Solution. Six structures historiques de l’économie sociale et solidaire (ESS) s’associent pour développer une filière du réemploi solidaire. Celle-ci entend offrir une alternative face au développement de nouveaux acteurs lucratifs sur ce qui est devenu un vrai marché.
Mettre fin au consumérisme, aux vêtements à usage unique, à l’achat d’un nouveau smartphone chaque année… Depuis 70 ans, l’objectif des structures du réemploi solidaire est de prendre soin des choses, de recycler, de réparer, de vendre à des prix abordables, et de sensibiliser les citoyens sur les enjeux de sobriété et les solutions à la crise environnementale. Une activité « stratégique au moment où la nécessité de consommer moins et mieux devient une urgence » souligne l’Union pour le Réemploi Solidaire (UPRS), une nouvelle structure créée début mars à l’Assemblée nationale.
Celle-ci est portée par 6 réseaux historiques nationaux : Coorace, Emmaüs France, Envie, ESS France, L’Heureux Cyclage, Réseau National des Ressourceries et Recycleries, acteurs historiques de l’Économie sociale et solidaire (ESS). « Les six réseaux représentent 2000 structures de réemploi solidaire dans tous types de milieux en France. Ce sont 40 000 personnes en activités, 20 000 bénévoles et 7 millions de bénéficiaires qui viennent dans nos lieux de ventes pour s’équiper à petit prix », explique ainsi Valérie Fayard, directrice générale adjointe d’Emmaüs France.
Pour les structures fondatrices de l’Union pour le Réemploi Solidaire, le message pour les acteurs du milieu est clair : « construire un monde plus sobre et vivable », sans rien céder aux acteurs lucratifs, dont l’intérêt grandissant pour le réemploi menace la dimension sociale de la seconde main.
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Un marché du réemploi de plus en plus lucratif
L’idée d’une telle structure a pris forme il y a quelques années. En 2018, les six structures se sont retrouvées autour de la table pour la préparation de loi Agec (sur l’anti-gaspillage et l’ économie circulaire), puis pour la feuille de route « économie circulaire » (Frec). Avec l’UPRS, ces acteurs historiques du réemploi solidaire souhaitent désormais s’affirmer comme une voix de référence des structures de l’ESS sur le marché du réemploi face à des acteurs lucratifs de plus en plus nombreux et des frontières de plus en plus poreuses entre associations et entreprises lucratives à « missions ».
En effet, la réforme engagée par la filière responsabilité élargie des producteurs (REP) pour la prévention et la gestion des déchets, portée par la loi Agec, a permis le développement de la filière du réemploi en contraignant les filières concernées à « financer, organiser et mettre en place les solutions de collecte, de réutilisation ou de recyclage appropriées », explique une note du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Mais ce tremplin pour le réemploi s’est aussi accompagné de l’arrivée d’autres acteurs du secteur privé, bien moins présents sur le volet « solidarité ».
« De plus en plus de marques font du réemploi (travail d’allongement de la durée de vie des produits) un levier pour accroître leurs ventes et leur notoriété en utilisant le vocabulaire et les lignes de force du réemploi non lucratif (impact écologique et social). Il est temps que la confusion cesse », regrette l’Union pour le Réemploi Solidaire.
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Construire et développer un modèle plus éthique de réemploi
Valérie Fayard vise en particulier ces entreprises qui « ne collectent que ce qui a de la valeur » laissant ainsi aux acteurs solidaires des produits de moindre qualité. En 2023 déjà, Emmaüs alertait ainsi sur le fait de ne pouvoir vendre que 40% des objets collectés contre 60% il y a 20 ans. Elle dénonce aussi les entreprises qui pratiquent un « réemploi qui est faussement de l’économie circulaire, ou qui encourage la consommation ». Par exemple en proposant des bons d’achats dans leur magasin, en assurant le reconditionnement dans des pays lointains et moins-disants socialement ou environnementalement parlant, ou encore en incitant les consommateurs à acheter toujours plus avec un système de promotion.
Sans les nommer, les intervenants à l’événement pointent du doigt les nouveaux géants du réemploi, Back Market, actuel leader du marché du reconditionné, ou Vinted, spécialiste des vêtements et des accessoires de seconde main. « Pour nous, ces modèles sont aberrants puisqu’ils incitent à la surconsommation, alors même que l’économie circulaire prône la sobriété », complète la directrice adjointe d’Emmaüs.
L’Union propose un modèle différent, composé de petites structures avec un objectif commun, celui de promouvoir « une consommation éthique, éco-responsable et raisonnée ». En développant le réemploi solidaire l’idée est de concilier la dimension environnementale en allongeant la durée de vie des produits et la dimension sociale, en permettant aux plus modestes d’accéder à certains produits, mais aussi de favoriser l’insertion des personnes éloignées de l’emploi dans les filières de reconditionnement par exemple.
« La confusion sur notre identité, nos objectifs, je pense que cela aboutit forcément à l’échec du réemploi solidaire, juge Guillaume Balas, délégué général de la Fédération Envie, c’est pour cela que je prône que chaque acteur [lucratif ou solidaire] soit clair sur ses intentions et qu’on puisse échanger pour trouver un compromis”.
Les acteurs attendent malgré tout que l’État joue son rôle de médiateur et aide les entreprises de l’ESS à faire face à ces nouveaux acteurs lucratifs, en déployant à la fois des moyens financiers à la hauteur des enjeux environnementaux et sociaux, et en garantissant que les entreprises lucratives n’aient pas une « emprise totale » sur les gisements d’objets de qualité.
7 propositions pour développer un réemploi solidaire
– Agir sur les changements de comportement.
– Garantir l’accès à une offre de Réemploi Solidaire pour tous.tes à moins de 15 minutes de chez soi.
– Déployer des moyens financiers à la hauteur des enjeux écologiques et sociaux.
– Définir les barèmes de soutien au Réemploi Solidaire par l’Etat dans le cadre d’une vision de filière prospective et ambitieuse.
– Garantir aux structures de l’ESS un accès à des gisements d’objets de qualité.
– Créer l’Ecole du Réemploi Solidaire.
– Faire de la réparation un réflexe pour chaque citoyen qui soit source d’économies et de réduction de son empreinte environnementale.
Illustration : cottonbro studio sur Pexels.