Réinstaurer un impôt sur la fortune, mais en le complétant d’un malus écologique, pour pénaliser les actifs financiers dans les secteurs les plus polluants ? C’est une idée qui commence à faire son chemin. Décryptage.

On parle de plus en plus dans les milieux économiques de la notion d’ISF climatique. Il s’agirait d’un nouvel outil fiscal, destiné à taxer les grandes fortunes et de servir d’outil dans la lutte contre le réchauffement climatique, en taxant les actifs financiers dans les secteurs les plus polluants. En quoi consiste-t-il exactement ? Quels sont les arguments pour et contre l’ISF climatique ? Explications.

Qu’est-ce que l’ISF climatique ?

Concrètement, la logique de l’ISF climatique est double. Un premier volet économique consiste à augmenter les impôts sur les revenus les plus hauts. Il s’agirait de rétablir l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune, dans l’idée de mieux répartir les richesses et de limiter les inégalités entre les très riches et les plus pauvres (qui sont fortement reparties à la hausse ces dernières années). Pour l’écologiste Yannick Jadot, qui défendait cette proposition à la présidentielle 2022, cela concernerait par exemple les contribuables ayant un patrimoine supérieur à 2 millions d’euros soit environ 200 000 foyers français.

De plus, et c’est le second volet de l’ISF climatique, cet impôt serait modulé en fonction de l’empreinte carbone des placements financiers des ménages les plus riches. Une surtaxe, un malus écologique, serait ainsi appliqué en cas de placements financiers dans les secteurs polluants. Les produits financiers « verts » et socialement responsables seraient ainsi exonérés de taxes. « Les avoirs financiers labellisés ISR (pour investissement socialement responsable) ou équivalent, les parts détenues dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire et plus globalement tous les placements ayant reçu un label public (type GreenFin, bas-carbone) ou qui contribuent à des activités bénéfiques pour le climat”, seraient concernés pour Matthieu Orphelin, député écologiste rallié à Yannick Jadot.

Donc pour résumer, il s’agirait de taxer davantage les ultra-riches, en tenant compte du contenu en carbone de leur portefeuille d’actifs financiers.

L’ISF climatique pour combiner fiscalité écologique et justice sociale

La proposition de taxer les investissements des Français selon les émissions de CO2 qu’ils induisent a émergé d’un rapport datant de 2020 de l’ONG Greenpeace intitulé « L’argent sale du capital ». Pour ses partisans, cette mesure renforcerait l’acceptabilité sociale de la transition écologique dans la mesure où l’effort climatique serait ainsi mieux partagé, en pesant notamment plus fortement sur les plus privilégiés et moins sur les plus précaires.

Selon le rapport 2022 du Laboratoire sur les inégalités mondiales, les 10 % les plus riches de la planète captent 52 % du revenu mondial. La fortune des milliardaires dans le monde a même augmenté durant la crise sanitaire selon cette étude. Or, les chiffres montrent que les plus riches ont un impact environnemental bien plus conséquent que les plus pauvres. « Les 10 % des plus gros émetteurs sont responsables de près de 50 % des émissions, tandis que les 50 % du bas de la distribution n’en produisent que 12 % » pointe le rapport, en parlant des émissions de CO2.

Plutôt que leur mode de vie en lui-même, c’est la composition de leur patrimoine financier qui explique ces chiffres, en raison de leur participation au financement d’entreprises polluantes.

Dans un rapport intitulé « Les milliardaires français font flamber la planète et l’Etat regarde ailleurs » datant de février 2022, les ONGs Oxfam et Greenpeace affirment que le patrimoine financier de 63 milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre que la moitié de la population française.

Bien que la méthodologie consistant à attribuer les émissions de CO2 d’une entreprise à celui qui en détient les parts soit discutée, cela soulève tout de même la question de la responsabilité par rapport à l’effort dans la crise climatique. Cela montre, à minima, que les plus riches et les plus puissants sont étroitement liés au système qui produit la dégradation climatique, qu’ils captent une bonne partie des rentes de ce système, et qu’il est donc légitime que l’effort climatique soit orienté vers eux, plutôt que vers les moins favorisés. Ainsi pour ses défenseurs, l’ISF climatique a pour ambition de contribuer à opérer une transition écologique juste socialement.

Encourager la décarbonation de la finance et l’investissement dans la transition écologique avec l’ISF climatique

Concrètement, cette mesure pourrait permettre de décourager les investissements dans les secteurs les plus polluants. « Elle inciterait en effet les ménages les plus fortunés et les plus émetteurs à se désinvestir des activités les plus émettrices en décarbonant leur patrimoine. En d’autres termes, un tel impôt permettrait de dégrader fortement la valeur d’échange des activités hautement carbonées, et donc leur viabilité économique« , avance Greenpeace. Cela favoriserait une décarbonation de la finance, et l’investissement dans les secteurs les moins polluants.

Autre point fort avancé pour les partisans de l’ISF climatique : il rapporterait de l’argent à l’Etat, pouvant être réinvesti dans la transition écologique. Aucune estimation précise des potentielles recettes fiscales de cet ISF climatique n’a été calculée pour le moment, mais les écologistes estiment qu’elles seraient supérieures aux 5 milliards d’euros rapportés à l’Etat avec l’ancienne version de l’ISF.

L’ISF climatique : une mesure critiquée

Malgré ses avantage, l’ISF climatique est critiqué, pour plusieurs raisons.

L’efficacité d’un impôt sur la fortune en débat

L’ISF dans sa version initiale a été supprimé en 2017, et l’une des raisons avancée, notamment par le gouvernement, est son inefficacité supposée. « C’est de la pure démagogie : on l’a fait pendant des années, ça n’a pas marché, ça n’a pas enrichi la France, pas amélioré la prospérité« , assure le ministre de l’Economie et des finances, Bruno Le Maire. Il a notamment été remplacé par une « flat tax » ou prélèvement forfaitaire unique (PFU), un impôt à taux unique de 30% sur les revenus du capital.

Mais France Stratégie, dans un rapport d’octobre 2021, émet des réserves quant à l’efficacité de ces 2 mesures qui ne semblent pas avoir entraîné d’effets positifs mesurables sur l’économie. L’organisme estime qu’il faudra sans doute plus de temps pour observer des effets, s’il y en a. D’autre part, un rapport de l’Institut des Politiques Publiques montrait aussi que la suppression de l’ISF n’avait pas eu d’effet positif significatif sur le tissu productif français ou sur le développement des entreprises françaises. L’ISF n’a donc peut être pas « enrichi » la France, mais sa suppression non plus.

Par ailleurs, certains économistes parlent d’une potentielle fuite des plus riches en cas d’un nouvel impôt sur le patrimoine des plus riches, et donc une baisse de recettes pour l’Etat. Néanmoins, l’idée que l’ISF ou d’autres formes de taxations sur les plus riches pourrait faire augmenter l’évasion fiscale des plus riches est sujette à caution parmi les experts. Chiffres à l’appuis, un rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires de la Cour des Comptes montrait ainsi que l’ISF n’avait pas eu d’effet mesurable sur les départs de France des plus riches, départs qui ne semble d’ailleurs « pas liés à des considérations fiscales« . En d’autres termes : il semble que, ISF ou pas, les plus riches pratiquent l’optimisation et l’évasion fiscale, et que quand ils quittent le pays, c’est pour d’autres raisons que des raisons purement liées à l’impôt.

Sur la faisabilité : le mode de calcul du malus écologique en question

Au-delà de l’opportunité économique ou non de cet impôt, la faisabilité de l’ISF climatique tel qu’il est présenté actuellement interroge. « Le dispositif ressemble un peu à usine à gaz. Commencer à inclure des émissions indirectes via l’inclusion du patrimoine financier, cela me parait compliqué et sujet à beaucoup de recours« , estime Paul Malliet, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Le calcul de l’empreinte carbone d’un placement financier serait effectué à partir d’une empreinte carbone moyenne sur des types de placements, et non pas produit par produit. Et puis cette méthode nécessite de distinguer les placements financiers polluants et ceux qui ne le sont pas, or la classification n’est pas toujours évidente.

Même s’il est mis en oeuvre, certains économistes mettent en garde contre le risque d’un contournement des règles. Souvent, le patrimoine financier des grosses fortunes est placé par des intermédiaire (banquiers ou courtiers), mais leur habileté et leur bonne connaissance du fonctionnement du dispositif leur permettrait d’en contourner les règles. « Cela risque d’être un coup d’épée dans l’eau face à des acteurs qui connaissent trop bien les règles du jeu« , juge Paul Malliet.

On pourrait aussi voir apparaitre une complexification des produits financiers : “C’est une idée symbolique, mais qui risque d’inciter à la création de produits financiers plus complexes, afin qu’on ne puisse pas vous imputer les émissions de carbone auxquelles ils sont liés”, alerte Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE.

Sur l’efficacité écologique : moins d’actifs polluants détenus par les Français mais davantage par les résidents à l’étranger

D’autre part, le fait d’imposer un malus sur certains placements financiers en France ne signifie pas forcément que l’investissement dans les secteurs plus polluants va diminuer si l’on regarde à une échelle plus globale. C’est ce qu’explique Xavier Timbeau, pour Le Monde : « les résidents français vont investir dans des activités non polluantes, et les activités polluantes perdureront, détenues par des Néerlandais ou des Allemands« .

Admettons par exemple qu’un contribuable français souhaite placer son argent dans le secteur de l’énergie. Avec l’ISF climatique, il n’aurait pas intérêt à investir en Allemagne où le mix énergétique est moins bon en matière d’émissions de CO2 par rapport à d’autres pays d’Europe comme la Finlande ou les Pays-Bas. Le contribuable est donc incité à placer son argent dans des pays où la part de renouvelable et de nucléaire est plus importante par exemple.

Mais de l’autre côté, les contribuables d’autres pays qui ne sont pas soumis à l’ISF climatique vont investir leur argent ailleurs, là où il y a un besoin de financement, et potentiellement dans des secteurs carbonés. Pour Xavier Timbeau, ces changements de comportements induits pas l’ISF climatique ne sont pas ceux qui vont produire des résultats.

Taxer le consommateur ou l’investisseur ?

Finalement, la proposition d’un ISF climatique change la manière d’aborder le sujet de la fiscalité carbone. Tandis que la taxation des émissions se fait essentiellement au niveau des consommateurs aujourd’hui, cette mesure imputerait la responsabilité à l’investisseur, à son comportement d’investissement.

Il y a certes une question de solidarité des plus riches face au dérèglement climatique. Mais ce sont bien la production et la consommation qui génèrent le plus d’émissions de carbone, pas le patrimoine. Il faut donc taxer au plus près de l’acte de production et de l’acte de consommation : interdire les voitures thermiques en centre-ville a par exemple beaucoup plus d’impact que de taxer le patrimoine de ceux qui détiennent des actions chez Renault ou chez Total”, affirme Xavier Timbeau.

Pour autant, les deux options ne sont pas incompatibles, et il est possible de taxer à la fois le consommateur et l’investisseur, en fonction de leurs moyens. On comprend donc que si l’objectif final est bel et bien de réduire les émissions de CO2 de la France, les moyens pour y parvenir, eux, sont divers et suscitent le débat. L’ISF climatique n’est qu’un des moyens envisageables pour cela, et s’il suscite aujourd’hui tant le débat, c’est aussi parce qu’il est en quelque sorte un totem. Taxer les plus riches, ceux qui polluent le plus, pour financer la lutte contre le réchauffement climatique, c’est s’attaquer, au moins sur le plan symbolique, à la problématique de la justice sociale, essentielle à la transition écologique.

Photo by Brock Wegner on Unsplash

[box]

Se former aux enjeux du réchauffement climatique :
Organisme de formation certifié Qualiopi au titre de la catégorie d’action suivante : actions de formation, Youmatter for Organizations accompagne les organisations à la sensibilisation et formation de leurs collaborateurs sur le réchauffement climatique :

Etape 1 : mieux appréhender le réchauffement climatique et le vocabulaire technique avec La Fresque du Climat

Etape 2 : la formation « Climat en théorie » permet d’acquérir les bases pour comprendre le réchauffement climatique et ses implications pour les sociétés humaines sur un format présentiel ou à distance de 3h.

Etape 3 : la formation « Climat en pratique » permet de compléter les acquis de la formation « Climat en théorie » en abordant les enjeux de la transition vers une économie bas carbone. Formation en présentiel ou à distance sur 3h.

Pour plus d’informations, consultez notre catalogue de formations.

[/box]