C’est la rentrée ! Alors que la situation politique devient de plus en plus floue, quelle trajectoire veut on pour notre économie ? C’était l’objet des débats lors des rencontres des entrepreneurs de France du Medef et de l’Université d’été de l’économie de demain. Voici quelques réflexions qui en sont issues pour mettre en œuvre la transformation écologique et sociale de notre économie.
Assumer le fait que l’entreprise est politique
« L’entreprise du XXIème sera politique ou ne sera plus » écrivait Pascal Demurger, directeur général de Maif et co-président du Mouvement Impact France. Le contexte actuel lui donne plus que jamais raison. Les deux événements entrepreneuriaux de la rentrée, la rencontre des entrepreneurs de France (REF) du Medef et l’université de l’économie de demain du Mouvement Impact France (MIF) l’ont directement montré en mettant chacun en avant une vision profondément différente de la société : primat de l’économie et libéralisme du côté du Medef, demande d’une certaine régulation et d’un alignement des business models sur les limites planétaires et le bien-être social, côté MIF.
Cette vision économique est loin d’être décorrelée de la situation politique. Elle est même un socle pour construire la société de demain. Car le mal-être au travail, c’est aussi le mal être citoyen comme le montrent les travaux de l’économiste Thomas Coutrot. « Il existe une forte corrélation entre les personnes qui sont mal au travail et qui y souffrent d’un manque d’autonomie et le comportement électoral avec un vote vers l’extrême droite ou l’abstention », rappelle ainsi la sociologue Isabelle Ferreras. Alors comme le dit Julia Faure, co-présidente du MIF, pour faire advenir la transformation écologique et sociale, il est important que les entrepreneurs engagés donnent de la voix !
Accélérer la bifurcation des business models, malgré les vents contraires
6 des 9 limites planétaires sont déjà dépassées et la pauvreté est en hausse en France selon l’Observatoire des inégalités. La transformation écologique et sociale de notre économie et donc des business model des entreprises n’est plus une option. Pourtant, le constat est unanime : ça ne va pas assez vite. Si l’on prend l’exemple du climat, qui reste à ce stade l’enjeu environnemental le plus adressé par les entreprises, les 2/3 d’entre-elles estiment que la décarbonation est une opportunité…mais seulement 15% ont une trajectoire carbone sérieuse, alignées sur les préconisations du GIEC, d’après l’Ademe.
« Il faut qu’on accélère drastiquement », assure ainsi Jean-Pascal Tricoire, le président de Schneider Electric, qui a notamment blâmé « la lenteur d’adoption des nouvelles technologies » destinées à lutter contre le changement climatique lors de la REF. « Il faut garder l’ambition mais revoir complètement la méthode », assure de son côté Pierre-André de Chalendar. Pour le président de Saint Gobain, pour qui « le changement a à peine commencé », il faut notamment « insister davantage sur la transformation de la production plus que de la consommation » et « déverticaliser, simplifier et décentraliser pour que les réglementations soient adaptées au terroir ».
Problème : les vents contraires sont à l’œuvre et les entrepreneurs, notamment à impact, rencontrés lors de ces deux événements alertent sur le flou si ce n’est la régression de l’ambition politique et des difficultés de financement, y compris auprès des investisseurs à impact…Et il n’y aura pas de bifurcation sans transition juste. Les urnes l’ont montré : la préoccupation de la fin du mois est forte et le partage de la valeur doit être rebattu vers plus d’égalité en faveur des travailleurs.
Diriger autrement, avec plus de respect et de considération
Pour le Mouvement Impact France, le changement de cap demande d’abord de « diriger autrement », avec plus de « considération, de respect et de conciliation »...au sein des entreprises, comme au sein du monde politique, ont rappelé les co-présidents Pascal Demurger (Maif) et Julia Faure (Loom). « C’est l’urgence du moment » pour « créer une meilleure efficacité collective » et faire en sorte que « l’économie contribue au bien commun, au mieux social, à la transition écologique… », a déclaré le directeur général de la Maif.
Or « dans le monde politique comme économique, nous n’avons pas les bons dirigeants » car ceux-ci sont menés par leur hubris, a souligné l’ex-directrice RSE de L’Oréal devenue présidente du WWF France, Alexandra Palt. « Les dirigeants actuels maximisent leurs certitudes et l’accumulation. Pourquoi la seule boussole est-elle le toujours plus ? À quel moment apprendra-t-on aux dirigeants à faire autrement? Il faut recréer un chemin entre le cerveau et le cœur et travailler l’alignement des modèles dans le donut », assure celle qui a commencé une thèse sur l’éthique du dirigeant au XXIème siècle. Pour les participants au Mouvement impact France, un grand patron au 21e siècle est d’ailleurs avant tout celui qui « pilote son modèle d’affaires en intégrant les limites planétaires »...
Mais pour cela, il faudra d’abord se débarrasser de décennies de dogmes et de modes de pensée comme celui de « la logique quantitative qui guide nos entreprises et nos vies » ou celle de la compétition, comme le souligne Romain Cristofini Directeur en charge du leadership régénératif et du développement chez Lumia. « Si nous ne déconstruisons pas en profondeur cela, ça ne marchera pas », assure-t-il.
Chercher la robustesse dans un monde devenu flou et de plus en plus risqué
Canicules, inondations, tempêtes…les catastrophes naturelles que nous connaissons aujourd’hui de manière encore épisodique sont appelées à se multiplier dans les prochaines années. « Un monde à +4°C n’est pas assurable », clamait déjà Henri de Castries, PDG d’Axa en 2015. Problème, c’est la trajectoire qui se profile en France d’ici la fin du siècle. Mais déjà les assureurs et les entreprises s’inquiètent et se questionnent : « pourra-t-on encore s’assurer dans 20 ans » interrogeait une conférence à la REF ? Il faut ajouter au risque climatique et environnemental, les risques cyber ou encore ceux du vieillissement…Le secteur est en ébullition pour trouver des solutions car déjà, certaines collectivités et entreprises ont du mal à s’assurer. Et comme le rappelle Charles Zindy, le président du Medef Paris et porte-parole du Medef national, « l’assurance est plus que jamais un produit de première nécessité »…
Alors plutôt que d’essayer d’atteindre le toujours plus de croissance, de rentabilité et de performance financière, ne vaudrait-il pas mieux viser l’adaptation, l’adaptabilité, la résilience voire la robustesse, comme nous le préconise le chercheur de l’INRAE Olivier Hamant ? La robustesse, cette force du vivant « se construit d’abord sur l’hétérogénéité, la redondance, les aléas, le gâchis, la lenteur, l’incohérence » et « permet la viabilité dans un monde instable et en pénurie de ressources », explique-t-il dans son livre « Antidote au culte de la performance ». Cette robustesse, c’est ce que recherchent notamment les entreprises qui se tournent vers la « régénération » et/ou l’économie circulaire. Et voyons le positif, elles sont de plus en plus nombreuses. A l’inverse, comme le souligne le cas de l’avionneur Boeing aujourd’hui en très mauvaise posture, « la course effrénée à la rentabilité s’est faite au détriment de la sécurité »…à la fois des passagers et de l’entreprise elle-même. Et c’est le Congrès américain qui le dit.
Mesurer la performance sociétale pour changer les critères de réussite et rediriger l’investissement
A l’heure où tout ou presque se trace et se mesure, l’impact ne fait pas exception. « Le changement de business model représente combien du pourcentage de votre chiffre d’affaires ? » s’est ainsi enquis Alexandra Palt lors des UED24, en s’adressant au directeur général de Fnac/Darty, Enrique Martinez, venu vanter l’intégration croissante du réemploi et de la réparation dans le BM du groupe.
Pour mesurer l’impact social de leur activité, mieux en parler aux collaborateurs, clients-bénéficiaires et autres parties prenantes, et/ou convaincre des investisseurs, et in fine repenser les critères de succès des entreprises, les indicateurs se multiplient et pas seulement ceux de la CSRD…De nouvelles méthodes apparaissent pour évaluer les performances sociétales des entreprises et organisations. Une étude du BCG avec le Laboratoire d’Évaluation et de Mesure de l’Impact Social et Environnemental (E&MISE) de l’ESSEC Business School, montre ainsi que les 1142 entreprises à impact du panel étudié permettent d’éviter des coûts équivalents à 30 % de leur chiffre d’affaires aux pouvoirs publics. Et c’est sans compter l’impact positif qu’elles ont sur leurs autres parties prenantes et qui peut faire grimper les coûts évités et la valeur créée à 130% de leur chiffre d’affaires. Elles sont donc nettement « profitables » pour la société.
Mais si cette mesure qui se professionnalise est de plus en plus nécessaire, elle ne doit ni « devenir une obsession », ni « servir de prétexte à l’inaction » quand elle n’existe pas ou n’est pas suffisamment précise, comme le soulignent Lionel Fournier directeur « santé et écologie(s) » chez Harmonie Mutuelle et Salomé Géraud, co-fondatrice du Drive Tout nu…
Collaborer, pour être plus forts
Sport et entreprenariat, même valeurs ? Si les deux mouvements entrepreneuriaux ont cité les Jeux Olympiques de Paris comme un exemple de réussite à suivre, les deux n’en tirent pas le même enseignement. Alors que le Medef met l’accent sur les vertus de la compétition et de l’excellence, le Mouvement Impact France insiste davantage sur les valeurs d’équipe et de collaboration.
La collaboration peut ainsi avoir lieu même entre concurrents d’un même secteur, souligne la co-présidente du MIF, Julia Faure, co-fondatrice de la marque de vêtements Loom et de l’association En Mode Climat. « Au lieu de la seule compétition, la collaboration entre chefs d’entreprises du textile nous a permis d’échanger sur des enjeux pragmatiques de business pour échanger les bonnes pratiques ou des outils mais aussi de porter un message global au niveau politique »...La force du collectif a notamment permis au textile français de peser pour porter une loi anti fast fashion. Adoptée à l’assemblée nationale à l’unanimité, elle attend cependant de passer devant le Sénat pour pouvoir être mise en œuvre…
Les deux mouvements se rejoignent toutefois sur le fait que l’entreprise « reste le lieu du collectif » et « du compromis avec différentes parties prenantes ». Le président du Medef, Patrick Martin, en veut pour preuve le nombre record d’accords d’entreprises et de branches qui se sont conclus ces dernières années. Un satisfecit à nuancer toutefois car il résulte en partie de la dégradation d’un dialogue social de plus en plus compliqué au niveau national…Et l’absence du pouvoir du salarié dans l’entreprise « reste criante », alerte la sociologue Isabelle Ferreras…
Persévérer, tout en acceptant notre vulnérabilité
« Les transformations se sont toujours faîtes dans la douleur. Il y aura des tensions, des reculs, mais la dynamique [de la transformation ] est imparable », assure Enrique Martinez, dg du groupe Fnac/Darty. Et comme en plus « nous allons dans l’inconnu », autant dire que « cette transformation va demander du courage » à tout le monde et en premier lieu aux dirigeants, souligne Alexandra Palt.
Mais parfois malgré les efforts, l’envie et l’ambition, cela ne suffit pas. A l’université d’été de l’économie de demain, des entrepreneurs qui ont rêvé de voir leur boîte avoir le maximum d’impact sur la société en remplaçant les contenants jetables des fast food par des contenants réutilisables (Pyxo) ou de rendre la réparation des produits électroniques ultra accessible avec une flotte de camion (Informatruck) ont expliqué comment ils se sont cassé les dents. Parce que financer une entreprise à impact auprès d’investisseurs extérieurs et des banques est toujours compliqué, que les grandes entreprises ne sont pas toujours prêtes à jouer le jeu des réglementations ou de la transformation volontaire, il est important aussi d’anticiper les risques, de se faire accompagner et d’apprendre de ses échecs pour mieux repartir, ont-ils soulignés.
Dans un pays où l’échec est souvent vécu comme une honte ou n’est « pas une option pour les entrepreneurs », comme l’a clamé à la REF Patrick Martin, décortiquer, partager ses erreurs et/ou ses difficultés et assumer ses vulnérabilités fait aussi du bien et participe aussi au changement de récit nécessaire.
On développe tout ça dans des articles à suivre sur Youmatter ! Mais en attendant, on vous propose de garder en tête le mantra proposé par la secrétaire nationale d’EELV Marine Tondelier : « Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient » (Einstein) !
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