Publié le 2 juin 2020
Les débats se multiplient sur la façon de relancer l’économie alors que la crise sanitaire sévit encore dans nombre de pays. Il est essentiel de poser clairement les enjeux sous-jacents à la reprise.
Le premier concerne l’emploi bien entendu. Le virus aura fait des ravages et fauché de nombreuses vies, mais la crise fait également des victimes économiques qui perdent leur emploi par millions. Sur ce point tout le monde s’accorde : adresser ce premier enjeu est une priorité. Le second enjeu concerne la nature même de la relance. C’est là que s’affrontent ceux qui voient l’opportunité d’un changement de paradigme économique et ceux qui exigent un moratoire sur les contraintes environnementales et sociales. Il s’agit pour ces derniers de faciliter le redémarrage de l’économie d’avant crise, arguant qu’il serait impossible de pouvoir à la fois supporter le fardeau des effets délétères de la crise sanitaire en même temps que les investissements « verts » requis pour atténuer la crise climatique, dont les effets sont déjà largement perceptibles.
La volonté de séquencer l’action est une erreur. Elle découle d’une analyse fausse et s’appuie sur une vision dépassée d’une économie qui continue de considérer l’environnement comme une variable d’ajustement, un actif éternel et gratuit, une commodité universelle inaltérable. Une économie qui ne dépendrait que de notre capacité à innover, à travailler toujours plus, à optimiser à l’infini nos processus dans une course effrénée à la compétitivité, à écraser les contraintes de toute sorte pour laisser la magie du marché trouver des solutions à tous nos problèmes, avec comme hypothétique récompense la création d’emploi pour le plus grand nombre. Quelle erreur, quelle imposture, quel mensonge ! L’économie d’hier et d’aujourd’hui ne dépend en réalité que de notre capacité à consommer toujours plus d’énergie fossile très majoritairement et de matières premières. Prétendre le contraire reviendrait à nier la corrélation parfaite entre les flux physiques indispensables pour faire tourner nos machines et la croissance en résultant et non l’inverse !
La priorité n’est pas de verdir la croissance à grand coup de « green deal », mais de créer une prospérité sans croissance des flux physiques carbonés. Si un moratoire est à réclamer, il n’est donc certainement pas sur les mesures environnementales, car les émissions de gaz à effet de serre doivent décroitre impérativement de 4 à 7% par an jusqu’en 2080, soit l’équivalent d’un demi COVID annuel ! Et ce dès aujourd’hui, pas « à la condition que l’économie soit relancée ». Il ne s’agit rien de moins que de sauver à la fois l’économie et le climat – le dynamisme de la première dépendant de la stabilité du second.
La question est : peut-on créer des emplois par millions dans une économie en décroissance énergétique ? Oui, et sans doute beaucoup plus que dans le monde d’aujourd’hui, qui vit depuis des décennies sous perfusion d’un système financier détourné de l’intérêt général. L’heure des choix politiques courageux est arrivée. Faut-il aider financièrement des secteurs condamnés par l’impératif climatique et la déplétion inéluctable des réserves de pétrole liquide, ou flécher intelligemment les maigres marges de manœuvre qui nous restent vers des secteurs qui vont garantir des emplois non délocalisables, notre indépendance énergétique et alimentaire ? Bien entendu cette transition écologique doit se faire sans brutalité pour les secteurs qui vont être amenés à se réinventer, mais lorsqu’on affronte les problèmes de demain avec les modes de pensés et les organisations d’hier, on récolte les drames d’aujourd’hui !
Crédit image : Croissance sur Shutterstock.