Les critiques d’ordre social et environnemental envers la publicité amènent à des questionnements plus larges sur le place de l’affichage publicitaire dans l’espace public. Si une suppression pure et simple semble difficile à mettre en oeuvre, des compromis semblent possibles avec la « publicité responsable ».

Dans un précédent article, nous nous sommes penchés sur ces villes comme Nantes, Bègles, Marseille, Grenoble ou encore Lyon qui réduisent l’affichage publicitaire dans l’espace public, au moyen de l’adoption de règlements locaux de la publicité.

Que ce soit pour préserver le cadre de vie et le paysage, répondre aux enjeux de transition écologique et énergétique, ou encore limiter le risque d’exposition à des images sexistes ou à du greenwashing, leurs motivations sont multiples. Pour autant, et malgré l’ensemble de ses impacts cognitifs et environnementaux connus, la publicité reste omniprésente.

Comment l’expliquer ? Comment remettre la publicité au service de l’intérêt collectif, c’est-à-dire des consommateurs et de l’environnement ?

Restriction de l’affichage publicitaire : un manque à gagner pour les villes et les entreprises

L’ensemble des arguments s’opposant à l’affichage publicitaire dans l’espace public, qu’ils soient d’ordre écologique ou social, nous amènent à penser qu’une interdiction pure et simple de la publicité serait une bonne chose. C’est cependant omettre l’ensemble des recettes générées par le secteur, et la dépendance de nombreux acteurs économiques à la publicité.

La restriction de l’affichage publicitaire s’accompagne d’un manque à gagner important pour les villes. Les économies d’énergie réalisées en supprimant les panneaux publicitaires numériques ne suffisent clairement pas à compenser l’ensemble des recettes publicitaires.

« Si je pouvais me passer de publicité, je le ferais volontiers mais je n’ai pas encore trouvé la solution magique pour effacer 40 millions d’euros de recettes du budget de la ville » confiait Anne Hidalgo en tant que maire de Paris dans un entretien à l’AFP en 2020.

Le rapport Big Corpo datant de 2020, piloté par les associations Les Amis de la Terre France et Communication Sans Frontières, indique que le marché de l’affichage extérieur pèse à lui seul 1,4 milliard d’euros en France.

La restriction de l’affichage publicitaire représente aussi un manque à gagner pour les entreprises. Les dépenses publicitaires leur permettent généralement d’augmenter leurs ventes, et donc leur croissance.

Supprimer la publicité aurait pour conséquence de profondément déstabiliser tout un secteur économique qui rapporte gros. Alors, plutôt que de la supprimer, certains proposent de faire de la « publicité responsable ».

La « publicité responsable » est-elle un compromis ?

Remettre l’économie au service des consommateurs et de l’environnement

Le rapport Big Corpo souligne le fait que la publicité est aujourd’hui au service des industriels et non des consommateurs, et que le politique a un rôle à jouer dans cette équation.

En effet, si la publicité se limite à fournir des informations sur la qualité des produits à des individus rationnels, alors ils restent maîtres de leurs choix. Les entreprises doivent simplement ajuster leur offre pour répondre à la demande des consommateurs, qui, en fin de compte, guident l’économie. Dans ce contexte, le rôle des pouvoirs publics est limité.

Cependant, si la communication commerciale va au-delà de la simple information et influence les individus en dehors de leurs décisions conscientes, en travaillant notamment sur le désir d’achat lui-même, elle peut entraîner des phénomènes de surconsommation qui n’auraient pas eu lieu sans cette incitation publicitaire. Dans ce cas, ce sont les entreprises, en particulier les grandes marques, qui exercent une influence significative sur l’économie en produisant ce qu’elles souhaitent et en créant une forte demande pour leurs produits, avec potentiellement des conséquences néfastes pour l’environnement. Le rôle des pouvoirs publics devient alors essentiel pour réorienter l’économie en faveur des consommateurs et de la protection de l’environnement.

La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) propose trois grandes pistes pour réguler la publicité et réduire les incitations à la surconsommation, et ainsi placer la publicité au service de l’intérêt collectif.

Interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre, sur tous les supports publicitaires

La première piste consiste à interdire la publicité de produits néfastes pour l’environnement. Une sorte de loi Évin (celle qui interdit/encadre la publicité sur le tabac et l’alcool) pour le climat, qui pourrait porter notamment sur les secteurs de l’automobile, de l’aérien ou encore du maritime. Surtout quand on sait que le secteur automobile se dispute chaque année avec celui de la grande distribution la place de premier investisseur publicitaire en France, principalement pour la promotion de SUV. Ces véhicules particulièrement lourds ont constitué la deuxième cause de croissance des émissions de CO2 dans le monde entre 2010 et 2021 d’après l’Agence internationale de l’énergie.

La CCC propose par exemple d’interdire, sur tous les supports, les publicités des véhicules consommant plus de 4 litres/100 km et/ou émettant plus de 95 grammes de CO2 au kilomètre.

Réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non-choisies à la consommation

La seconde piste avancée par la CCC consiste à ce que l’exposition publicitaire soit voulue par les individus. Par exemple, les auteurs proposent l’interdiction des panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs, hors information locale et culturelle. Plusieurs villes que l’on a citées plus haut s’inscrivent déjà dans cette démarche. À l’échelle nationale, des progrès sont déjà visibles, avec notamment l’interdiction de la publicité tractée par avion depuis octobre 2022.

Mettre en place des mentions pour inciter à moins consommer

Pour certains produits ou usages, tels que le tabac, l’alcool, la sécurité routière, les produits riches en matières grasses, en sel, ou en sucre, etc., des avertissements sont utilisés pour informer les consommateurs sur les risques associés. La surconsommation pouvant être considérée comme une menace pour la planète, la CCC propose d’introduire ce type d’avertissement pour encourager les consommateurs à réfléchir à leurs besoins avant de faire un achat, avec par exemple l’obligation d’inclure un avertissement du type « En avez-vous vraiment besoin ? La surconsommation nuit à la planète » dans toutes les publicités.

Les villes françaises sont nombreuses à rechercher un meilleur équilibre entre affichage publicitaire et qualité des lieux de vie. Elles cherchent d’une part à diminuer la publicité dans l’espace public, et de l’autre à mieux contrôler les publicités diffusées, avec des annonces ne comportant pas de greenwashing ou de sexisme.

Dans la mesure où les industriels parviennent aujourd’hui à réellement orienter l’économie et faire désirer ce qu’ils produisent, avec parfois de lourdes conséquences environnementales, il apparaît légitime que les pouvoirs publics interviennent afin de remettre l’économie au service de l’intérêt collectif. Il est urgent d’agir, d’encadrer et réguler le secteur, pour que la publicité ne fasse plus la promotion d’une société qui n’est ni saine, ni écologique, ni responsable.

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