Et si une vie trop urbaine nous éloignait des enjeux environnementaux ? Des structures urbaines peu mobiles, un lien trop occasionnel avec le vivant, les villes auraient tendance à limiter nos connaissances et notre imaginaire sur les dynamiques des écosystèmes. Pire encore, cette influence pernicieuse participerait à réduire l’adoption de bonnes pratiques en faveur de l’environnement. On vous explique ce nouveau lien révélé dans une étude menée par des chercheurs du National Institute of Standards and Technology.
Quelle relation entretient-on avec la nature, l’environnement, les écosystèmes ? Comment comprend-on les phénomènes naturels et quels enseignements en tire-t-on ? Ces questions ont animé une équipe de chercheurs du National Institute of Standards and Technology (NIST), qui ont constaté dans une étude publiée dans le journal npj Urbain sustainability, que les habitants des villes étaient moins au fait des sujets environnementaux que ceux vivant à la campagne.
Un constat que les scientifiques ont nommé Urbanized knowledge Syndrome (UKS), soit le syndrome de la pensée urbanisée. « Nous supposons que l’urbanisation n’a pas que des répercussions écologiques, mais également sociales, note dans un communiqué Payam Aminpour, chercheur post-doctoral au NIST et auteur principal de l’étude, cela peut amener les individus à se détourner des enjeux environnementaux et les bloquer dans l’adoption de comportements vertueux en faveur de la protection de la nature ».
La vue du béton éloigne les citadins de la nature
Afin de mieux comprendre les dynamiques personnelles provoquant un changement de comportement en faveur de l’environnement, les chercheurs ont analysé les données d’un sondage envoyé à 1 400 habitants du Nord-Est des Etats-Unis. Les questions portaient sur le mode de vie de l’individu interrogé, ses croyances politiques, mais également sur ses connaissances techniques du fonctionnement des écosystèmes côtiers, par exemple sur les conséquences de l’artificialisation.
Les chercheurs ont ainsi remarqué que les citadins, beaucoup plus confrontés à la vision standardisée des zones urbaines, d’un béton inerte et d’une biodiversité plus limitée que dans les campagnes, comprenaient moins bien les phénomènes environnementaux. Ils perçoivent par exemple de façon très superficielle les liens qui existent entre les écosystèmes et leurs ressources naturelles d’un côté, et les étapes de la fabrication des produits ou des services qu’ils consomment. Ils voient ainsi moins bien les liens entre les activités humaines et la dégradation de l’environnement. Ils évaluent moins bien les limites du système planétaire.
Au contraire, les habitants des campagnes ont quant à eux tendance à proposer des réflexions plus systémiques, et sont capables de décrire avec plus de réalisme les écosystèmes. « Avons-nous une attirance naturelle à l’environnement ? Ce qui nous pousse à vivre en campagne. Ou alors, vivre dans des lieux moins urbanisés nous pousse-t-il à nous intéresser plus à la nature ?, se questionne Payam Aminpour, en l’état actuel des recherches, il est pour le moment impossible d’y répondre ».
Conscientiser la nature
À partir de ces réponses, les auteurs de l’étude ont pu produire des modèles mentaux – une reproduction très schématique de la réflexion des personnes interrogées. Cette manière d’organiser les données permet de rendre compte de ce que les auteurs appellent le Systemes Thinking, ou pensée systémique : notre capacité à analyser concrètement le fonctionnement d’un système et les relations de cause à effet en son sein. Cela peut concerner autant le fonctionnement d’un écosystème, d’un corps humain, d’un objet (voiture, radio…) ou d’une organisation.
Cette manière de penser s’active en permanence afin d’appréhender ces systèmes complexes formant notre environnement. Plus un individu sera capable de faire de liens de cause à effet sur un sujet donné, plus il sera capable de produire un raisonnement réaliste sur le fonctionnement de ce dernier.
Les citadins se révèlent, en moyenne, être plus susceptibles de développer des raisonnements « linéaires », autrement dit, des explications simplifiés avec des liens de cause à effet peu subtiles. Par exemple, les digues servent à protéger les villes contre les risques de submersion. Au contraire, les habitants des campagnes sont capables de développer des raisonnements plus complexes : outre la protection contre la submersion, la construction de nouvelles digues réduit l’érosion des sols localement, mais participe à la destruction de la biodiversité…
L’éducation aux problèmes environnementaux
Les constats des chercheurs appellent à s’interroger sur les notions de formation et d’éducation aux enjeux environnementaux.
Il est attendu que la population urbaine double d’ici 2050, passant de 4,2 milliards à 8,4 milliards d’habitants… Dans ces villes, les populations sont confrontés à de nombreux enjeux sociaux et économiques, qui les rendent parfois plus vulnérables aux futurs événements climatiques et aux catastrophes environnementales. Il semble alors fondamental que ces populations retrouvent une certaine connaissance des enjeux environnementaux. Il s’agit à la fois pour elles d’être plus à même de faire preuve de résilience face à ces crises, mais aussi de faciliter le déploiement de politiques publiques cohérentes avec les futurs événements climatiques extrêmes que les populations vont subir : canicules, sécheresses, inondations…
Par exemple, selon une étude de 2021 publiée dans Nature communication, les risques de submersion marine ont augmenté de près de 50% à l’échelle mondiale en seulement deux décennies. Un sinistre bilan alors qu’on estime à 758 millions le nombre de personnes vulnérables aux inondations d’ici 2030. Pour faire face à la hausse de ces phénomènes, il faudra que les populations, les décideurs et les gestionnaires réapprennent à envisager l’enjeu de façon systémique.
Les chercheurs conseillent donc une réflexion profonde quant au développement de nouveaux projets urbains plus écologiques, afin de recréer une promiscuité entre vivant et humains. Pour eux, cela doit se réaliser par une décentralisation des politiques d’adaptation et d’atténuation au profit des territorialités, plus à même de comprendre les besoins locaux.
« Nous avons la preuve que les infrastructures jouent un rôle important dans la perception des individus. Elles pourraient avoir de multiples conséquences directes sur les communautés, par exemple la capacité à avoir une vision diversifiée des enjeux environnementaux, souligne Jennifer Helgeson, co-autrice de l’étude, mais nous n’en sommes encore qu’au début des recherches sur ce sujet ».