Du 23 au 29 avril, les négociations internationales reprennent pour tenter d’élaborer un traité destiné à lutter contre la pollution plastique. Mais si le principal enjeu est bien la réduction de la production et de la consommation de plastique, tous ne l’entendent pas de cette manière. Décryptage. 

Pourquoi la réduction de la production et de la consommation de plastique est un enjeu majeur ?

460 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année, selon l’OCDE (2019). C’est le troisième matériau le plus fabriqué au monde, derrière le ciment et l’acier. Si la production continue à ce rythme, elle devrait dépasser annuellement le milliard de tonnes en 2050. Or, le plastique génère de nombreux problèmes et coûts cachés: 

. La production plastique contribue à hauteur de 3,4% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial (PNUE, 2019), dont 90% associées à l’extraction de matières premières et à la production de polymères plastiques. Ces émissions pourraient tripler d’ici 2050 et représenter un cinquième du budget carbone

. 18 millions d’êtres humains sont affectés par des maladies dues aux produits chimiques utilisés dans les matières plastiques et cela est sous-évalué. 

. Les coûts mondiaux de la pollution plastique sont estimés, en moyenne à 148 000 milliards de dollars (avec une amplitude forte). Et sont là encore vraisemblablement sous-évalués. 

Pour lutter contre la pollution plastique, la réduction de la production est la solution la plus efficace (30 % de réduction de la pollution), estime le rapport Breaking the Plastic Wave

En quoi le traité international en cours de négociation peut-il répondre à cette ambition ?

Le traité doit permettre d’engager les États, les entreprises et les investisseurs dans une transition destinée à stabiliser puis réduire la production mondiale de plastique et à optimiser le recyclage. Il est censé être prêt début 2025. Mais toute la question est de savoir qui remportera les arbitrages. Les lobbies sont particulièrement actifs, notamment pour éviter toute mesure sur la réduction de la production et de la consommation. 

Selon la fondation Tara Océans, un « Traité international qui ne fixerait pas des objectifs précis de délimitation de la production ne serait tout simplement pas crédible ». Un objectif de réduction ambitieux doit donc clairement être chiffré, avec un calendrier opérationnel et une méthodologie établie. Cette réduction portera notamment sur les plastiques « non-indispensables », dont la définition doit donc être affinée. 

En attendant, plusieurs régions du monde commencent à prendre des mesures. Dans l’Union européenne, le Parlement et le Conseil ont trouvé un accord pour réduire les emballages et les déchets avec des objectifs de réduction et de réemploi, en complément d’objectifs de recyclage. Mais il est nécessaire d’aller beaucoup plus loin et d’harmoniser les réglementations au niveau international. 

Quelles sont les forces en présence ? 

174 pays négocient le traité. Les plus allants sont regroupés au sein de la coalition de la haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique (HAC EPP). Celle-ci compte 65 membres dont l’Union Européenne, la France, le Canada, la Norvège et le Rwanda. Ils ambitionnent de “mettre fin à la pollution plastique d’ici à 2040” et des objectifs de réduction plastique avec un objectif de « limiter la consommation et la production de plastique à des niveaux durables ». A l’inverse, une coalition de « basse ambition » regroupe les pays pétroliers comme l’Iran, la Russie mais aussi la Chine. Ceux-ci sont opposés à la réduction de la production ou de la consommation et ont tout fait pour ralentir le processus de négociation. 

Les enjeux sont immenses : le commerce du plastique génère 1 000 milliards de dollars par an, soit 5 % du commerce global de marchandise (CNUCED). De fait, les industriels sont en force : lors de la dernière session de négociation, 143 lobbyistes d’entreprises d’énergies fossiles et de produits chimiques ont été recensés par Break Free Plastic (deux plus que les petites délégations et trois fois plus que le nombre de participants à la Coalition des scientifiques pour un traité efficace des plastiques). La plupart poussent ainsi à une version allégée des 3 R (réduire, réutiliser, recycler), en insistant sur la partie recyclage. A l’inverse, les ONG environnementales soulignent les limites du recyclage et demandent des taux de réduction drastique de la production pour être en ligne avec l’Accord de Paris. 

Quels sont les principaux points de friction sur la réduction de la production plastique dans le traité ? 

Le champ de l’application sera essentiel pour assurer l’efficacité du futur traité. Celui-ci porte théoriquement sur « l’ensemble du cycle de vie » du plastique mais cette définition est sujette à interprétation. Certains considèrent que cela commence dès l’extraction du pétrole, d’autres à la conception de l’objet plastique. Ce qui change la donne, notamment concernant la réglementation des produits chimiques préoccupants.

L’accent de la « circularité » sera-t-il mis sur la réduction ou le réemploi ? Bien sûr, « Nous devons recycler autant que possible. Mais à l’heure actuelle, l’utilisation du plastique augmente et ce qui est clair, c’est que nous ne pouvons pas nous sortir de ce pétrin par le recyclage », soulignait ainsi Inger Andersen, la directrice du programme environnement de l’ONU à l’AFP en septembre dernier. Or, plusieurs des principaux exportateurs de produits pétrochimiques souhaitent s’assurer que les discussions portent sur la gestion des déchets en aval plutôt que sur les limites de production. Rappelons qu’au niveau mondial, seuls 9 % des déchets plastiques sont aujourd’hui recyclés. 

Faut-il mettre en place des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP)? Cette possibilité est mise sur la table pour permettre la prise en charge financière des coûts de la mise en marché des plastiques, non seulement en fin de vie mais tout au long des usages. Mises en place dans de nombreux pays comme la France, les REP pourraient permettre de résoudre des crises de déchets dans certains pays mais « elles ne doivent pas se transformer en droit à produire plus et polluer », soulignent plusieurs ONG.  

Le traité sera-t-il contraignant ou pas ? Là encore, théoriquement oui. Mais « si une procédure de vote par consensus reste en place, il se pourrait bien que le traité devienne volontaire » comme dans l’Accord de Paris sur le climat les parties n’ont pas l’obligation légale d’atteindre leurs contributions déterminées au niveau national (CDN) pour lutter contre le changement climatique, souligne Planet Tracker

Aujourd’hui, toutes les options sont sur la table et inscrites dans un draft qui fait plus de 70 pages contre 10 dans la session 2. « Un travail de sape qui permet de rendre le texte illisible et la négociation impossible », commente Muriel Papin, fondatrice de No Plastic In My Sea. 

Quelles sont les solutions possibles pour réduire la production et la consommation de plastique ? 

« Les solutions de réduction de la production découleront de l’ambition fixée par le traité », souligne Muriel Papin. Elles peuvent toucher à des types de plastiques spécifiques comme l’élimination progressive des « plastiques à vie courte et à usage unique et des microplastiques ajoutés intentionnellement » (à mieux définir toutefois) ou « la réduction de l’offre globale de nouveaux polymères bruts » comme le mentionne le draft. Elles peuvent aussi viser des produits particuliers comme les bouteilles plastiques. Ou viser des pratiques (vrac, réemploi) et process (eco conception des emballages et produits concentrés ou solides). Certaines de ces solutions existent déjà. No plastic in my Sea en a recensé des centaines en France et à l’internationale mais elles demandent à passer à l’échelle.

Selon la fondation Tara Océan, la production de plastique pourrait être réduite d’au moins 50% en 2040 à l’échelle mondiale par rapport au niveau de production en 2021 grâce à l’instauration de quotas mondiaux de production de monomères. Cela fonctionnerait un peu comme le marché carbone européen. On pourrait aussi instaurer une taxe environnementale sur la production, à l’image de ce qui a été fait par l’OCDE et le G20 pour porter à 15% le taux minimum d’imposition pour les multinationales. Ce scénario de réduction « a été estimé à 88 000 milliards de dollars à l’échelle mondiale, soit 3 250 milliards de dollars par an, pendant 25 ans. Un coût inférieur à celui de l’inaction, qui a été estimé 148 000 milliards de dollars, soit 5 920 de dollars par an, pendant 25 ans », assure Tara Océans.

Illustration : Magda Ehlers / Pexels