La Commission Européenne vient de préciser les critères qu’elle retient pour la définition d’un hydrogène « renouvelable ». On fait le point sur ce sujet technique et complexe.

Pour organiser la transition énergétique sur le continent, l’Europe mise massivement depuis quelques années sur l’hydrogène. Ce vecteur énergétique, produit soit à partir d’énergies fossiles (gaz) soit à partir d’électricité et d’eau, pourrait dans l’avenir être utilisé dans certains secteurs pour remplacer les énergies fossiles.

D’ores et déjà, les investissements dans l’hydrogène sont controversés : l’impact écologique de l’hydrogène n’est pas toujours vert, selon les modes de production utilisés (vaporeformage, électrolyse, par l’électricité renouvelable (EnR), nucléaire, ou d’origine fossile, etc.) ou selon les degrés des fuites d’hydrogène dans l’atmosphère, et ses avantages ne sont pas toujours clairs comparés aux autres formes d’énergie (électricité, biogaz, etc…). Pour tenter de clarifier les choses, la Commission Européenne travaillait depuis quelque temps déjà sur une définition précise de ce que l’on entend par hydrogène « vert » ou « renouvelable », de manière à orienter les investissements dans cette technologie pour les prochaines décennies.

Le fruit de ce travail vient d’être publié par la Commission, dans ses Actes Déléguée sur l’hydrogène. Problème : les critères définis par l’institution sont encore très flous, voire ambigus, et comportent de nombreuses exceptions et exemptions, qui vont probablement rendre difficile l’analyse de la contribution de la filière hydrogène à la transition écologique.

Hydrogène vert : les grandes questions de l’électricité

Plusieurs questions étaient en débat pour savoir comment définir un hydrogène « vert » ou plutôt « renouvelable » pour reprendre le terme privilégié par la Commission. Pour parler d’hydrogène renouvelable, il faut théoriquement d’abord que l’hydrogène soit produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité. Pas question en effet d’inclure dans cette définition l’hydrogène produit à partir du reformage d’énergies fossiles. Mais il reste la question de savoir quelle électricité serait utilisée pour l’électrolyse. Une électricité 100% renouvelable, une électricité « bas carbone » (incluant par exemple le nucléaire, ou d’autres sources de production à faible intensité carbone) ? L’électricité du réseau (qui comprend parfois des énergies fossiles), ou une électricité spécifiquement dédiée à la production d’hydrogène ? Avec ou sans techniques de capture du CO2 ?

Les associations engagées dans la transition énergétique et écologique militaient de leur côté pour des critères stricts : pour être dit « renouvelable », l’hydrogène devrait être produit à partir d’électricité renouvelable qui serait spécifiquement dédiée à cette production, afin d’éviter que la production d’hydrogène ne monopolise la production d’électricité renouvelable qui aurait pu être utilisée pour décarboner d’autres secteurs. Concrètement, cela veut dire grosso modo qu’un électrolyseur devait avoir sa propre centrale de production d’énergie renouvelable. L’énergie destinée à la production d’hydrogène devait donc s’additionner à la production existante, afin d’encourager le déploiement de nouvelles infrastructures de production bas carbone : on parle du principe d’additionnalité.

L’autre question était celle de l’adéquation temporelle des productions d’hydrogène et de l’électricité utilisée. Faut-il une adéquation stricte (l’hydrogène est produit uniquement quand la production d’énergie renouvelable tourne, c’est-à-dire quand il y a du vent et/ou du soleil) ou une corrélation plus souple, permettant au producteur d’utiliser l’électricité du réseau quand sa production d’EnR est à zéro ? Comment alors garantir que cet hydrogène corresponde à une production électrique « renouvelable » équivalente ?

UE : quels critères pour un hydrogène « renouvelable » ?

Derrière ces questions à l’aspect technique et jargonneux se cachent en vérité des problématiques essentielles… Auxquelles la commission a choisi de répondre en donnant d’énormes marges de manoeuvre aux producteurs d’hydrogène.

Les Actes Délégués permettent ainsi de qualifier de « renouvelable » de l’hydrogène produit à partir de multiples sources de production d’énergie « bas carbone », et pas seulement des installations spécifiquement dédiées. On pourra ainsi produire de l’hydrogène renouvelable grâce à de l’électricité renouvelable (évidemment) mais aussi grâce à l’électricité du réseau si celle-ci se situe à moins de 64.8 g de CO2/kWh. On pourra donc par exemple produire de l’hydrogène renouvelable avec l’électricité du réseau français (relativement bas carbone) même si celui-ci ne compte qu’à peine un quart d’électricité réellement renouvelable. Seule condition : que les producteurs fournissent des garanties d’origine d’électricité renouvelable pour chaque kWh d’électricité utilisée. Officiellement, la proposition d’intégrer dans l’hydrogène renouvelable le gaz produit à partir de nucléaire devrait être tranchée par un autre acte d’ici décembre 2024. Mais dans les faits, ce seuil de 64.8 g de CO2/kWh permet déjà de mettre sur le marché de l’hydrogène « renouvelable » mais d’origine nucléaire en achetant des garanties d’origine.

Concernant les électrolyseurs à production électrique spécifiques, ils pourront être installés jusqu’à 3 ans après l’installation des capacités de production d’électricité renouvelable. Objectif : faciliter l’installation des électrolyseurs dans un contexte réglementaire où cette dernière prend encore du temps. Mais cette règle ne s’applique pas à tous les électrolyseurs : ceux entrée en fonctionnement avant 2027 seront dispensés de cette règle jusqu’à 2038 : ils pourront donc fonctionner sur des installations de production qui ne leur sont pas spécifiquement liées, et empiéteront donc sur la production globale d’EnR.

Concernant l’adéquation temporelle, la Commission a choisi de miser sur une corrélation très souple, basée sur un calendrier mois par mois. En gros, la production mensuelle d’hydrogène d’un électrolyseur pourra être qualifiée de « renouvelable » non pas si elle a effectivement été produite avec de l’électricité renouvelable, mais si l’opérateur a produit durant le mois une quantité équivalente d’énergie renouvelable, ou obtenu une quantité équivalente de garanties d’origine d’EnR. Comme pour les fournisseurs d’électricité « verte », l’hydrogène vert sera donc labellisé via des certificats. Enfin du moins, jusqu’à 2029, car après cette date, la corrélation ne sera plus mensuelle, mais heure par heure, ce qui devrait encourager les producteurs à investir dans des installations additionnelles.

Mais la complexité ne s’arrête pas là : un second acte de la Commission va permettre de labelliser « renouvelable » d’autres carburants de synthèse produits à partir d’hydrogène (les RFNBO, Renewable Fuels from Non Biologic Origin), à condition que ceux-ci soient associés à des mesures de capture du carbone, et/ou qu’ils permettent des réductions de 70% des émissions par rapport aux carburants fossiles.

Certificats, exemptions, flou : quelle vision pour l’hydrogène de demain ?

En résumé, les critères décidés par la Commission sont extrêmement complexes, et rendront probablement difficile l’analyse des contributions de l’hydrogène à la transition écologique globale en Europe. On pourra ainsi voir sur les marchés de l’hydrogène « renouvelable » produit à partir de l’électricité du réseau, à partir d’installations de production d’électricité renouvelable préexistante, ou spécifique, à des intensités carbone variables, des niveaux de corrélation variables, et même des e-carburants issus de ces productions variées labellisés « renouvelables ». Le tout saupoudré de garanties d’origine et autres certificats qui ne garantissent pas grand chose, sinon des flux financiers.

Les règlements européens optent donc pour une vision très laxiste de la labellisation de l’hydrogène, et veulent ainsi faciliter l’installation de capacités de production d’hydrogène, plus ou moins vert, plus ou moins renouvelable. Le risque étant que le secteur se développe de façon anarchique, avec des standards écologiques faibles. Et que l’on ne sache plus vraiment dans quelle mesure l’hydrogène contribue à accélérer la transition énergétique, la sortie des énergies fossiles et la décarbonation de nos économies.

Le problème est d’autant plus essentiel que pour l’heure, il n’y a pas réellement de vision politique quant à la place que l’hydrogène tiendra dans le mix énergétique européen. À quoi servira l’hydrogène ? À faire avancer des voitures à hydrogènes, plus polluantes que leurs équivalentes électriques ? À décarboner une aviation qui ne sera de toute façon pas soutenable ? À remplacer les énergies fossiles dans le transport longue distance, où l’électricité sera sans doute compétitive plus rapidement que l’hydrogène ? Aujourd’hui, personne ne le sait vraiment.

Mais il semble que les régulateurs n’en fassent pas une priorité. La stratégie de l’Europe reste sur le même prisme d’une transition gérée par le secteur privé : d’abord, on permet au marché de se développer, on réfléchira après à ce que l’on voudra (ou pourra) en faire.

Photo de ALEXANDRE LALLEMAND sur Unsplash