Réglementation. Avec sa batterie d’indicateurs et son analyse de double matérialité, le reporting de durabilité européen peut faire peur. Mais les entreprises françaises, rompues depuis longtemps à l’exercice de par la réglementation, ont une longueur d’avance. Surtout, elles ne doivent pas voir l’exercice comme une contrainte de conformité de plus mais comme un outil de transformation, selon le C3D qui organisait sa deuxième conférence Le sens & l’action, dont Youmatter est partenaire média.
Entrée en vigueur en janvier 2024 en France, la directive européenne sur le reporting de durabilité (CSRD) va progressivement s’imposer à 6 000 entreprises françaises d’ici 2027. Loin d’être un simple exercice de conformité, cette exigence de transparence sur les politiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) est un « point de départ pour assurer la transformation durable pour l’entreprise », selon Sébastien Mandron, Directeur RSE de Worldline et administrateur du C3D en charge du groupe de travail CSRD. Voici pourquoi :
La CSRD permet de se poser les bonnes questions
En interrogeant les différentes parties prenantes pour réaliser l’analyse de double matérialité (intégrant l’impact des activités de l’entreprise sur l’environnement et la société en plus de la matérialité financière), en réunissant des indicateurs clés sur les enjeux ESG sur l’ensemble de la chaîne de valeur et en réalisant des trajectoires climatiques, la CSRD oblige toutes les directions à travailler ensemble. Et surtout, à se poser les bonnes questions. Quels sont les grands risques environnementaux et sociaux qui pèsent sur mon entreprise ? Mon modèle d’affaires est-il tenable sur le long terme au regard du changement climatique ou de l’effondrement de la biodiversité ? Comment permet-il de créer de la valeur pour mon écosystème ?
La CSRD permet de réaliser et de faire valider les bons arbitrages
Une fois la problématique posée, restera à réaliser les bons arbitrages. Si le climat est un enjeu prioritaire, quels montants dois-je investir ? A quelle vitesse dois-je faire évoluer mon portefeuille de produits ? Faut-il renoncer à certains produits, activités ? Changer mon modèle d’affaires ? Faut-il privilégier la rentabilité à tout prix ou investir dans de nouvelles compétences, de nouveaux partenaires ? La réponse à ces questions est « loin d’être neutre et elle implique que les dirigeants soient vraiment impliqués dans l’élaboration de la CSRD », souligne Catherine Saire, associée Deloitte Sustainability France. De fait, les réponses ne seront pas toujours évidentes à accepter. « Je ne crois pas une minute que ça va se faire sans douleur pour les entreprises. Soit on se ment à soi-même, soit on se pose les vraies questions. […] Mais personne n’est formé, ni vraiment prêt à cela, c’est un enjeux culturel énorme », prévient Fabrice Bonnifet, le président du C3D.
Pour cela, il y a « un énorme enjeu de formation des instances de directions » et d’évolution de la gouvernance, souligne Catherine Saire. « Pour répondre à ces questions fondamentales, le CSO – chief sustainability officer- doit être présent dans le CODIR mais il faut aussi regarder si l’on a les bonnes expertises et compétences autour de la table dans les conseils administratifs ou de gouvernance. Et le top management doit se mouiller en validant les arbitrages, sans quoi l’ambition de transformation restera lettre morte », abonde Sophie Pierson, directrice RSE & conformité du groupe Rubis. Enfin, ce sont aussi « les administrateurs et les actionnaires [qui] devront prendre leurs responsabilités » en validant ou pas les stratégies, souligne Fabrice Bonnifet. Et « au bout d’un an, on verra qui est sincère et qui ne l’est pas« , assure-t-il !
En savoir + : Qu’est ce que la CSRD ?
La CSRD permet d’estimer le coût de la transformation et de faciliter son financement
L’un des grands objectifs de la CSRD est de faciliter le financement de la transition écologique et sociale des entreprises en connectant le reporting financier et extra-financier et ainsi aider les investisseurs à y voir plus clair sur les stratégies de durabilité réellement mises en place. Sur le climat par exemple, les entreprises vont devoir expliquer quelle va être leur trajectoire mise en place pour contribuer à l’objectif d’un réchauffement global limité à +1,5°C, avec les investissements associés (CAPEX et OPEX). Des indicateurs qui seront repris par les investisseurs pour évaluer la part de leur portefeuille compatible avec la taxonomie verte européenne.
Objectif selon l’eurodéputé Pascal Canfin : « que chaque politique climat soit réellement financée et que demain, un investissement ne prenant pas en compte les impacts climatiques ne puisse être validé”. En obligeant l’entreprise à mettre en face de chaque mesure les investissements prévus, on va “aussi sortir des déclarations type Net Zero où il n’y a rien derrière », espère Sophie Pierson. Cela permettra aussi aux entreprises de mieux expliquer au marché leur stratégie de communication en la matière, estime-t-elle.
La CSRD permet d’aligner la chaîne de valeur autour de la stratégie de durabilité
« La CSRD permet de poser le sujet, trop souvent évacué, de la chaîne de valeur, sa transparence et sa maîtrise », estime Gianmarco Monsellato, le CEO de Deloitte France. Car la mesure des politiques mises en place et les impacts de l’entreprise doivent s’établir sur l’ensemble du périmètre de l’entreprise et de ses fournisseurs. Un large spectre qui fait craindre aux entreprises de lancer une usine à gaz avec une collecte intempestive de données auprès de leurs différents partenaires. Pas de quoi « s’en faire une montagne », assure Patrick de Cambourg, président du Sustainability Reporting Board de l’EFRAG. Mais pour beaucoup d’entreprises, cela demande toute de même de nouveaux investissements et une nouvelle organisation.
« Il va clairement falloir investir dans des outils IT mais aussi dans la montée en compétence RSE des différents métiers, RH, juridiques, financiers, par exemple avec des référents RSE dans chaque direction… » précise ainsi Lenaïc Pineau, directrice développement durable et qualité chez JC Decaux. Un investissement qui devrait toutefois servir à améliorer la connaissance profonde de la chaine de valeur et de ses risques. Mais aussi de fédérer les différentes directions sur la stratégie de durabilité de l’entreprise. De quoi faire de la CSRD un « outil de management », selon Patrick de Cambourg.
La CSRD donne aux entreprises françaises une longueur d’avance
En mettant en place son reporting de durabilité, l’Europe a un « vrai effet d’entraînement » pour « exporter les exigences de transparence à travers toute la chaîne de valeur mondiale car rappelons-le, l’Europe est le premier marché mondial en valeur », souligne Eric Duvaud, directeur des normes de durabilité de l’Autorité des Normes Comptables. Les normes européennes ont déjà fait bouger l’IRFS et donc les normes comptables internationales, constate-t-il et « le Japon, l’Inde ou la Chine nous regardent : un mouvement mondial a été enclenché sur la transparence ».
Or, grâce à une réglementation désormais bien établie sur le sujet, « la France est très en avance sur la fiabilité des données, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne », précise Eric Duvaud. Avec cette longueur d’avance, « la CSRD est loin d’entraver la compétitivité des entreprises, bien au contraire, souligne Catherine Saire. Car elle répond à une demande de la société civile, des clients et des investisseurs et nous permet de construire un langage commun autour de la performance ESG et financière ».
5 étapes pour prendre en main la CSRD de façon efficace :
– On commence d’abord par l’analyse de double matérialité pour définir et hiérarchiser les priorités.
– On mobilise les instances dirigeantes, un point essentiel pour faire du reporting un outil stratégique au service de la transformation.
– On s’organise en mode projet pour travailler avec les différentes directions, en transversal, sur la durée.
– On se fixe un plan de progrès pluriannuel pour estimer les moyens à mettre en place et monter progressivement en puissance.
-On garde toujours à l’esprit le but transformatif de la CSRD pour pouvoir fédérer l’ensemble des métiers et expliquer son intérêt stratégique aux différentes parties prenantes.
Illustration : Table ronde Le Sens & l’Action, C3D. De gauche à droite: Sebastien Mandron, Sophie Pierson; Lénaïc Pineau et Fabrice Bonnifet.