Actualisation : 18H58, 20 janvier, précision du cabinet de Stéphane Séjourné
Après les appels du pieds du gouvernement français puis allemand demandant une révision forte des réglementations de reporting de durabilité et du devoir de vigilance, le vice président exécutif de la Commission européenne, chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, Stéphane Séjourné, a annoncé que la loi omnibus chargée de cette révision contiendrait une « suppression du reporting« . Une erreur alertent de nombreuses entreprises engagées dans la transformation écologique et sociale.
Le 26 février, c’est une loi un peu particulière qui sera dévoilée par la Commission européenne. Cette loi dit « omnibus » est en effet appelée à réviser plusieurs textes issus du Green Deal européen et destinés à aligner les stratégies des entreprises sur les objectifs de décarbonation. Parmi les réglementations visées : le reporting de durabilité (CSRD), le devoir de vigilance européen et la taxonomie verte.
Depuis plusieurs mois, ces dernières sont attaquées pour leur complexité et leur lourdeur par le patronat, dont les arguments ont été repris par le gouvernement français puis allemand. Après une demande de moratoire portée par l’ancien Premier ministre Michel Barnier, la loi omnibus devait finalement permettre de simplifier ces législations sans affecter les valeurs de durabilité et d’équité qui guident le Green Deal selon les informations recueillies par le média spécialisé Responsible Investors. Sans beaucoup plus d’explications.
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Un choc de simplification massif : la suppression du reporting
Mais le 20 janvier, le vice-président exécutif de la Commission européenne, chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, Stéphane Séjourné a lâché une nouvelle « bombe ». Dans un entretien sur France Inter, celui-ci assure que l’omnibus proposera un « choc de simplification massif ». « On garde les objectifs climat mais on change le parcours des entreprises pour y arriver avec la suppression du reporting », y affirme-t-il. Une annonce choc qui a toutefois été nuancée quelques heures plus tard: « On ne revient pas sur les objectifs de la CSRD mais seulement sur certaines obligations de reporting », a assuré l’équipe du Commissaire européen à Ouest-France, expliquant aussi à L’Opinion que la formule avait été « surinterprétée ».
En attendant, l’annonce a fait bondir Martin Richer, fin connaisseur de ces réglementations et directeur de l’executive master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po et responsable du pôle entreprises, travail et emploi de Terra Nova. Car « garder les objectifs climatiques sans la CSRD cela n’a aucun sens ! Celle-ci est le système métrique de l’entreprise responsable. C’est ce qui va permettre aux entreprises de dépasser le simple discours en travaillant sur des plans de transition climatique ! », souligne l’expert joint par Youmatter.
Pour lui, le rapport Draghi sur la compétitivité qui a officialisé cette demande de simplification a eu un « impact considérable dont nous n’avons pas bien mesuré l’ampleur en France« . Mais un « nouveau pas a été franchi avec un durcissement des positions depuis l’hospitalisation d’Ursula Von Der Leyen. Et il ne reste plus beaucoup de députés pour défendre les réglementations de durabilité pour les entreprises« , déplore-t-il.
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Une prime aux mauvais élèves
En supprimant la CSRD, c’est un retour en arrière qui s’opérerait avec de graves conséquences pour les entreprises françaises, souligne Martin Richer. Car c’est alors la NFRD qui s’appliquerait, une règlementation -contrairement à la CSRD- surtransposée par la France et qui redonnerait donc un désavantage compétitif aux entreprises françaises.
« La Commission sous-estime l’effet désastreux de la prime à la procrastination », ajoute encore l’expert. De fait « les directeurs financiers et RSE qui en interne ont peser de tout leur poids en COMEX pour mettre la CSRD en oeuvre dans leur entreprise vont se trouver désavantagés et ridiculisé », craint Martin Richer. C’est aussi en substance ce que disent de grandes entreprises – Ferrero, Groupe L’Occitane, Nestlé, Unilever ou Primark dans une lettre ouverte envoyée à la Commission. Elles pointent notamment les « investissements » déjà réalisés pour la préparation des légilsations de reporting comme la CSRD et la CSDDD. Et demandent de ne pas modifier en profondeur ces textes accouchés dans la douleur après de multiples négociations entre les parties.
« Simplifier la CSRD sans renoncer à ses ambitions »
De leur côté, les entreprises engagées dans la transformation écologique et sociale reviennent aussi à la charge auprès de la Commission pour demander des « simplificatons sans renoncer à ses ambitions ». Il y a quelques semaines, à l’initiative du Mouvement Impact France, 11 réseaux (CJD, B Lab France, CEC, Fair, Communauté des entreprises à mission…) avaient demandé à leurs adhérents PME et ETI de remonter leur ressenti et retours d’expériences face à la CSRD.
Il en est ressorti un plaidoyer pour la CSRD « qui constitue un levier stratégique pour renforcer la compétitivité de l’Union européenne, résolument engagée dans la construction d’un modèle économique durable ». Pour autant, « sa mise en œuvre révèle des complexités opérationnelles qui, sans ajustements, risquent de compromettre son efficacité pour les entreprises, en particulier pour certaines PME et ETI », soulignent aujourd’hui ces réseaux dans un dossier de presse.
Parmi les demandes de simplification portées par le Mouvement Impact France auprès de la Commission dans une lettre spécifique: des dérogations transitoires pendant deux ans pour les plus petites entreprises qui n’étaient jusque là pas concernées par la DPEF, une concentration sur les indicateurs « favorisant la valorisation et la comparabilité des performances ESG des entreprises », en privilégiant les indicateurs quantitatifs et semi-narratifs ainsi que la clarification du périmètre des audits, l’un des gros points noirs relevé avec les derniers retours d’expérience des entreprises. Des ajustements qui visent à une meilleure « proportionnalité » mais qui ne « doivent pas toucher aux exigences déjà en vigueur pour les grandes entreprises », assure à Youmatter Malo Bourel Weeger, responsable des affaires publiques du Mouvement Impact France.
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