Une nouvelle étude révèle que les milieux aquatiques, même asséchés, émettent une quantité non négligeable de méthane. Une tendance qui devrait s’accélérer dans les prochaines décennies alors que les périodes de sécheresse s’intensifient en raison du réchauffement climatique. On vous explique.
Les épisodes désastreux d’asséchement des espaces aquatiques s’accélèrent. Que se soit le lac Powell aux Etats-Unis ou bien en France avec le Doubs, ces périodes de sécheresse laissent aujourd’hui une terre sèche et craquelée, impropre à la vie… Dans le monde, environ 15% des réserves en eau ont totalement disparues, et près de 30 % du réseau de rivières mondial est devenu intermittent, c’est-à-dire que les cours d’eau, autrefois permanents, se sont complétement arrêtés de couler une partie de l’année.
Les conséquences de ces sécheresses sont multiples : perte de la biodiversité, pénurie d’eau pour l’agriculture, accélération de l’érosion des sols, déficit économique pour les activités dépendantes… Mais un autre effet néfaste, pour le moment peu étudié, a été mesuré dans des travaux menés par l’Institut Leibniz d’écologie des eaux douces et des pêches intérieures (IGB). Les eaux intérieures (Lacs, rivières, bassins), même asséchées, participeraient à des émissions de méthane (CH4) non négligeables.
L’intensification de la sécheresse et du stress hydrique sur ces espaces aquatiques pourraient bien entretenir un cercle vicieux difficile à évaluer.
Le méthane, deuxième gaz le plus polluant
Le méthane est un puissant gaz à effet de serre (GES) qui représente 30 % des émissions de GES depuis l’ère pré-industrielle. Près de 580 millions de tonnes de CH4 ont été émis en 2021 selon le Global Methane Tracker 2022 publié par l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cela fait de lui le deuxième gaz le plus polluant après le dioxyde de carbone (CO2).
À court terme, le méthane a des conséquences bien plus importantes que le CO2. Sur 100 ans, son pouvoir de réchauffement global (GWP) serait entre 27 et 30 fois supérieur au CO2. Sur une période de 20 ans, les calculs estiment que le pouvoir de réchauffement du méthane serait 81 fois plus fort que le CO2.
Cette différence majeure entre les calculs sur 100 ans et sur 20 ans s’explique par la durée de vie des GES dans l’atmosphère qui est de seulement 12 ans pour le méthane. Ce qui veut dire qu’un arrêt rapide des émissions de méthane peut avoir un impact significatif et à moyen terme dans la réduction de l’effet de serre. Mais les prévisions ne sont pas favorables à un tel scénario de réduction, tant au niveau industriel que naturel.
L’activité humaine représente environ 60 % des émissions de méthane. L’agriculture, l’énergie et le traitement des déchets ménagers sont les principaux secteurs responsables des émissions de CH4. Or, d’après le rapport de l’AIE, les émissions de méthane du secteur de l’énergie aurait repris ses valeurs d’avant Covid-19. Les émissions seraient en outre sous-estimées de 70% par les autorités gouvernementales.
Les 40% restants sont produits naturellement, notamment lors du processus de fermentation de la matière organique, végétaux et animaux morts. Mais cette part des émissions est vouée elle aussi à augmenter.
Lorsque les eaux douces s’assèchent
L’étude menée par l’IGB a révélé que le méthane était aussi produit lors des périodes d’asséchement des eaux intérieures. Le méthane contribue, selon les espaces, de 10 et 21% de l’ensemble du carbone (en équivalent CO2) émis par les milieux asséchés, soit près de 2,7 millions de tonnes de méthane par année.
Pour arriver à ces résultats, les scientifiques ont cherché à connaître les émissions de 89 milieux aquatiques (lacs, bassins, rivières) dans différents climats (tropical, continental et tempéré). Dans chaque site, les chercheurs ont mesuré les émissions de méthane des espaces asséchés et des sols adjacents en amont des points d’eau. Ils ont observé les émissions de méthane étaient constamment plus importantes dans les zones dénués d’eau, et ce, quelque soit le type d’écosystème ou le climat, sauf dans le cas des rivières.
Si le milieu ou le type de climat n’influence pas les émissions, quelles en sont les causes ? Pour comprendre, il faut plutôt se tourner du côté du processus de production du méthane lui-même.
Différentes sources de production de méthane
Jusqu’à présent, les scientifiques considéraient que les milieux aquatiques sans oxygène, comme les lacs, les marais ou les bassins, étaient les seuls espaces aquatiques en eau douce à produire du méthane. Lorsque les animaux et végétaux meurent, la matière dans l’eau est détruite par des bactéries. Ces dernières, lors du processus de fermentation, produisent du méthane qui s’échappe sous forme de bulles et rejoint l’atmosphère.
Une récente étude est venue compléter les connaissances sur le sujet. Le méthane serait également émis depuis des eaux oxygénées telles que les rivières. Les phytoplanctons, de minuscules organismes végétaux à la base de la chaîne alimentaire aquatique, sont responsables de ces émissions. Ces organismes unicellulaires, telle que la très présente cyanobacteria, rejettent du méthane lors de la photosynthèse.
Conclusion : que ce soit en milieu aquatique oxygéné ou non, plus il y a de la matière organique, plus il y a d’émissions. Or, la tendance dans le futur est plutôt à une croissance de la quantité de matière organique dans l’eau.
Réchauffement climatique, la boucle vicieuse
Pourquoi ? D’abord, car les phytoplanctons se développent bien dans les écosystèmes pollués par les activités anthropiques (agriculture, artificialisations des sols), au même titre que les fameuses marées vertes en Bretagne. Les apports en nutriments (l’eutrophisation) dans les espaces aquatiques favorisent la prolifération de ces végétaux.
Même si des efforts sont faits au niveau mondial dans la réduction de la pollution, ils ne seront pas suffisants face aux effets du réchauffement climatique. Notamment car la quantité de matière organique est principalement influencée par la température et l’humidité. Deux facteurs qui sont voués à augmenter dans les prochaines décennies…
Autres effets du réchauffement climatique, il est attendu d’une part que le taux d’oxygène baisse dans les lacs, résultat de l’augmentation de la température de l’eau. Cela devrait participer au développement de bactéries productrices de méthane et à une capacité moindre de ces milieux à contenir le gaz.
D’autre part, les événements climatiques extrêmes, sécheresses et moussons, seront plus fréquents et plus violents. Ils entraîneront des épisodes plus récurrents et plus importants d’émissions de CH4.
Pour le futur…
La recherche sur le méthane reste sur certains sujets encore très incomplète. Une meilleure compréhension des sources d’émissions devrait permettre des prédictions plus fiables pour les futurs scénarios climatiques.
Le maintien et la création de milieux humides et de tourbières, des puits de carbone notables, devraient en outre permettre de tempérer les répercussions de la hausse de la température, sans pour autant offrir une solution réellement viable à long terme. Ces démarches resteront anecdotiques sans une réduction massive des émissions de GES et des pollutions, et sans une protection adaptée de ces écosystèmes aquatiques vulnérables.
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