Développer l’attractivité de la région ou respecter le dispositif zéro artificialisation nette pour le bien des écosystèmes ? Un dilemme que de nombreuses collectivités ont du mal à résoudre.

Le 22 août 2021 entrait en vigueur la Loi Climat et Résilience en France. L’un de ses chapitres vise à intégrer le dispositif zéro artificialisation nette (ZAN) dont l’objectif est de réduire la pression anthropique sur le territoire français et sur les écosystèmes. D’ici 2030, les régions et les collectivités doivent avoir réduit d’au moins 50% l’artificialisation sur leur territoire, et de 100 % d’ici 2050. Un projet ambitieux et important pour la Nature, mais dont la réalisation met ces acteurs dans des impasses.

Même si l’on sait dorénavant que l’artificialisation des sols – au sens de la transformation d’un sol naturel, agricole ou forestier afin de l’affecter à une nouvelle fonction, commerciale, routière, ou d’habitation… – est l’un des mécanismes principaux à l’œuvre dans la disparition de la biodiversité, les injonctions économiques d’attractivités demeurent bien souvent prioritaires face à la protection de la Nature. Alors que certaines régions souffrent encore d’un manque d’attractivité et sont plus exposées à la pauvreté, comment réussir à conjuguer entre économie et environnement ?

Voir aussi : Biodiversité : définition

Artificialisation des sols en France, où en est-on ?

Lors de la dernière décennie, ce sont 243 000 hectares d’espaces naturels, forestiers ou agricoles qui ont été urbanisés sur le territoire français. Soit une moyenne de 20 000 à 30 000 hectares par an, dont la majorité, 67%, a été attribuée pour l’habitation, et 25 % pour des activités économiques.

Pour Jérôme Barrier, directeur général de la SEBL Grand Est, et Gérard-François Dumont du Laboratoire médiations de la Sorbonne Université, l’artificialisation « a augmenté de 70 % en 40 ans alors que la population n’a augmenté que de 19 % sur la même période : la France peut alors être considérée comme avoir été un « suraménageur » de son foncier », expliquent-ils dans article pour Population & Avenir, une revue spécialisée dans la géographie et la démographie.

Une course effrénée qui a débuté en France dans les années 1960 et qui la place au premier rang des pays européens ayant le plus haut niveau d’artificialisation des sols par habitants avec 47 km2 pour 100 000 habitants (l’Allemagne ne compte que 41 km2 pour 100 000 habitant) alors même que l’hexagone possède la plus grande superficie des 27 pays membres.

Si la réduction de l’empreinte de l’humain sur les sols est bien comprise comme une nécessité par les collectivités, ces dernières demeurent néanmoins coincées entre des impératifs de développement économique et d’attractivité, et des impératifs écologiques et environnementaux indispensables pour la transition écologique. L’Homme se doit de réduire son empreinte sur les sols, tant en termes de pollution que d’artificialisation et/ou de bétonisation.

Mais dans le système actuel où l’on demande aux régions et aux collectivités de développer leur attractivité, et que cette attractivité passe par une industrialisation forte ou par des constructions importantes, la « sobriété foncière » poussée par le dispositif zéro artificialisation nette se révèle être une injonction quelque peu contradictoire.

Approfondir la notion de sobriété foncière : Sobriété foncière : Définition et lien avec l’artificialisation des sols

Attractivité ou environnement, le dilemme des collectivités

Face aux différentes crises qu’a connue la France lors de ces dernières années, que ce soit la crise de la Covid-19, la guerre en Ukraine ou bien la crise environnementale actuelle, le Président Emmanuel Macron a réaffirmé lors de son discours du 11 avril 2023 à La Haye (Pays-Bas) la vision qu’il avait de l’Europe (et donc de la France), celle d’une Europe forte et souveraine.

Une souveraineté qui passe pour le Président par une réindustrialisation massive du territoire afin de répondre aux géants Chinois et Américain. L’objectif est de satisfaire un triptyque fait de croissance économique, d’une production industrielle variée et utiles pour le futur (énergie, agriculture, industries lourdes, voitures électriques) et d’une décarbonation de l’économie. Selon un article du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), même si les surfaces urbanisées sont en baisses pour les activités (quelles qu’elles soient), la demande foncière des activités industrielles croit depuis les 3 dernières années, signe d’un certain dynamisme du foncier économique. Mais à quel prix ?

Car les gigafactories de batteries électriques, les nouvelles entreprises, ou les industries des énergies renouvelables… elles ont besoin de place et d’énergie pour produire, mais également d’infrastructures adaptées à leurs activités. Les collectivités ont besoin quant à elles de nouveaux logements et d’infrastructures publiques pour répondre aux besoins démographiques…

Alors, comment développer efficacement l’attractivité d’une région et répondre à la croissance démographique, tout en réduisant en moins de 10 ans de 50% l’artificialisation des espaces naturels ? Qui prioriser entre les industries utiles à la transformation environnementales, les industries les plus rentables, les sols agricoles, les habitations, les infrastructures publiques ?

Zéro artificialisation nette : revitaliser les friches dans les villes

Le paysage actuel de la France tel qu’on le connaît aujourd’hui, de ses petits villages de caractères à ses zones industrielles de la « France moche », terme utilisé par Jérôme Barrier et Gérard-François Dumont pour décrire cette expansion tentaculaire des espaces urbanisées, trouve son origine dans les années 1960. Le développement économique important et les besoins démographiques ont entraîné un vaste projet d’urbanisation du territoire. Les voies rapides, les barres d’immeubles, les infrastructures publiques uniformes (écoles, piscines, administration…), ou bien les immenses centres commerciaux en périphérie des villes, on fait perdre les coutumes locales d’urbanisme, tout en participant activement à détruire les écosystèmes français.

Le problème de l’architecture française pousse donc à appréhender l’aspect à la fois esthétique, culturel, environnemental et économique lors de la construction d’un nouveau bâtiment. Le tout en respectant les obligations de réduction de l’artificialisation fixées par la ZAN.

L’une des solutions principales pour les collectivités est de remettre en état les anciennes friches laissées à l’abandon faute de moyens pour dépolluer ces sites ou d’intérêt économiques. Dans certaines régions, comme en Moselle (région Grand-Est), le passé industriel du département offre une ressource foncière particulièrement conséquente. Une étude du Cerema de 2021 sur la sobriété foncière estime à 150 000 hectares la surface de friches en France, dont 40 000 hectares seraient présentes en zones tendues, là où l’offre de logements est nettement inférieure à la demande.

Mais la réhabilitation des friches ne sera pas suffisante à elle seule. C’est une transformation complète de la société qui est nécessaire. Un travail sur les imaginaires de la part des acteurs territoriaux et des collectivités pour faire accepter de nouveaux modèles de sociétés, et ainsi construire des modes de vie plus cohérents avec les impératifs environnementaux.

Repenser l’urbanisme en France, un nouveau modèle de société

Lorsque l’on parle de ces nouveaux modèles de villes, on fait souvent référence au « territoire du quart d’heure », des villes où l’on est capable de rejoindre tous les lieux importants (épicerie, école, bar, médecin, gare) en moins d’un quart d’heure à pied.

Mais cela nécessite de repenser le territoire dans son ensemble. D’abord en ce qui concerne les logements, certains types d’habitation, à l’image de l’habitation individuelle ou les tours, ne sont pas viables tant d’un point de vue de leur empreinte sur les sols que pour réaliser cet idéal du territoire du quart d’heure.

Par exemple, la construction de grand ensemble et les HLM, les tours et les barres d’immeubles, notamment pour déplacer les bidonvilles et habitats précaires présents aux abords des grandes villes, n’a pas été, contrairement aux idée reçues, des politiques de sobriété foncière. « En effet, la densité de population des territoires de grands ensembles d’habitat de tours et de barres est inférieure d’un tiers à la densité de l’habitat collectif en centre-bourg et plus de cinq fois inférieure à la densité de l’habitat haussmannien », précise les deux auteurs, le tout appuyé d’un schéma de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France (IAURIF) sur la densité de population selon le type d’habitat.

Densité de population selon le type d’habitat. (IAURIF)

Il est préférable au contraire de redynamiser les centre-villes par la réhabilitation des vieux immeubles et par la construction d’habitations à forte densité. La perte de dynamisme des centre-villes est en effet un coup dur, économiquement et environnementalement parlant. D’autant plus que les immenses zones industrielles et économiques construites en périphérie des villes nécessitent en parallèle un développement d’infrastructures routières conséquentes, de stations essences, d’entrepôts de parking… encore une fois au détriment des centre-villes.

Une opposition forte aux grands projets

La sobriété foncière se doit donc de conjuguer à la fois les injonctions économiques et les impératifs environnementaux propres à chaque région (surface de friche, espaces disponibles, infrastructures existantes, évolution démographique…). Le dialogue est donc indispensable entre élus et citoyens, mais ce dialogue reste complexe. D’un côté, les élus se plaignent de l’obligation de la ZAN, qu’ils considèrent inadaptés à leurs besoins locaux, de l’autre, de nombreuses luttent éclosent en France en opposition à ces grands projets.

En savoir plus : Transition écologique : 10 enjeux sur l’usage des sols

Car pour beaucoup de militants écologistes, la sobriété foncière, c’est également questionner la pertinence de grands projets de développement économique en France, à l’image de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes au nord de Nantes ou de la destruction des jardins ouvriers d’Aubervilliers, récemment détruits pour les Jeux Olympique de 2024. Sont-ils réellement nécessaires pour le développement de la région ? N’est-ce pas un projet écocide qui viendra détruire et déstabiliser un écosystème ?

Une manifestation organisée par le collectif La voie est libre, la Confédération paysanne, Extinction Rebellion Toulouse et Les Soulèvement de la Terre s’est justement tenue dans le Tarn le 22 avril 2023 contre le projet d’autoroute A69 devant relier Castres à Toulouse. L’autoroute, dont l’objectif principal est de désenclaver la ville de Castres, devrait raser au minimum 400 hectares de terres agricoles.

Barrier, J., & Dumont, G.-F. (2023). Les territoires français face à la sobriété foncière. Une révolution salutaire dans l’aménagement du territoire ? Les Analyses de Population & Avenir.

Pour en finir avec la surconsommation de l’espace. ADEME Infos.

Sobriété et ZAN : Repenser la gestion du foncier économique dans les territoires. (2022). Cerema.

Artificialisation des sols. (2022). Ministères Écologie Énergie Territoires.

Photo de Czapp Árpád, Pexels.