Alors que la pollution plastique fait l’objet de négociations internationales à Busan en Corée du Sud, un nouveau rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) met en lumière les effets moins connus du plastique sur notre santé. Cette menace silencieuse est responsable de nombreuses perturbations de nos fonctions biologiques et est impliquée dans des pathologies graves. Les scientifiques appellent à une réduction drastique de la production plastique et un contrôle renforcé des substances chimiques associées.
La pollution plastique est un phénomène bien connu. L’évoquer nous amène d’emblée aux multiples formes qu’elle prend : ce continent de plastique dans le Pacifique, ces montagnes de déchets, ces bouteilles et filets de pêche sur les plages… Une autre menace existe pourtant lorsqu’on parle de pollution plastique, plus subtile et moins visible : celle sur la santé humaine.
Un rapport présenté en novembre 2024 par l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), organe commun à l’Assemblée nationale et au Sénat, met en lumière cette facette encore trop méconnue de la pollution plastique. Alors que la 5ème session de négociation sur le traité international contre la pollution plastique se tient à Busan (Corée du Sud), ce travail de synthèse d’auditions d’experts (à regarder ici) dresse un état des lieux des connaissances scientifiques sur l’impact sanitaire du plastique. Il révèle que ce matériau omniprésent de notre quotidien pénètre nos organismes, perturbe nos fonctions biologiques, et génère des coûts humains et économiques exorbitants.
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Une invasion silencieuse des plastiques dans nos organismes
Depuis les années 1950, la production mondiale de plastique a explosé, atteignant 500 millions de tonnes en 2024. Et le phénomène devrait poursuivre son accélération. « Les projections de l’OCDE donnent une production de 750 millions de tonnes en 2040, et de plus d’un milliard de tonnes en 2050 », explique lors d’une conférence de presse le député MoDem du Maine-et-Loire, Philippe Bolo, à l’initiative de l’audition publique.
Mais cette croissance effrénée a un coût : les plastiques, sous forme de micro et nanoplastiques, s’infiltrent dans tous les écosystèmes et jusque dans le corps humain. « À l’heure actuelle, nous avons encore des incertitudes sur l’exposition humaine par rapport aux sources des données et aux méthodes d’estimations », rappelle Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherche en toxicologie alimentaire à l’INRAE lors de l’audition. La chercheuse explique ainsi, en s’appuyant sur une étude scientifique de 2024, qu’en fonction des régions du monde, un humain peut absorber de 1 à 500 milligrammes par jour de plastique, comme c’est le cas en Asie du Sud-Est, « du fait essentiellement de la consommation de fruits de mer ». Une autre étude récente estime qu’un Parisien inhale jusqu’à 30 millions de particules plastiques par an.
Ces plastiques s’accumulent dans les poumons, le foie, le cerveau, les testicules et même le placenta. Ces particules, ingérées à travers l’eau et les aliments, inhalées dans l’air, ou absorbées par contact avec la peau peuvent provoquer des inflammations chroniques et des pathologies graves comme des cancers, des problèmes respiratoires. Ils perturbent également le microbiote intestinal, « les microplastiques peuvent modifier le métabolisme du microbiote, ajoute Philippe Bolo, notamment diminuer la production d’acides gras, le butyrate, qui est essentiel pour la santé des enfants ».
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Des substances dangereuses pour la santé humaine
Et les dégâts ne s’arrêtent pas là. Dans le système cardiovasculaire, des microplastiques détectés dans la plaque carotidienne augmentent considérablement le risque d’infarctus et potentiellement d’accidents vasculaires cérébraux.
Au-delà des contaminations directes, les plastiques sont aussi des sources de substances chimiques (monomères, additifs, auxiliaires de fabrications, substances chimiques ajoutées non intentionnellement) qui peuvent avoir des conséquences graves sur la santé. Sur les 16 000 produits recensés dans la base de données PlastChem, « 4 000 substances sont jugées dangereuses et 10 000 sont sans données de dangerosité », précise le député MoDem. Ces composés chimiques sont associés à des malformations fœtales, des cancers, de l’obésité, et des troubles cardiovasculaires, aggravant d’autant plus le bilan sanitaire.
Parmi les molécules chimiques les plus dangereuses se trouvent les bisphénols, notamment le plus connu, le bisphénol A (BPA), longtemps utilisé en France dans les emballages alimentaires. « Le cas du bisphénol est un cas alarmant [ …], il a plusieurs types d’effet, notamment celui d’être un perturbateur endocrinien », explique Robert Barouki, biochimiste et toxicologue à l’Inserm, lors de l’audition publique. Interdit depuis le 1er janvier 2013 en France, quatre organismes professionnels et onze entreprises du secteur de l’agroalimentaire ont ainsi été sanctionnés début 2024 par l’Autorité de la concurrence à 19,5 millions d’euros d’amendes pour avoir restreint l’information des consommateurs sur la présence de BPA dans leurs emballages.
Le coût exorbitant de l’inaction
Au-delà de ses effets sanitaires, les plastiques ont en outre un coût économique démesuré pour la société. Aux États-Unis, les seuls impacts économiques de trois substances chimiques clés associées aux plastiques (PBDE, BPA et DEHP) sont estimés à 675 milliards de dollars par an. Ces chiffres incluent à la fois les dépenses de santé et les pertes de productivité. Mais dans les faits, ces chiffres sous-estiment surtout le réel coût économique des substances chimiques présentes dans les plastiques. Le chiffre ne concerne par ailleurs que les États-Unis et 3 molécules sur les plusieurs milliers qui existent.
La production de plastique aggrave en outre les émissions de gaz à effet de serre. Elle pourrait représenter 19% des émissions de gaz à effet de serre mondiales d’ici 2024 si rien n’est fait pour enrayer sa production d’après la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Les communautés proches des sites de fabrication payent aussi le prix fort des pollutions des sols, des nappes phréatiques et de l’exposition accrue à des produits cancérigènes. Le rapport rappelle ainsi que ce sont les populations et les travailleurs, et non les industriels, qui subissent les conséquences économiques et sanitaires de cette pollution. Ce plastique, bon marché et polyvalent mais surtout omniprésent n’est donc possible qu’au prix de la santé de la population.
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Un appel à un plus grand contrôle de la production plastique et des industriels
A l’heure où les négociations internationales touchent à leur fin, les experts appellent à des mesures fortes et globales. L’Office espère que les négociations se concluront sur un traité ambitieux et juridiquement contraignant qui dépasse la simple gestion des déchets, pour obtenir une baisse drastique de la production de plastique.
L’OPECST appelle aussi à une plus grande transparence des industriels et une réglementation plus stricte sur les substances chimiques en s’appuyant sur le principe « pas de données, pas de marché ». Le sénateur Écologistes Daniel Salon abonde en ce sens lors de l’audition, « on a un vrai souci de transparence puisque les industriels ne nous donnent pas les éléments des plastiques qu’ils mettent sur le marché », pointe-t-il. Comme le mentionne le rapport, il n’existe aucune information sur la dangerosité des deux tiers des substances chimiques, et pour 60 % d’entre elles, « il n’y a pas d’information sur leur utilisation ou leur présence dans les matériaux et produits plastiques », rappelle l’OPECST.
À lire : No more plastic, comment le plastique ruine notre santé
C’est un livre en forme de cri d’alarme que livre Rosalie Mann, la présidente et fondatrice de l’ONG No More Plastic. Dans un livre très accessible, elle compile de nombreuses études scientifiques en vulgarisant leurs effets sur notre santé. Longtemps considéré comme fantastique au vu de ses multiples propriétés et de son coût modeste, le plastique se révèle malheureusement aussi toxique pour l’environnement comme pour les êtres humains, en particulier les femmes (endométriose, grossesse…). Une problématique de santé publique encore peu connue – à ce titre les travaux de l’OPECST sont majeurs – et donc peu traitée. Au-delà des conséquences, Rosalie Mann remonte aussi le fil des causes du « problème plastique », en faisant notamment un zoom bienvenu sur la mode, grande utilisatrice de fibres synthétiques. Elle s’inquiète aussi de l’« hérésie » du 100% recyclé pour nous orienter vers une réduction de notre dépendance à cette matière devenue omniprésente dans notre quotidien et fait le point sur les fausses et bonnes solutions mises sur le marché.
BH
No more plastic, Rosalie Mann, Editions La Plage, 2024, 256 pages, 22 €
Illustration: Canva