Si l’ignorance est souvent la première excuse des grands industriels pour justifier la destruction de l’environnement, l’Histoire révèle bien souvent que ces entreprises étaient au courant des pollutions inhérentes à leurs activités. Pesticides, matériaux dangereux, pétrole, pollution automobile, revenons 75 années en arrière afin de découvrir 4 scandales industriels.
Les « marchants de doutes », c’est par ce terme que les historiens Naomi Oreskes et Erki M. Conway ont décrit ces géants industriels du tabac ou du pétrole, et plus globalement les entreprises des pesticides, de l’automobile etc. qui n’ont cessé de mentir sur les répercussions de leurs activités sur l’environnement depuis les années 1950.
La cigarette bonne pour la santé, le pétrole respectueux de l’environnement, les avions (presque) neutres en carbone, les industriels manient mensonges et stratagèmes de manipulation contre les institutions et la société pour ne jamais avoir à transformer leurs activités lucratives.
Retour sur 4 scandales industriels.
DDT, l’insecticide « miracle »
1947 – Attention à ne pas longer les murs
Produit phare au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le DDT (Dichlorodiphényltrichloroéthane) est un insecticide largement répandu dans les foyers et dans les champs. La molécule est pourtant connue depuis la fin du 19e siècle, mais est identifiée comme un puissant insecticide seulement à la fin des années 1930. La première utilité du produit est d’abord sanitaire. L’armée américaine s’en sert abondamment pour endiguer et prévenir les épidémies de paludisme ou de typhus propagées par les moustiques ou les poux. Une réussite majeure qui laisse croire que le DDT est un produit miracle pour l’humanité capable de combattre de nombreuses maladies mortelles.
À partir de 1945, le DDT est commercialisé et se répand dans les foyers. Comme l’affiche publicitaire le démontre, des papiers peints à base de DDT sont même proposés aux familles américaines. L’affiche titre ainsi « PROTÉGEZ VOS ENFANTS Contre les Insectes Porteurs de maladies » (traduction). On y vante la beauté des papiers peints, leur utilité, la sureté du produit et ses bienfaits sur la santé. Puis, vient un deuxième usage aux conséquences beaucoup plus larges, et donc plus désastreuses. Les propriétés insecticides du DDT lui donnent un intérêt certain dans l’agriculture. Le DDT est diffusé en grande quantité dans les champs, alors même que les effets sur la santé restent inconnus.
En effet, même si les preuves scientifiques reste assez faibles lors des années 1940, dès les premières années de sa commercialisation en 1945, une partie des médias et des scientifiques, ainsi que certaines populations commencent déjà à pointer du doigt l’insecticide. Comme le relate l’historienne Elena Conis, le Washington Post dans son tirage du 7 août 1944 met en garde contre les potentiels risques du DDT sur la santé humaine, celles des animaux et des insectes. Les preuves s’accumulent tout au long des années 1950, et pourtant c’est déjà trop tard. Le DDT est retrouvé partout, dans les êtres vivants, dans les sols, les cours d’eau, et même dans la haute mer et les pôles…
Le Printemps silencieux (1962) de la biologiste américaine Rachel Carson, dénonçant les dangers du DTT, trouvera un écho d’envergure dans la population américaine et sera à l’origine de nombreux mouvements écologistes. Elle dénonce dans son ouvrage l’usage déraisonné des pesticides et les industriels au sens large, et critique leur déresponsabilisation dans cette crise de santé publique et environnementale.
Le DDT sera interdit dans de nombreux pays occidentaux à partir des années 1970, après près de 30 ans d’utilisation. Si l’insecticide est encore utilisé de nos jours pour lutter prévenir les maladies d’insectes vecteurs, son usage agricole est quant à lui devenu marginal.
Le scandale de l’amiante
1964 – Eternit – Un peu d’amiante avec votre café ?
En 1964, l’entreprise industrielle Eternit proposait de construire la « maison idéale ». Un lieu de vie original, sûr, bien isolé, qui ne craint pas l’humidité et les flammes. Un petit coin de paradis, du moins en théorie puisque la spécialité d’Eternit est le fibrociment, un matériau de construction composé d’amiante.
L’amiante, sous toutes ses formes, fait pourtant partie des matériaux cancérigènes bien connus pour être très dangereux pour la santé humaine. L’inhalation des fibres de carbones peut entraîner notamment l’asbestose, une lésion du tissu pulmonaire. Les premiers effets néfastes de l’amiante sur la santé humaine sont découverts dès 1906 par un inspecteur du Travail, Étienne Auribault. Mais ce n’est qu’en 1945 que l’asbestose est reconnue comme une maladie professionnelle en France.
Malgré les risques avérés pour la santé et l’environnement, les propriétés industrielles uniques de l’amiante ont participé à une démocratisation de ce matériau dans la vie quotidienne. L’amiante s’est retrouvée partout, et en particulier dans les bâtiments. L’amiante ne sera finalement interdit qu’en 1997, soit 100 ans après les premiers indices.
Aujourd’hui encore, on retrouve de l’amiante dans la plupart des bâtiments construits en France avant l’interdiction d’usage. Le vieillissement de ces bâtiments composés d’amiante est un réel enjeu sanitaire puisque c’est lorsque ces matériaux s’effritent que les risques sont les plus importants.
Très récemment, les équipes de la série « Vert de rage » diffusée sur France 5 ont révélé que plus de 5000 écoles en France sont encore concernées par des dangers à l’amiante.
Les grandes compagnies pétrolières et le réchauffement climatique
1973 – Exxon au petit soin pour l’environnement
« Exxon met les bouchées doubles pour réduire la pollution de ses activités et de ses produits » (traduction), c’est par cette promesse que le géant pétrolier américain Exxon tente de rassurer la population américaine. Elle publie dans le magazine Time du 22 janvier 1973 quatre pages sur leurs engagements sociaux, économiques et environnementaux. Et pourtant, lorsque l’on parle de pollution, les géants pétroliers n’ont jamais été les bons élèves, bien au contraire. Car outre les pollutions très localisées de l’extraction du pétrole, ce sont les gaz à effet de serre relâchés dans l’atmosphère par les activités des entreprises du pétrole qui sont la réelle menace.
Exxon représente à elle seule 3,22% des émissions de gaz à effet de serre entre 1751 et 2010, soit 46 672 millions de tonnes de CO2 selon cette étude publiée dans la revue Climatic Change. Cela fait d’elle la deuxième entreprise historique responsable du réchauffement climatique après une autre entreprise pétrolière américaine : Chevron (3,52%).
Et pourtant, dès 1959, Edward Teller, le « père de la bombe à hydrogène » alertait déjà les géants pétroliers : l’extraction pétrolière participera au réchauffement de la planète et à l’élévation du niveau de la mer. Cette anecdote contée dans The Guardian sera un signal d’alarme totalement ignoré.
Et pourtant, les preuves s’accumulent, jusqu’au cœur même de l’entreprise. En 2015, une équipe de journaliste dévoilait un corpus d’études réalisées par des scientifiques de la compagnie Exxon dans les années 1970 dans lesquelles ils alertaient sur des « dommages environnementaux dramatiques d’ici 2050 », résultats directement issues des activités de l’entreprise.
En apprendre plus : Greenwashing, comment les géants pétroliers ont changé de stratégie
En se penchant sur les documents internes de l’entreprise entre 1977 et 2003, une équipe de chercheurs a ajouté de nouveaux éléments aggravants. Ils ont démontré dans une étude publiée dans la revue Science en 2023 que les modèles climatiques développés par les scientifiques d’Exxon à la fin des années 1970 et au début des années 1980 avaient prévu avec une certaine précision le futur réchauffement climatique. Le géant pétrolier savait donc, et avec une grande certitude, que ses activités auraient des répercussions à long terme pour l’environnement.
Exxon n’est pas non plus la seule entreprise à ne pas avoir pris ses responsabilités pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Si le lien entre émission de GES et réchauffement climatique n’a été prouvé qu’à partir de 1987 grâce aux travaux des scientifiques français Jean Jouzel et Claude Lorius, la plupart des industriels les plus polluants de l’automobile, de l’énergie, de la construction, etc. ne pouvaient ignorer dans les années 1970-1980 le désastre environnemental à venir.
Le « Diesel Gate » et ses suites
Années 1990 – 2015 – Le cartel des pots pas homologués
En septembre 2015, le scandale du « Diesel Gate » éclate. Le constructeur allemand Volkswagen est reconnu coupable d’avoir fait l’usage de logiciels frauduleux entre 2009 et 2014 afin que soient sous-estimées les émissions de particules d’oxyde d’azote (NOx) et de dioxyde de carbone (CO2), deux polluants dangereux pour l’environnement et la santé humaine. Ce sont plus de 11 millions de véhicules qui auraient été concernés par cette escroquerie selon l’Agence de protection environnementale (EPA).
L’affaire révélée par l’ONG américaine International Council on Clean Transportation s’est avérée être le début d’un large scandale environnemental. De nombreux groupes seraient finalement concernés par cette fraude aux contrôles d’émissions.
Pire encore, cette affaire a mis la lumière sur un réseau bien plus large de fraudes. Un véritable cartel s’est structuré entre les constructeurs automobiles allemands à partir des années 1990. Les entreprises se sont rencontrées en secret à de nombreuses reprises afin de discuter de ces fameux moteurs diesel comme le révèle le magazine d’investigation allemand Der Spiegel en 2017.
En plus des logiciels frauduleux, les trois groupes BMW, Volkswagen, Daimler (Mercedes) ont été également sanctionnés dans une affaire d’entente illégale. Les firmes allemandes se sont entendues pour ralentir le développement des technologies de réduction des émissions d’oxyde d’azote pour les moteurs diesel.
L’Union européenne a infligé en 2021 aux constructeurs Volkswagen et BMW des amendes se chiffrant à 875 millions d’euros (502 millions pour Volkswagen et 373 millions pour BMW) pour entente illégale. Le groupe Daimler s’en est sorti finalement sans pénalité puisqu’il est à l’origine des révélations d’ententes.
Photo de Tom Fisk, Pexels
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