Synonyme de retour à la bougie ou “d’écologie punitive”, la transformation écologique et sociale ? C’est en tous cas le discours qui monte depuis quelques années. Plutôt que de baisser les bras et pour mieux agir et en parler, inspirons nous des pistes de Théodore Tallent, enseignant en sciences politiques à Sciences Po. Pour la fondation Jean Jaurès, il vient de livrer une note sur les conditions d’un discours écologique plus « rassembleur ». Plutôt destinée aux politiques, elle est aussi déclinable sur la façon de parler de la transformation durable en entreprise. On vous donne quelques pistes. 

Allier les dimensions sociales et écologiques dans une logique de transition juste

Pas de transition écologique sans justice sociale. La transition doit être juste pour les gens et les territoires. Cela doit d’abord guider l’action. Mais aussi « structurer un discours sur le fond », autour de la question des coûts et de la justice, souligne Théodore Tallent dans sa note Backlash écologique : quel discours pour rassembler autour de la transition. Il insiste notamment sur le fait d’évoquer les bénéfices directs de la transition écologique, en termes d’emplois, de baisse de certains coûts, d’amélioration de la santé…mais aussi de montrer que les efforts sont répartis en fonction de la responsabilité et des capacités des unes et des autres. (ex : on sait aujourd’hui que les plus riches sont aussi les plus émetteurs de CO2). 

Dans l’entreprise : Cette transition juste est essentielle pour embarquer l’ensemble des équipes dans la transformation durable de l’entreprise. Cela passe par l’explication des apports de la démarche de responsabilité sociale en termes de bénéfices sur les conditions de travail, l’environnement, preuves à l’appui…Mais aussi plus largement par un travail sur les questions d’égalité de traitement et de rémunération, par exemple en réduisant les écarts de salaires, en mettant en place un salaire décent pour toute la chaîne de valeur ou en intégrant des critères RSE dans le variable des dirigeants et managers ou dans l’intéressement des salariés.  

Dépasser les seuls aspects économiques pour rendre compte de l’impact sociétal 

La transition écologique, ce n’est pas juste des contraintes économiques et financières supplémentaire, c’est surtout le « moyen d’atteindre une société plus saine, plus heureuse, avec des emplois de qualité mais aussi l’opportunité d’une indépendance énergétique retrouvée et d’une souveraineté industrielle et agricole regagnée », souligne Théodore Tallent. Pour en rendre compte, il est nécessaire d’engager un « narratif de transformation sociétale », estime-t-il. 

Dans le discours, cela influence aussi notre façon de présenter les choses. Alors que l’écologie est souvent associée sémantiquement aux interdictions, aux sanctions ou aux coûts, il importe aussi de montrer les mesures environnementales ou sociales comme des investissements sur le long terme, d’insister sur la visée des taxes pour montrer le côté contributif et pas seulement le coût fiscal…

Dans l’entreprise : Au lieu de se focaliser sur la seule performance économique et financière, mettons en avant la performance globale de l’entreprise. Les sociétés à mission par exemple vont être plus enclines à le faire naturellement mais les outils réglementaires comme la CSRD peuvent aussi aider les entreprises plus classiques avec des indicateurs quali et quanti sur les aspects ESG (environnement, social et gouvernance) de la performance. Au delà du cadre de l’entreprise, cela suppose aussi d’inventer de nouveaux récits économiques, qui ne se focalisent pas sur la seule poursuite de la croissance d’un point de vue macro-économique ou qui mettent en avant les entreprises qui s’engagent dans des démarches contributives ou régénératives.

Ancrer à la fois le problème et les solutions dans le concret

Le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité ou la pollution ne sont pas des phénomènes abstraits et lointains. « Il faut rapprocher le problème des gens », souligne Théodore Tallent : « c’est votre maison qui est sous l’eau dans le Nord ou qui brûle dans le Sud; c’est la pollution qui affecte vos enfants, c’est un désert de béton dans lequel vous vivez »….

Au delà de la présentation de ces dangers, il est aussi essentiel de faire un état des des lieux, « s’accorder sur un bilan réaliste de la situation » mais aussi de montrer « les solutions qui dessinent un futur désirable » : les petits villages qui augmentent de 50% leur budget grâce aux éoliennes installées sur leur territoire, les logements rénovés qui font diviser les factures d’énergies par cinq…« Il faut des récits prospectifs, des exemples concrets et locaux – sans pour autant tomber dans un déni optimiste voire pire, une sorte de fascination pour d’éventuelles solutions technologiques », précise-t-il.

Dans les entreprises : Là encore, on peut tirer partie des obligations réglementaires de la CSRD pour mettre en exergue et expliquer quels sont les risques du changement climatique ou de l’effondrement de la biodiversité sur l’entreprise elle-même. Mais aussi comment celle-ci envisage d’y faire face avec ses plans de transition climat ou biodiversité. Voire les opportunités qu’elle peut trouver dans la lutte contre ces problématiques. Les entreprises qui ne sont pas directement concernées peuvent s’en inspirer. Présenter ces risques, actions et opportunités aux collaborateurs permettent notamment d’expliquer le sens de la démarche RSE de l’entreprise et de la matérialiser. Un quart des salariés interrogés dans le cadre d’une enquête Ifop ne savent ainsi pas se prononcer sur l’engagement RSE de leur entreprise…Par ailleurs, pour mieux appréhender la réalité des défis environnementaux des prochaines années sur l’entreprise, on peut aussi utiliser le design fiction et autres techniques de prospectives adossées sur les constats scientifiques. 

Evidemment, tout cela suppose aussi que les engagements RSE annoncés soient réellement mis en œuvre, jalonnés, suivis et mesurés. Mais aussi de ne pas occulter les difficultés de la transformation. Celle-ci ne se fera pas sans sobriété, renoncements, reconversions…il y a aura des gagnants et des perdants. Mais le coût global de l’action sera toujours inférieur à celui de l’inaction. Expliquer ces besoins et cette complexité est aussi essentiel pour que chacun puisse comprendre les tenants et aboutissants de la transformation.

Prendre en compte la singularité des identités 

Les recherches suggèrent que l’identité (territoriale, politique, associative ou professionnelle) « joue un rôle important dans la manière dont une personne réagit aux messages sur la transition écologique », souligne la note. Nous avons tous des façons différentes de voir le monde, des identités propres, des cultures spécifiques…Il est important d’en tenir compte. 

Tout comme des émotions, souvent sous-estimées par les décideurs. Or si la peur peut être moteur d’action, le sentiment d’impuissance ou la culpabilité peuvent aussi nourrir l’inaction climatique par une sorte de « mécanisme de protection » comme le montrent plusieurs travaux de recherche. Il importe donc de trouver un équilibre pour alerter sans paralyser. 

Enfin, s’il faut prendre en compte la singularité et les émotions des personnes qui reçoivent le message, le messager est tout aussi important. Dans le monde politique, des messagers « peu appropriés pourraient bien aggraver la situation », notamment s’ils font l’objet d’une défiance sur le sujet spécifiquement ou sur leur discours et action en général. Il faut donc parfois « accepter de passer le micro » à des personnes perçues comme plus légitimes. 

Dans l’entreprise : On ne convaincra pas forcément la direction achat, marketing ou financière avec les mêmes arguments. De plus en plus d’études travaillent à l’évaluation monétaires des dégradations environnementales (pollution plastique, dépendance à la biodiversité, risques climatiques…), cela peut parfois être percutant auprès d’un DAF ou d’un COMEX. Pour d’autres, c’est en jouant sur la corde sensible que l’on donnera envie d’agir. Pensez en tout cas à avoir recours à l’approche “Tête-coeur-corps” qui fait à la fois appel à la raison, à l’émotion et à l’action pour engager la transformation. La méthode a notamment fait ses preuves pour la Convention des entreprises pour le climat. Réfléchissez aussi à qui porte le message : un engagement porté par la direction donnera un cap clair et la vision stratégique qu’en a l’entreprise mais la parole scientifique est aussi intéressante pour expliquer la situation, crédibiliser une formation ou une action.  

Reconnaître chacun comme faisant partie de la solution 

« L’écologie, ce n’est pas pour moi ». C’est parfois ce que l’on entend de la part de gens qui font pourtant déjà des gestes écologiques, sans qu’ils ne les perçoivent comme tels. Les travaux de recherche montrent qu’une partie des blocages vient du fait que certains individus considèrent l’action environnementale comme allant contre qui ils sont et ce qu’ils font, souligne la note. Il est important de montrer que « les gens font partie de la solution : la solution n’est pas contre eux mais pour eux, elle leur apportera des bénéfices nombreux et tangibles ».

Dans l’entreprise : La transformation écologique et sociale n’est pas l’apanage de la direction RSE ou de la direction. Il importe de montrer que chacun à son niveau, dans son métier a son rôle à jouer. Mais aussi de former les collaborateurs aux changements de pratiques nécessaires à opérer et surtout leur donner les moyens (technique, humains ou financiers) de les appliquer au quotidien.

Le tout, cela va sans dire, sans verser dans le greenwashing, condition sine qua none d’un discours autour de la transformation durable de l’entreprise.

Illustration : Canva