La transition écologique sera porteuse d’emplois, soulignent plusieurs études. Mais de quels emplois parlent-on ? Quelles sont les conditions de travail et de rémunération de ces emplois ? Avons-nous les compétences nécessaires pour y faire face ? En se plongeant dans les dernières études sur le sujet, Youmatter fait le point sur cet enjeu majeur, en déconstruisant certaines idées reçues…

1% des salariés occupent un emploi « vert » en France

L’économie verte comprend à la fois les métiers verts, qui ont une finalité environnementale, (par exemple, les métiers liés à la production et la distribution d’énergie et d’eau, à l’assainissement et au traitement des déchets); et les métiers dits verdissants, dont la finalité n’est pas directement environnementale mais dont les compétences vont progressivement évoluer pour prendre en compte ces enjeux. On y trouve des métiers liés au transport, au tourisme, au logement (architectes, couvreurs, poseurs en isolation thermique), à la RSE… Au total, ces métiers représentent quelque 15% des salariés de France métropolitaine : 1,1 % pour les emplois verts et 14,2 % des emplois verdissants, selon l’enquête Sumer, qui court sur la période 2010 et 2017. 

Si l’on prend le marché de l’emploi, on est sur le même ordre de grandeur selon les données 2023 de la SDES. 16 % des offres d’emploi déposées par les employeurs auprès de France Travail concernent des métiers verts (notamment le nettoyage des espaces urbains) ou verdissants et 14% des demandeurs d’emplois sont intéressés par ce type de métier. Il s’agit donc d’un marché en tension. 

A long terme, la transition écologique aura un impact modéré mais positif sur l’emploi 

La transition écologique est-elle porteuse d’emplois ? C’est ce que montrent les travaux du Shift Projet (2021) par exemple qui prévoient une création nette d’emplois de près de 300 000 emplois à horizon 2050. C’est aussi ce que prévoient les travaux préliminaires du SGPE  sur les emplois et compétences de la planification écologique diffusés en début d’année. Ceux-ci tablaient sur une création nette de 150 000 emplois à taux plein d’ici à 2030. Et c’est sur quoi table la SNBC (stratégie nationale bas carbone), actuellement en consultation, qui ambitionne de « créer des emplois en France » via la planification écologique. Quatre secteurs seront particulièrement concernés : la construction (rénovation énergétique), l’énergie (via la décarbonation et la refonte du mix énergétique), le transport (modification de la répartition des modes de transport et fabrication des matériels) et l’agriculture. 

Pourtant, « Les effets de la transition écologique sur le volume d’emplois créés et détruits devraient être modérés, même si ce résultat masque d’importants écarts selon les secteurs : un million d’emplois disparaîtront dans certains, un million d’emplois apparaîtront dans d’autres », tempère de son côté Michaël Orand, chef de la Mission d’analyse économique à la Dares et coordinateur du rapport thématique Marché du travail de la mission Pisani-Mahfouz lors d’une table ronde de France Stratégie. 

Qu’en sera-t-il vraiment ? Pour l’instant il ne s’agit que de projections et les modélisations sont très différentes selon le prix du carbone qui sera réellement pris en compte dans les prochaines années, soulignait Anne Epaulard, professeur des universités à l’université Paris Dauphine-PSL et conseillère scientifique à France Stratégie lors d’un colloque à la Dares. Ainsi, avec un prix du carbone de 100 € en 2030, le « choc serait comparable à l’arrivée de la Chine dans l’OMC en 2004 », c’est-à-dire modéré. Mais l’on sait que ce prix est très sous-évalué si l’on veut vraiment atteindre la neutralité carbone en 2050 : il faudrait en réalité un prix à 280 € la tonne en 2030, 560 en 2040 et 860 en 2050 selon les travaux de la commission Quinet (2019). Or cela entraînerait alors « des réallocations d’emplois gigantesques » via des changements majeurs de mix énergétique et de comportements, explique l’économiste. 

En attendant, à court terme, il faut s’attendre à des « frictions », estime Anne Epaulard. Celles-ci seront causées par des réallocations entre les différents secteurs d’activités, par exemple on peut s’attendre à moins de transport aérien et plus de tourisme de proximité; à l’intérieur des secteurs (moins de voitures thermiques mais plus de voitures électriques) mais aussi entre les différentes régions, avec de fortes disparités selon les bassins d’emplois qui pourraient se poursuivre sur le long terme. Sur les prochaines années, nous assisterons donc à la « co-existence d’insuffisances d’offres de travail sur certains marchés (manque de certaines compétences) et de surcroît de chômage » dans certaines zones, précisait-elle lors de sa présentation à la Dares

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Tous les métiers vont devoir se transformer sous l’effet de la transition écologique

8 millions d’emplois sont directement concernés par les leviers de la planification écologique, selon le SGPE. Tous les secteurs sont impactés, y compris le tertiaire, même si l’impact quantitatif est plus difficile à mesurer, souligne le secrétariat général à la planification écologique. La plupart des études convergent notamment sur le fait qu’’il s’agira moins de créer de nouveaux métiers (hors métiers spécifiques) que de faire évoluer les métiers actuels avec de nouvelles méthodes de travail mais aussi une adaptation des compétences actuelles. Une étude sémiologique est d’ailleurs en cours à la Dares pour mieux identifier les compétences « vertes » demandées dans les offres d’emplois. 

« Encore peu nombreux, les emplois et métiers cadres à finalité environnementale vont continuer de se développer », note de son côté l’APEC dans son étude sur la transition écologique. Aujourd’hui, seulement 25 500 cadres du secteur privé exercent un métier à finalité environnementale, soit une part marginale de la population cadre. Mais ces offres d’emploi émises pour ces profils continuent d’augmenter (+48 % entre 2019 et 2022), notamment dans le secteur de l’énergie. 

Pour 2 cadres sur 3, ce verdissement aura un impact important sur leur métier, et pour cela une grande majorité aimerait suivre des formations spécifiques aux enjeux de durabilité de leur métier, souligne une étude Bartle, l’ESSEC Business School et Birdeo. Or l’offre actuelle n’intègre pas suffisamment les enjeux de la transition écologique, selon l’aveu même des Acteurs de compétences (ex-fédération de la formation professionnelle). C’est notamment ce qui a incité l’organisme de formation Les nouveaux géants à proposer des évolutions de compétences vertes pour 11 métiers clés identifiés comme clés dans la transformation écologique des entreprises comme la R&D, les achats, la finance, la conception, la supply chain ou le juridique. 

La pénurie de compétences pourrait freiner la transition écologique 

« Il y a une pénurie de compétences qui freine la transition écologique », alertait Thomas Gaudin, économiste à la direction Prospective et recherche de l’ADEME lors du colloque de la Dares. C’est aussi ce que constate le Conseil de l’UE dans un document préparatoire où il écrit que « les pénuries de main d’œuvre et de compétences constituent des obstacles majeurs à la croissance durable et inclusive de l’UE, à sa compétitivité et aux transitions écologiques et numériques »

Et cela risque de s’accroître. L’exercice de projection Métiers 2030 de France Stratégie (réalisé en 2022) souligne notamment que dans un scénario bas carbone, à horizon 2030, « les recrutements difficiles » pourraient représenter un tiers des postes à pourvoir dans les domaines du bâtiment et des travaux publics, contre un quart dans le scénario de référence. Dans le cadre de la « réindustrialisation verte », c’est une cinquantaine de métiers considérés comme stratégiques qui pourraient être en situation de « déséquilibre », estime de son côté la direction générale des entreprises (DGE). 

Des métiers déjà en tension aujourd’hui, notamment parce qu’ils font appel à des profils techniques dont le savoir-faire est peu partagé et peu accessible pour les demandeurs d’emplois ou diplomés d’autres filières (ex : ouvriers du travail du bois). Mais aussi pour des raisons structurelles comme des conditions de travail contraignantes,des contrats peu durables et des rémunérations peu attractives. Résultat : en l’état il faudrait près de trois cents ans pour atteindre nos objectifs de rénovation thermique, estime la fédération construction de bois. « Sans agenda social impliquant adaptation des formations, parcours de reconversion sécurisés financièrement dans les métiers dont on a besoin, on freine la transition faute de vivier de recrutement », alertait ainsi Anne-Juliette Lecourt économiste en charge de la transition écologique et du développement économique lors d’un webinaire France Stratégie. 

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Les métiers verts sont aussi les métiers les plus pénibles 

Si sur le papier, les métiers verts peuvent faire rêver, la réalité est malheureusement moins reluisante. Les professions relevant de l’économie verte sont aujourd’hui associées à de plus fortes expositions aux facteurs de pénibilité que les autres, selon une étude de la Dares. « Les salariés de l’économie verte sont surexposés à la pénibilité (environnements physiques agressifs, produits cancérigènes / vibrations mécaniques, postures, nuisances thermiques) même s’ils sont moins exposés aux rythme de travail atypiques et répétitifs », soulignait ansi Nathalie Havet, professeure d’économie à l’École Nationale des Travaux Publics d’État (ENTPE), lors du colloque de la Dares. Et cela s’est encore aggravé entre 2010 et 2017, surtout pour les plus précaires (intérimaires…) car les emplois de l’économie verte ont moins bénéficié des améliorations de conditions de travail que les autres, note la chercheuse qui a travaillé sur l’exposition de ces travailleurs aux risques professionnels (Sumer) de 2010 et 2017. Parmi les hypothèses étudiées pour expliquer cette surexposition: une politique de sécurité d’entreprise peu développée, un manque de prévention ou d’innovation. Quoiqu’il en soit de « nouvelles stratégies sont à développer », estime Nathalie Havet. 
Celles-ci devront notamment intégrer une perspective de transition juste, en s’adressant notamment aux emplois les moins qualifiés. Car selon une autre étude en cours de l’OCDE dans les métiers qui assureront la neutralité carbone, le gain dans la qualité des conditions d’emploi est plutôt concentré dans les professions hautement qualifiés (ex : salaire supérieur) en revanche, les moins qualifiés ont une sécurité de l’emploi moindre et des salaires plus bas. « Sans action politique ces emplois risquent de souffrir davantage », soulignait ainsi Andrea Bassanini  OCDE, économiste senior à l’OCDE et rédacteur en chef des perspectives de l’emploi lors du colloque de la Dares. Et ce, d’autant que le stress au travail est plus fort dans les métiers recherchés dans le cadre de la transition écologique…

Illustration : Canva