Qu’est-ce qu’une « transition juste » ? Pourquoi est-elle importante pour le développement des sociétés humaines ? Sur quelles bases repose-t-elle ?

La « transition juste » est un concept juridique et politique qui vise à garantir que la transformation vers une économie durable et bas-carbone se fasse de manière équitable, pour les travailleurs, mais aussi les communautés affectées par les décisions politiques. Ce principe cherche à concilier les impératifs environnementaux de lutte contre le changement climatique avec les préoccupations sociales et économiques, afin de ne laisser personne de côté lors du processus de transition vers un monde plus soutenable.

Comme l’explique une étude du Parlement européen sur la « transition juste », une transition juste « doit être conduite à l’échelon local, inclure des politiques ciblées en matière de bien-être et de travail, s’insérer dans une stratégie à long terme en faveur de la décarbonation et du développement des économies locales, et permettre des évaluations et des modifications régulières ».

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De la transition écologique à la « transition juste »

« Le changement climatique risque d’amplifier certaines inégalités sociales de santé, les inégalités au travail, les inégalités territoriales et les inégalités entre générations, notamment pour les groupes vulnérables et/ou marginalisés et entre les différents acteurs du système alimentaire, à l’intérieur de chaque pays comme entre les pays », rappelle le Haut Conseil pour le Climat (HCC) dans un rapport de 2023. Car ce sont bien les personnes pauvres, âgées, jeunes professionnels, malades, handicapées, les femmes, les minorités ethniques et culturelles qui vont le plus souffrir des aléas climatiques (vagues de chaleur, submersion, sécheresses, tempêtes).  

Les émissions de gaz à effet de serre et la destruction des milieux naturels par la main de l’Homme, dont le changement climatique est le résultat, sont donc une double menace urgente à traiter, et qui impliquent une transformation profonde de l’organisation des sociétés humaines. C’est la fameuse « transition écologique » qui consiste à passer d’une économie fossile polluante à une économie durable et bas-carbone. 

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« Pourquoi alors en appeler à une ‘transition juste’ ? » se demande l’Agence de l’environnement française (ADEME) dans une note sur la transition juste

Car cette transformation a un coût important, tant d’un point de vue économique que social, et dont certains effets ne pourront être visibles que dans plusieurs décennies. L’objectif est de ne pas faire subir le coût de cette transition aux populations les plus vulnérables. Comme l’explique la note, « la justice pour demain ne règle pas toute la question de la justice pour aujourd’hui. Il existe également plusieurs chemins de transition possibles avec des impacts différents sur l’emploi, les revenus, les territoires etc. ». 

Au-delà de la morale, l’ADEME rappelle qu’une défiance peut grandir chez les populations si les ressources ou les efforts ne sont pas répartis équitablement, mettant ainsi à mal la transition écologique puisque des oppositions et des blocages peuvent en découler, comme ce fut le cas avec lors de la crise des Gilets jaunes et la défiance de la population française contre les politiques environnementales de lutte contre les énergies fossiles. 

Origines et cadre juridique

Le concept de « transition juste » est apparu dans les années 1990 porté par les milieux syndicaux des États-Unis et les organisations de défense des droits des travailleurs. Dans le cadre du monde du travail, la transition consiste à entraîner la fin des activités polluantes (énergie fossile, voitures thermiques, aviation), tout en accompagnant la reconversion des salariés et des entreprises vers des emplois et des activités « vertes ». 

Cette notion se diffuse rapidement hors du cercle syndical et est inscrite dès 2010 dans l’accord final de la COP16 pour le Climat, et figure également dans l’Accord de Paris adopté lors de la COP21 en 2015 à Paris. 

L’Organisation internationale du travail (OIT) a également joué un rôle clé dans la formalisation de ce concept en 2015 avec l’adoption des « Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés durables pour tous », qui propose un cadre international pour les gouvernements, les entreprises et les syndicats. Selon ces principes, la transition juste doit permettre la création d’« un travail décent pour tous au sein d’une société inclusive, avec éradication de la pauvreté », indique ainsi l’OIT, et pour y arriver, elle doit « reposer sur une transition bien gérée, avec un dialogue social constructif à tous les niveaux pour veiller à une juste répartition des charges et s’assurer que personne ne soit laissé pour compte »

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Objectifs de la « transition juste »

Garantir un emploi vert et décent pour tous

Le cœur de la transition juste réside dans la garantie que les mesures environnementales ne se traduisent pas par une marginalisation économique ou sociale. Comme l’explique Sharan Burrow, ancienne Secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI), dans un entretien pour l’ONU, « la transition juste est un concept très simple. Tout est question de sécurité. Il faut garantir les retraites. Il faut établir un pont jusqu’à la retraite, afin que les travailleurs les plus âgés puissent partir plus tôt en retraite. Il faut des garanties de revenus et des aides en matière de requalification et de reconversion pour que les jeunes travailleurs retrouvent un emploi » .

Ce principe implique la mise en place de politiques publiques visant à soutenir les travailleurs affectés par la transition, notamment à travers la formation professionnelle, l’accès à de nouveaux emplois dans les secteurs verts, et la mise en place de filets de sécurité sociale… La transition juste ne se limite donc pas à des ajustements économiques liés à l’emploi, mais englobe également des mesures au niveau régional et national afin de garantir la dignité et les droits des travailleurs, tout en réduisant les inégalités. La « transition juste » cherche à ne pas reproduire les écueils du passé, le chômage et le déclassement de certaines régions, comme ce fut le cas lors de la fermeture d’anciens bassins industriels en Occident. 

Assurer le dialogue et l’intégration de toutes les parties prenantes

Un autre pilier fondamental de la transition juste est l’inclusion de toutes les parties prenantes dans le processus de décision. Cela comprend les travailleurs, les syndicats, les employeurs, les gouvernements, et les communautés locales. Le dialogue social est ainsi un élément clé pour élaborer des politiques qui reflètent les besoins et les aspirations de ceux qui sont directement concernés par les transformations économiques. En donnant la parole à toutes les structures sociales, la transition juste évite le piège d’un modèle unique inadapté aux réalités territoriales, et aux différents secteurs économiques. 

Les défis de la transition juste

Malgré son importance, la mise en œuvre d’une transition juste se heurte à de nombreux défis. Le premier est l’impact inégal de la transition énergétique sur les différentes régions et secteurs économiques. Le monde reste encore fortement dépendant des énergies fossiles, et ce, même en Occident, comme le souligne l’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz, auteur de l’ouvrage Sans transition: Une nouvelle histoire de l’énergie

En outre, ce sont bien souvent les territoires avec les ressources les plus limitées qui doivent dorénavant engager de grands investissements pour réaliser la transition écologique et ainsi décarboner leur économie. Ceci est le résultat de décennies de désindustrialisation dans les pays occidentaux au détriment des pays en développement.

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Financement et soutien politique

Un autre défi majeur est le financement des mesures nécessaires pour assurer une transition juste. Les politiques de transition sont coûteuses, en particulier lorsqu’il s’agit de financer des programmes de reconversion professionnelle, de soutien aux revenus ou de création d’emplois verts. Dans ce contexte, le rôle des institutions internationales et des mécanismes de financement est crucial. Le Fonds pour une transition juste, mis en place par l’Union européenne, est un exemple d’initiative visant à soutenir les régions et les travailleurs les plus affectés par la transition vers une économie verte. Ce fonds « vise à soutenir les régions touchées par de graves difficultés socio-économiques résultant de la transition vers la neutralité climatique » .