorités qui n’en sont pas.
Jean-Baptiste COTTENCEAU, Directeur Général de Sustainable Metrics, décrypte ces symptômes et propose les moyens à mettre en œuvre pour accélérer la transition vers des modèles économiques durables, ceux qui intègrent des pratiques RSE.
Intégrer la RSE dans vos activités n’est pas qu’une simple histoire de changement de gobelet
En France et chaque année, 2 milliards de gobelets jetables sont utilisés après avoir simplement servi à boire de l’eau. Cela correspond à 63 gobelets par seconde. En empilant 4 millions de gobelets, cela constituerait une pyramide haute comme 25 fois la Tour Eiffel. Ces déchets représentent 30 000 tonnes, soit l’équivalent des déchets ménagers annuels de 80 000 personnes, un petit Stade de France bien rempli, dont nous aurions pris le soin de compter les gobelets de breuvage houblonné.
Pour étayer l’ampleur des dégâts environnementaux constatés, avant de passer à l’action, nous pourrions nous appuyer sur de nombreuses études comme celle de l’école Polytechnique Fédérale de Lausanne. Celle-ci atteste que « utiliser un gobelet recyclable est globalement plus favorable à l’environnement que le gobelet jetable standard. Par contre, il présente de plus gros impacts que le gobelet réutilisable. Pour qu’il devienne préférable au gobelet réutilisable, il faudrait atteindre 80 à 90 % de matière recyclée dans sa fabrication et que le nombre de réutilisation des gobelets réutilisables baisse à 50 ».
En France, la LTECV (Loi de transition énergétique pour la croissance verte) prévoit l’interdiction de la mise sur le marché des assiettes, verres et gobelets jetables de cuisine pour la table (sauf pour les ustensiles compostables et biosourcés) à partir du 1er janvier 2020. La collectivité a pris la mesure de sa responsabilité environnementale et oriente (enfin) les transitions sociétales nécessaires.
Premier symptôme : il vous a fallu plus d’une minute pour lire ces premières lignes sans compter le temps de rédaction de votre auteur. Par conséquent, sur les quatre minutes qu’il vous faudra pour lire l’ensemble de cet article, vous aurez passé un quart de votre temps sur ce sujet. La bonne nouvelle est que le point est traité, la mauvaise est que si les acteurs économiques passent en proportion autant de leur budget RSE/DD sur l’action « gobelets », il ne leur en reste que ¾ pour impulser les transformations profondes de leur business model. L’investissement est-il alors si pertinent ?
Second symptôme : vous êtes hors-sujet ! L’impact environnemental du gobelet est-elle plus importante que ce que nous y mettons dedans ? Une des premières responsabilités d’employeur ne serait-telle pas plutôt d’inciter ses collaborateurs à s’hydrater régulièrement au bureau, indépendamment du contenant utilisé ? Un plan « anti-alcool » ne précise certainement pas la catégorie de gobelet à utiliser lors des séminaires et autres pots d’entreprises.
Deux remèdes essentiels pour activer sa RSE dans votre entreprise
Cette affaire de gobelets est l’expression ultime qu’en matière de Développement Durable, nous citoyens et encore plus entreprises, avons pris le mauvais réflexe de nous occuper en premier de ce que nous voyons, côtoyons directement sans avoir pris la peine de prioriser nos actions, nos engagements.
Le premier geste est de choisir ses combats grâce à une analyse de matérialité.
Le seuil de matérialité pour un commissaire aux comptes ou pour un investisseur est un ensemble de critères permettant de considérer qu’en dessous d’un certain niveau, peu importent les impacts positifs ou négatifs d’erreurs comptables, fiscales… cela ne remettra pas en cause l’opinion sur la sincérité des comptes. En résumé, ce qui n’est pas matériel ne compte pas.
Par dérivation, les acteurs de la RSE se sont emparés du concept comme un moyen d’identifier les enjeux ESG (Environnement, Social et Gouvernance) prioritaires ayant des impacts significatifs et importants sur les stratégies, les objectifs de progrès… Pour être complet, et dans l’esprit iso26000 et même dans celui de la Directive Européenne sur la performance extra-financière, la priorisation des enjeux doit être partagée avec les parties prenantes. Ainsi, après avoir inventorié vos enjeux de RSE et identifié votre panel de parties prenantes stratégiques, il vous suffira de consulter, interviewer, noter pour obtenir votre cartographie de priorisation.
Il est indéniable que l’analyse de matérialité permet de trier les priorités d’une part et qu’elle constitue un outil méthodologique opposable et crédible. MAIS, ce qui est matériel pour une entreprise, une collectivité, un foyer, ne correspondra pas forcément à une série de critères et d’indicateurs décrétés comme des seuils mais la combinaison :
- des engagements profonds de responsabilité sociétale évidents car liés directement aux fondements économiques : nul besoin de consulter les parties prenantes de EDF pour savoir que la sécurité nucléaire et la transition énergétique sont prioritaires…
- des engagements volontaires parfois décorellés du business model car dépendant de l’organisation, du management, de la culture d’entreprise, du sentiment de résilience : l’action « accorder une journée de solidarité à chaque collaborateur pour qu’il puisse s’investir dans une association caritative » est positive sans devoir passer par une analyse approfondie.
- des spécificités des contextes locaux : le déploiement d’une politique d’éthique des affaires ou diversité doivent s’adapter aux situations rencontrées en Europe, en Asie, au Moyen-Orient…
Le second geste est de ne pas passer trop de temps, d’énergie et d’argent à réaliser des matrices de matérialité tous les ans ! Une fois votre cartographie RSE bâtie et avant de passer à l’action, il faudra connecter ces enjeux à vos activités professionnelles. Pour ce faire, révisez votre plan stratégique métier à 3 ou 5 ans et engagez sa transformation en profondeur en deux étapes : qualifier les créations de valeurs financières, sociales, environnementales envisagées et mesurer les investissements à réaliser pour couvrir vos risques RSE et approcher les opportunités de performance globale.
4 principes pour rendre votre stratégie RSE opérationnelle
Nos décisions et nos plans d’action sont principalement fondés sur le croisement des éléments tangibles (études d’impact, mesures…) et nos convictions profondes. Mais le défi des changements et des transitions doit dépasser le stade des intentions.
Prenons l’exemple éprouvé du régime. Votre décision est prise, et le diagnostic est clair : l’été arrive, vous soufflez un peu dans les escaliers… bref vous devez perdre du poids !
- Action numéro 1 : se doter d’une balance (car sans mesure, rien n’est sérieux),
- Action numéro 2 : imprimer de nouvelles règles pour vos repas et acheter des pommes pour le goûter,
- Action numéro 3 : prendre enfin l’abonnement à cette salle de sport en bas du bureau et renouveler la carte de piscine pour le jeudi 18h.
Combien de régimes se sont arrêtés à ces intentions ? Combien de plans climat se sont arrêtés au bilan carbone et à la liste des actions types (covoiturage, papier recyclé, rénovation énergétique des locaux…) ?
La réalité est que nous sommes schizophrènes, balancés en permanence entre notre portefeuille et nos responsabilités sociales, environnementales. Il en va de même pour les entreprises, tiraillées entre pilotage économique et engagement citoyen. Le secteur des télécommunications propose des innovations techniques, des services connexes pour rendre nos bâtiments, nos moyens de transports, nos écoles interconnectés, accessibles. En même temps, les professionnels du secteur (et la Loi El Khomri) prônent le droit à la déconnexion.
Le défi principal qui nous attend en entreprise, et d’arriver à maintenir la dynamique de changement. Pour cela, il nous faut un cocktail multivitaminé :
#Enfin des actions, des vraies
Pour rendre votre plan d’action RSE opérationnel, il faut en finir avec les bonnes pratiques et traduire les objectifs de progrès en actions concrètes.
Ainsi, ne dites plus « nous avons mis en place le télétravail », dites « l’année dernière, la liste des personnes éligibles au télétravail a été finalisée, cette année nous expérimentons le dispositif mis en place avec 10 % des effectifs et à horizon 5 ans, 100 % des personnes éligibles le pratiqueront. Un guide du télétravailleur est en-cours de rédaction. »
#Enfin des parcours d’engagement personnalisés
Les plans d’actions RSE d’entreprise sont souvent trop généralistes, globaux. Il faut appliquer le concept « Think Global, Act Local » en créant des parcours d’actions adaptés au contexte de chaque entité, chaque métier, chaque profil d’acteur.
Ainsi, ne dites plus « l’ensemble du groupe tend vers la parité Hommes / Femmes », dites « Chaque entité dans notre Groupe a fixé ses objectifs sur l’équilibre entre les hommes et les femmes au niveau de ses collaborateurs. Le Groupe s’engage au niveau des comités de direction afin d’atteindre la parité à horizon 2020. »
#Enfin des tableaux de bord de pilotage et non un reporting RSE « déclaratif »
Le reporting est obligatoire pour prendre la mesure des résultats et évaluer la performance des actions engagées. Il convient cependant de séparer reporting obligatoire et déclaratif avec le suivi des indicateurs qui permettent de piloter les progrès.
Ainsi, ne dites plus « nous suivons 42 indicateurs de performances RSE revus par nos dirigeants en comité RSE trimestriel », dites « Nous pilotons nos progrès avec 10 indicateurs clés Groupe et 2 indicateurs adaptés pour chaque entité. Les collaborateurs sont challengés sur les moyens d’actions déployés. »
#Enfin une logique d’amélioration continue enrichie des acteurs du terrain
En matière de progrès RSE, la dynamique doit être aussi bien TOP DOWN (le déploiement d’une vision et d’une stratégie globale) que BOTTUM UP (l’ajustement des stratégies par les acteurs du changement).
Ainsi, ne dites plus « nous déployons notre stratégie RSE grâce à notre réseau interne de 37 référents RSE », dites « la dynamique RSE évolue en permanence grâce à la contribution de nos ambassadeurs RSE qui sont des collaborateurs de toutes les directions, engagés personnellement dans l’action. »
Intégrer la RSE dans son entreprise, c’est être performant au quotidien
Les entreprises qui ont intégré les enjeux de RSE dans leur fonctionnement sont plus performantes de 13 % selon une étude de France Stratégie. La RSE est bien une affaire de performance et de création de valeur avant d’être un effet de communication ou d’attractivité des jeunes générations plus sensibles à ces sujets.
Notre bonne santé économique dépendra de notre capacité à incorporer les enjeux ESG dans nos fonctionnements en restant connectés à nos enjeux business, en priorisant nos engagements et fédérant les acteurs autour de plans de progrès partagés.
La mesure de performance n’est pas nécessaire, seul le suivi et le pilotage des changements est essentiel. On peut tenter de mesurer la performance de votre éducation parentale en dressant les comptes des dépenses de couches, de petits pots, de frais de scolarisation… Mais comment estimer la transmission de valeurs comportementales de respect des autres, de savoir-vivre, savoir-être ? Comment mesurer réellement les capacités de résilience, d’adaptation dans un monde en pleine transition ?
Pour nos enfants, nos patrons, nos dirigeants, reprenons de temps en temps cette énonciation de Jean Piaget : « L’intelligence ce n’est pas ce que l’on sait mais ce que l’on fait quand on ne sait pas ».
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