Mi avril, l’Union européenne a officiellement adopté l’acte final d’une directive destinée à lutter contre la criminalité environnementale. Saluée comme historique par de nombreuses ONG qui soulignent la reconnaissance de l’écocide au niveau européen, les professionnels du droit sont plus nuancés. Si celle-ci contient bien des avancées en matière de répression des atteintes graves à l’environnement, notamment de la part des entreprises, nous ne sommes pas encore sur une révolution du droit de l’environnement. Explications. 

Des crimes environnementaux en hausse

La criminalité environnementale est considérée comme la quatrième activité criminelle au niveau mondial. Elle croît à un rythme alarmant de 5 à 7 % par an, causant des dommages irréparables à notre planète. Chaque année, cela cause des pertes estimées entre 80 et 230 milliards d’euros par le Conseil de l’Union européenne. Comme le mentionne un rapport de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), c’est aussi la première source de financement des groupes armés et terroristes. 

Jusqu’alors, la répression de ces crimes était régie par une directive européenne de 2008 qui visait : la valorisation ou l’élimination « inappropriées » des déchets (ex : décharges sauvage, etc); l’émission ou le rejets illégaux de substances dans l’atmosphère, l’eau ou le sol (ex : marées noires); le commerce d’espèces animales ou végétales sauvages protégées ou leur destruction mais aussi le commerce illicite de substances appauvrissant la couche d’ozone.  

Cependant cette réglementation s’est avérée largement insuffisante pour condamner ce type d’infractions. Dans une étude d’évaluation de 2020, la Commission européenne montre que la répression de la criminalité environnementale est particulièrement modeste dans tous les Etats membres et que les procédures engagées sont très faibles. Une réforme était donc nécessaire. 

En France, si notre droit environnemental couvre à peu près tous les champs de la future directive, la nouvelle directive devrait tout de même avoir un impact positif, car notre droit environnemental est très « fouillis ». Les 2 000 infractions sont réparties dans 15 codes différents et il n’existe que des délits (sauf pour le bioterrorisme et les incendies criminels), ce qui limite les sanctions pénales à 10 ans de prison. Par ailleurs, même si les poursuites pénales ont augmenté ces dernières années, dans 62% des cas (entre 2015 et 2019), les sanctions se sont limitées à des rappels à la loi ou à des régularisations plutôt qu’à des poursuites pénales selon l’OCLAESP. 

De nouvelles infractions

La nouvelle directive va donc apporter plusieurs nouveautés bienvenues. D’abord en termes d’infractions. Un renforcement des règles est prévu en matière de déforestation et de nouvelles infractions sont créées pour lutter contre le déversement de produits chimiques, le recyclage illégal de composants polluants de navires mais aussi l’exécution illégale de projets ou l’exploitation illégale des ressources en eau. La question des conflits d’usage de l’eau, par exemple avec les méga-bassines, est donc à regarder de près, souligne Jean Philippe Rivaud, président de l’Association française des magistrats pour la justice environnementale dans un webinar organisé par le cabinet Huglo Lepage. 

Le texte prévoit également un renforcement du droit des parties civiles (sans les assimiler aux victimes), une protection supplémentaire des lanceurs d’alerte, et incite les Etats à mettre en place des formations spécialisées pour les forces de l’ordre, les juges et les procureurs en matière de crimes environnementaux. Par ailleurs, si la directive ne s’appliquera qu’aux infractions commises au sein de l’UE, les États membres pourront choisir d’étendre leur compétence aux infractions commises en dehors de leur territoire.

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Des crimes plus sévèrement punis et un crime d’écocide reconnu

Le texte introduit également une différenciation des sanctions en fonction de l’intentionnalité : les actes intentionnels de destruction environnementale irréversible ou à long terme verront leurs sanctions majorées. Celles conduisant à la mort d’une personne seront ainsi passibles d’une peine d’au moins dix ans. 

Par ailleurs, les auteurs d’infraction pourront être poursuivis quand ils n’auront pas respecté une règle de base du droit environnemental même s’ils disposaient d’une autorisation pour exercer leurs activités, notamment lorsque l’autorisation a été obtenue frauduleusement ou par la corruption, l’extorsion ou la coercition. Cela peut accélérer les procédures, note Jean-Philippe Rivaud. 

Pour les entreprises, les sanctions vont également se durcir, notamment d’un point de vue financier et administratif. Elles pourront recevoir des amendes de 3 à 5 % de leur chiffre d’affaires mondial annuel ou de 24 à 40 millions d’euros. Et les Etats pourront les contraindre à rétablir l’environnement dégradé; les exclure des marchés publics ou des financements publics ou encore procéder à des retraits de licences ainsi que des fermetures de sites. « Quiconque occupera un poste de dirigeant dans une société polluante pourra être tenu responsable, au même titre que la société en tant que telle, ce qui constitue une avancée majeure », souligne également Antonius Manders (PPE), rapporteur du texte. « Avec l’introduction du devoir de prudence, il n’y a plus aucun moyen de se cacher derrière des permis ou de profiter de failles législatives », ajoute-t-il. 

Encadré : Quid de l’écocide ? 

Le texte a été largement présenté comme un texte reconnaissant l’écocide au niveau européen. S’il ne mentionne pas spécifiquement le terme il crée « une infraction dite qualifiée visant à incriminer les atteintes graves à l’environnement – la destruction, ou des dommages étendus et substantiels qui sont soit irréversibles, soit durables – conduisant à des conséquences environnementales catastrophiques », considérée comme une infraction aggravée dans le droit européen. Cette infraction se fonde sur la définition proposée par le Panel international pour le crime d’écocide. Les incendies de forêt de grande ampleur ou des pollutions généralisées de l’air, de l’eau et du sol, qui dégradent les écosystèmes seront par exemple qualifiés comme « écocides »

Des avancées mais pas “un grand soir” du droit de l’environnement

Si la directive a été présentée comme « historique » par de nombreuses ONG et partis écologistes, il ne s’agit pourtant pas « d’un grand soir du droit de l’environnement », tient à nuancer Jean-Philippe Rivaud. Elle apporte de vraies avancées en termes de « redéfinition des infractions, de rehaussement des sanctions, de réorganisation du droit, d’effectivité et de formation ou l’harmonisation des règles entre les Etats membres »…mais pas de bouleversement majeur, estime-t-il. De fait, le « droit français est déjà largement en ligne avec la directive, notamment grâce aux lois Climat et résilience (2021) et Industrie verte (2023) qui ont singulièrement renforcé les sanctions », souligne Benoît Denis, avocat spécialisé en droit pénal de l’environnement qui intervenait aussi dans le webinar du cabinet Huglo Lepage. 

Reste à mettre les moyens humains et financiers en face de ces sanctions. Ainsi, en France, la création en 2020 de pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement permet de traiter les dossiers avec plus de qualité, souligne Corinne Lepage lors du webinar. Pour autant, elle s’apparente à « des blocs opératoires sans chirurgiens ni infirmiers », tant les moyens manquent souligne Jean-Philippe Rivaud. 

Après sa publication au Journal officiel, qui devrait intervenir en mai, les Etats auront deux ans pour transposer la directive. 

Illustration : Crustmania / Flikr