Publié le 14 mars 2016
Après avoir été votée par le Sénat fin janvier, la loi Biodiversité pourrait être adoptée dès l’été. Élément phare de ce projet, la mise en application de la notion de préjudice écologique va être cruciale, en élargissant le principe de pollueur payeur couvert par les contrats Assurance Environnement depuis 2008. Comment les entreprises risquent-elles d’être impactées et quelles sont les implications pour les assureurs ? Alric Baral, Responsable communication au sein de la Direction de la communication et des engagements sociétaux de Generali, revient sur l’introduction du préjudice écologique dans le projet de loi Biodiversité.
« Toute personne qui cause un dommage grave et durable à l’environnement est tenue de le réparer ». Derrière ces quelques mots du projet de loi Biodiversité, en passe d’être adopté avant la fin de l’année, se cache une révolution juridique : l’intégration de la notion de préjudice écologique dans la réglementation qui n’avait jusqu’à présent qu’une reconnaissance jurisprudentielle. Désormais, les entreprises (comme les particuliers) vont devoir prendre toute la mesure de leurs responsabilités face à l’environnement et réparer les dégâts qu’elles auront causés, qu’il s’agisse de pollution des sols, de l’eau, d’atteintes à la biodiversité…
Cet article de loi viendrait ainsi compléter le dispositif législatif relatif à la responsabilité environnementale instaurée par la loi du 1er août 2008, ainsi que la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Ces derniers obligent les entreprises reconnues polluantes à réparer financièrement les dommages causés à la nature. Dans ce cadre, les assureurs ont rapidement proposé un contrat adapté, pour les accompagner en cas de sinistres et jusqu’à la remise en état du milieu naturel.
Dans les faits, la responsabilité environnementale ne visant que les dommages les plus graves, avec un grand nombre d’exclusions, il est souvent difficile de la faire appliquer (d’autant qu’elle exige l’action des préfets). Ce n’est pas le cas du préjudice écologique, où toute personne physique ou morale (association ou collectivité locale notamment) pourrait désormais intenter une action contre le pollueur.
Derrière cette apparente facilité se pose en pratique d’épineuses questions relatives à la preuve d’un tel dommage, son évaluation, la nécessité de le réparer en nature ou, à défaut seulement, par une compensation financière ou encore le délai de prescription. Face aux risques encourus, les entreprises vont naturellement chercher à se protéger davantage en se tournant vers leur assureur. Comment ce dernier va-t-il pouvoir anticiper les impacts potentiels et les évaluer financièrement au cas par cas ?
Une reconnaissance légale de la notion de préjudice écologique peut s’avérer salutaire. Encore faut-il disposer d’une souplesse et d’une rapidité d’exécution pour éviter des procédures interminables, au risque sinon de décourager la société civile d’agir et de mettre en péril le dynamisme économique des entreprises. Ces dernières pourraient en effet se retrouver mises en cause pour les dommages qu’elles ont causés, même en ayant reçu toutes les autorisations pour exercer leurs activités.
Préjudice écologique : de la jurisprudence au code civil
A la base, ce texte tend à combler un vide réglementaire car, jusqu’à présent, l’indemnisation des dommages écologiques nécessitait que la victime soit clairement identifiée alors que l’environnement est un bien commun. Or, la prise de conscience environnementale grandissante de nos sociétés conduit l’État et la société civile à vouloir de plus en plus obtenir réparation des dommages causés, notamment à la nature, à la fois dans un souci de préservation de celle-ci et de responsabilisation des entreprises (c’est la notion du pollueur payeur consacrée depuis plusieurs années). Plus question d’attendre de la société qu’elle paye la facture à la place des responsables.
En substance, la Loi Biodiversité intègre dans le droit positif la notion de préjudice écologique, qui avait été retenue par la Cour de Cassation dans le procès Erika, une reconnaissance purement jurisprudentielle. Le projet de Loi Biodiversité oblige les pollueurs à réparer en nature les dommages qu’ils ont causés à l’environnement ou, si la réparation en nature n’est pas possible, à les condamner à verser une indemnité qui sera affectée à la protection de l’environnement.
Anticiper les dommages : les limites des études d’impact
Le dommage le moins coûteux est celui qu’on ne génère pas. A cette fin, les entreprises doivent ou peuvent faire réaliser une étude d’impact lors de projets d’aménagement de sites voire l’obligation suivant les cas. Les résultats de cette étude conditionnent les mesures à mettre en place pour éviter toute atteinte à la nature. Or, cette étude dépend de nombreux facteurs : obtention de données fiables, choix du référentiel, caractéristiques du projet susceptibles d’évoluer, difficulté d’accès, etc. A ces contraintes s’ajoute celle de l’interprétation des résultats (données ou connaissances insuffisantes, limites des modélisations…), pouvant générer un écart entre l’impact supposé et celui avéré.
Enfin, les écosystèmes naturels étant extrêmement complexes, l’appréciation des risques comporte une marge d’erreur, certains impacts pouvant même découler de facteurs extérieurs au projet (exemple : la suppression d’un corridor écologique peut interdire l’accès d’animaux sur un site sans que l’activité sur ce dernier n’en soit responsable). Ces difficultés conduisent à des préconisations à même de varier en fonction des prestataires. Une étude d’impact peut donc permettre d’anticiper et évacuer certains risques mais elle n’offre pas la garantie de l’élimination de tout risque.
Une mise en œuvre des mesures qui conditionne leur efficacité
Une fois les mesures préconisées, il faut les mettre en œuvre, avec une facilité et une qualité d’exécution qui, à nouveau, sont susceptibles de varier. Ainsi, une recommandation qui consiste à déplacer des espèces n’a pas l’assurance du succès de l’opération, malgré le respect de la mesure.
Cela soulève donc la question de la bonne exécution des préconisations et la responsabilité en cas d’échec ou de réussite partielle.
Évaluer le préjudice : l’inquiétude de l’entreprise… et son assureur
Les contraintes inhérentes aux études d’impact font de la survenue de dommages un risque réel. Or, l’incertitude de l’élimination de tous les risques et du montant de l’indemnisation en cas de réalisation d’un dommage conduit les entreprises exposées à vouloir s’assurer contre ce type de risques. Les assureurs vont donc devoir intégrer le préjudice écologique tel que défini réglementairement dans leurs garanties et en définir les modalités.
Mais quels critères retenir pour constater un dommage et sur la base de quel référentiel l’évaluer (qu’est-ce qu’un dommage « grave et durable ») ? Si en théorie le responsable du dommage doit l’assumer, comment en pratique apprécier la part de responsabilité du prestataire et/ou du prescripteur ? Les préconisations d’une étude d’impact étaient-elles adaptées ? Leur exécution a-t-elle été bien réalisée ? Comment évaluer le préjudice subi, certains dommages à la nature pouvant avoir des effets de long terme très difficiles à mesurer ?
Malgré ces questionnements, il reste qu’intégrer la notion de préjudice écologique est un symbole fort envoyé à l’adresse des pollueurs potentiels. Prochaine étape le 15 mars, où le projet de loi sera débattu en deuxième lecture à l’Assemblée.