Une note d’analyse publiée par la DREES montre l’augmentation des déserts médicaux en France. D’où vient ce problème ? Tentons de comprendre.
Vendredi 14 février 2020, la DREES a publié une note d’analyse sur l’évolution de l’accès à la médecine généraliste. Résultats : une part de plus en plus importante de la population française vivrait aujourd’hui dans ce que l’on appelle un « désert médical », c’est-à-dire dans une zone où l’accès à la médecine généraliste est limitée.
Pourquoi cette augmentation ? Qu’est-ce qui permettrait d’inverser le phénomène ? Voyons voir.
Près de 6% de la population française vit dans un désert médical
Pour évaluer l’accès à la médecine des différentes populations et des différents territoires du pays, la DREES calcule ce que l’on appelle l’APL (Accèssibilité Potentielle Localisée). Il s’agit, en résumé, du nombre moyen de consultations auquel aura accès un citoyen dans un rayon de 20 minutes maximum en voiture autour de son domicile chaque année.
Le calcul de l’APL est un peu complexe et compte différents paramètres, mais grosso-modo, l’idée est de confronter la demande de soins (les besoins de consultation des citoyens d’un territoire) à l’offre de soin (la quantité de consultations théoriquement disponibles sur ce territoire). Cela permet de savoir à peu près combien de fois un individu a la possibilité d’aller chez le médecin généraliste près de son domicile chaque année. Sous un certain seuil (l’accès à 2.5 consultations par an et par habitant) on considère qu’un territoire est sous-doté en accès à la médecine généraliste.
Le constat, c’est qu’il y aurait désormais 5.7% de la population vivant dans un territoire en sous-accès à la médecine généraliste, contre 3.8% il y a quatre ans. Cela représente près de 3.8 millions de personnes. En gros, près de 6% de la population française vivrait dans ce que l’on qualifié de « désert médical ».
Mais en réalité, la baisse de l’APL s’observe partout en France, même dans des zones qui sont bien loties en matière d’accès à la santé. Alors, d’où vient ce problème ? Pourquoi a-t-on moins accès qu’avant à la médecine généraliste ?
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La diminution du nombre de médecins généralistes
La première cause pointée dans l’étude, c’est la baisse du nombre de médecins généralistes par habitant. En fait, depuis 2015, le nombre de médecins généraliste stagne en France, et le nombre de médecins généralistes libéraux ou salariés d’un centre de santé (c’est-à-dire tous ceux qui ne sont pas salariés à l’hôpital) a diminué légèrement. Dans le même temps, la population française, elle, a augmenté d’un peu plus de 1%. Résultat, il y a moins de médecins accessibles pour une consultation classique de médecine généraliste aujourd’hui qu’il y a quelques années.
La raison de cette baisse est principalement « démographique » : en fait, de nombreux médecins issus des générations diplômées dans les années 70-80 partent à la retraite. Avec le faible numerus clausus appliqué dans les années 90, on se retrouve aujourd’hui avec une situation qui avait été mal anticipée : il n’y a plus assez de médecins en activité, et le numerus clausus actuel ne compense pas les départs à la retraite.
Les déserts médicaux et l’attractivité des territoires : une problématique complexe
Mais la question des déserts médicaux n’est pas seulement numérique. Elle est aussi une question d’aménagement du territoire. On le voit bien lorsqu’on regarde les cartes publiées par la DREES : le problème du sous-accès à la médecine généraliste est particulièrement fort dans certains territoires.
Ces territoires, souvent rassemblés dans le Centre-Nord de la France et les département d’outre-mer ont plusieurs points commun selon la DREES : elles sont moins dotées en équipements et en infrastructures, elles comptent moins de gares, moins de commerces, moins d’activité économique et culturelle… Bref, ils font partie de ces territoires que l’on qualifie parfois d' »oubliés », oubliés des processus d’urbanisation et de métropolisation, oubliés de la mondialisation, oubliés des politiques publiques. Souvent ruraux, ou entourant des villes moins dynamiques, ils ne bénéficient pas de l’attractivité économique et culturelle des grands centres urbains.
Logiquement, peu de médecins ont envie de s’installer dans ces zones dont on dit régulièrement qu’elles sont en train de « mourrir ». Et en l’absence d’incitatifs forts, on comprend que lors des départs à la retraite, il n’y ait personne pour assurer la continuité.
Déserts médicaux : la baisse du service public de santé accompagne la baisse des autres services publics et de l’activité
En fait, il semble y avoir une corrélation assez forte entre le développement des déserts médicaux et la diminution territoriale des autres services publics : les services postaux qui ferment, les lignes de transport en train qui diminuent, le nombre d’écoles en baisse… Le tout étant aussi lié à la baisse de l’activité économique : fermeture des commerces, des industries, moindre attractivité des activités agricoles…
Avant d’être un problème de formation des médecines et de numerus clausus, la croissance des déserts médicaux est donc surtout un problème d’aménagement du territoire. C’est parce que certains territoires sont entrain d’être délaissés (par les acteurs publics et privés) que la médecine, comme les autres, suit ce mouvement d’éloignement.
Bien-sûr, il faudrait certainement moduler le numerus clausus, créer des infrastructures de santé adéquates dans ces territoires, inciter plus fortement les médecins à s’installer dans ces zones. Ou comme le suggèrent certains (le Sénat, l’Académie de Médecine), créer une obligation de service pour les médecins, assortis d’une affectation en zone prioritaire… Voire comme le proposait la Cour des Comptes, de moduler l’installation des médecins en jouant sur le conventionnement des praticiens (refuser le conventionnement dans les zones bien dotées par exemple). Mais ces propositions suscitent des controverses : difficiles à appliquer, avec de possibles effets pervers, mauvaises pour l’attractivité du métier de médecin…
Et surtout, pour régler le problème de façon durable, il faudra tôt ou tard s’attaquer à la question de la redynamisation des territoires français.
Photo par Hush Naidoo sur Unsplash