L’enseignement supérieur accélère sa transition écologique pour former tous les étudiants d’ici 2025 aux enjeux environnementaux. Entre volontarisme des grandes écoles et difficultés budgétaires des universités, en dépit des défis, la mobilisation pour une éducation plus durable se généralise.

Depuis près de deux ans, Jean-Luc Barassard, ingénieur designer, accompagne la transformation de l’École de Design Nantes Atlantique. « L’idée est de réussir à développer une formation pédagogique sur cinq ans qui amène tous les étudiants et les équipes pédagogiques à intégrer la réduction des impacts environnementaux, et en même temps à envisager des projets de régénération pour la nature », explique cet expert en design durable. Des enseignements à l’éco-conception, aux matériaux « bas-carbones », à de nouvelles formes d’économies, comme celle de la fonctionnalité, ou celle de l’économie circulaire, c’est finalement une nouvelle manière de penser l’éducation au design qui est à revisiter.

Ce chantier colossal fait écho à la promesse du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) de former d’ici 2025 l’ensemble des étudiants aux enjeux de la transition écologique et du développement durable. Cette obligation inédite, annoncée en octobre 2022 par l’ancienne ministre en charge de ce portefeuille, Sylvie Retailleau, a pour but de combler certaines lacunes de l’enseignement supérieur, soulevées entre autres par le rapport « Jouzel et Abbadie », en matière de formation aux enjeux environnementaux. 

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Un socle commun de connaissances en écologie pour tous les étudiants

C’est donc l’ensemble des établissements d’études supérieures (Universités et écoles publiques et privées) qui s’est mis en mouvement pour respecter cette nouvelle échéance. À l’école de design de Nantes, cela a par exemple conduit à créer un programme de près de 20 heures de cours crédités répartis sur un semestre pour comprendre l’enjeu de la crise environnementale et de la biodiversité pour les premières années

Au programme, l’incontournable Fresque du Climat – « les 400 étudiants de première année ont réalisé la fresque en septembre », se réjouit Jean-Luc Barassard -, mais aussi un MOOC, le « B.A.-BA du climat et de la biodiversité » du Centre national d’enseignement à distance (Cned), et des conférences sur la biodiversité et la manière de la préserver. 

« Les étudiants de 1ère année doivent avoir connaissance du lien qui peut exister entre crise climatique, environnementale, écologique, et le métier de designer », souligne Jean-Luc Barassard. Ce lien, c’est ce que chaque établissement tente de créer dans l’imaginaire des nouveaux étudiants dans les différentes filières d’apprentissage, comme dans les écoles de commerce, l’instar de l’ESSEC Business School ou l’ESCP, ou d’ingénieur (CentraleSupélec, ENSTA Bretagne). 

L’ESSEC a renforcé cette année les formations existantes (journée climat, conférences et témoignages, atelier 2 tonnes) avec une nouvelle semaine de formation pour le programme « Grand École » de l’établissement. Sur l’agenda : de  nouveaux modules sur les Objectifs de développement durable (ODD), les limites planétaires, la Théorie du Donut de l’économiste britannique Kate Raworth et une simulation de démarche RSE en entreprise. 

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En plus de cette nouvelle semaine, l’école de commerce a entamé la transformation des formations existantes. Un travail qui se voit peut-être moins, mais de longue haleine et essentiel pour assurer la formation efficace des futurs dirigeants d’entreprises aux enjeux environnementaux et sociaux. « C’est bien d’avoir des rentrées dans lesquelles on explique aux étudiants les enjeux environnementaux et la manière dont nos modèles de sociétés génèrent des impacts sociaux et environnementaux. Mais désormais notre rôle est de réinterroger l’ensemble de nos enseignements pour les aligner avec ces enjeux-là », souligne Maud Chassande responsable de la transformation écologique à l’ESSEC Business School.

Établissement privés / publics : des moyens inégaux pour transformer l’enseignement supérieur

Reste que pour de nombreux établissements français, l’annonce du Ministère de l’enseignement supérieur (MESR) de former l’ensemble des étudiants aux enjeux de durabilité d’ici 2025 aura permis d’accélérer la cadence. « Cela fait des années que nous avons des formations liées au développement durable, en chimie et en physique, retrace Odile Cristini-Robbe, Vice doyenne en charge de la formation de FST (Faculté des sciences et technologies) de l’Université de Lille, mais c’est  l’annonce du ministère qui nous a poussé à imposer un petit nombre d’heures crédités pour tous les étudiants de première année »

Pour cette rentrée 2024 – 2025, seulement 10h de formation à l’environnement sont crédités pour les L1.  Comme le préconise le rapport Jouzel – Abbadie, la faculté compte cependant monter à 30h de formation pour la prochaine campagne d’accréditation du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) en 2026.

Le problème est qu’aucun budget n’a été alloué par le MESR pour la création de ces nouveaux cours, ni pour la formation des professeurs pour dispenser ce socle de connaissances transversal, comme le décrit plus longuement le journal Le Monde. « C’est compliqué, constate Odile Cristini-Robbe, nous avons dû mettre des ressources financières et humaines que nous n’avons pas pour refaire les maquettes par exemple. Ce sont des heures que nous avons enlevées ailleurs ». 

Une situation d’autant plus difficile que le Ministère de l’enseignement supérieur a été la cible de coupes budgétaires successives que regrette le Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup-Fsu) dans un communiqué« Alors que le nombre d’universités en déficit était de 30 en 2023 et 15 en 2022, il pourrait monter à 60 en 2024 ! ». Concrètement pour l’Université de Lille, 2024 a commencé avec un budget déficitaire de 18 millions d’euros. Outre le manque de financement, c’est aussi la structure même des universités qui pose problème. Plus d’étudiants, de nombreuses facultés et des filières diverses, le travail d’homogénéisation des cursus est d’autant plus complexe dans l’enseignement supérieur public.

Malgré cela, la faculté de sciences de Lille multiplie les rencontres et les actions de sensibilisation à travers son « Bar des sciences », la participation au Challenge Energic organisé par la métropole, et des ateliers de médiation scientifique présentés par les étudiants, les enseignants, les personnels techniques et administratifs et les chercheurs de la faculté. 

Illustration : Fresque du Climat organisée pour les élèves de L1 de l’Université de Lille. Crédit photo – Université de Lille –