Depuis janvier 2025, les Zones à Faibles Émissions mobilité (ZFE-m) interdisent les véhicules Crit’Air 3 dans plusieurs grandes agglomérations françaises. Si cette mesure vise à améliorer la qualité de l’air en milieu urbain, elle bouscule particulièrement la logistique du dernier kilomètre, essentielle mais fortement polluante.
Depuis janvier 2025, le bannissement des véhicules Crit’Air 3 dans les Zones à Faibles Émissions mobilité (ZFE-m) des agglomérations de plus de 150 000 habitants marquent une nouvelle étape dans la gestion des pollutions atmosphériques. Ce dispositif, qui vise pour les véhicules sortis avant 2006 pour le diesel et 2011 pour les véhicules essences, s’inscrit dans une logique environnementale visant à réduire la pollution de l’air dans les zones urbaines. Une préoccupation de santé publique encadrée par les lois d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 et la loi Climat et Résilience de 2021.
La logistique urbaine, vectrice importante de pollution atmosphérique
La logistique urbaine repose sur la gestion des flux de marchandises dans des environnements complexes et denses. Or, les véhicules professionnels représentent une part significative du trafic urbain, souvent motorisés au diesel, ce qui contribue fortement aux émissions de polluants atmosphériques.
La logistique urbaine serait ainsi responsable de 25% du CO2 émis en ville et un tiers des émissions de polluants atmosphériques. Plus spécifiquement, la logique du « toujours plus » portée par les grands distributeurs « contribue à l’éclatement des flux avec une hausse du nombre de VUL (Véhicules utilitaires légers) circulant dans les villes, dans un contexte où 20 % des trajets sont réalisés à vide et où le taux de remplissage ne dépasse pas 65 % », souligne un billet de l’Ademe.
La difficile gestion du « dernier kilomètre »
La gestion du « dernier kilomètre », soit la livraison finale entre la plateforme logistique et le client, est donc un levier logistique important à résoudre pour réduire l’empreinte écologique de la logistique. « Il y a un engagement de plus en plus fort des grandes entreprises qui font des livraisons, y compris de leurs prestataires, pour utiliser des véhicules de plus en plus décarbonés », explique Laetitia Dablanc, professeur et directeur de recherche en logistique à l’Université Gustave Eiffel lors d’une journée organisée par l’université sur les Zone à Faibles Émissions mobilité, ou ZFE-m.
Mais cela ne suffit pas forcément pour décarboner la logistique. Des initiatives émergent dans plusieurs métropoles, telles que la cyclo-logistique ou les plateformes de mutualisation des livraisons sur les ZFE et la logistique pour combler ces lacunes. Elles visent non pas seulement à remplacer la voiture thermique par la voiture électrique, mais à organiser un report modal vers des véhicules encore plus bas carbone, à l’instar des véhicules intermédiaires.
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À Strasbourg, par exemple, des projets combinant transport fluvial et livraison à vélo montrent des résultats prometteurs, explique une fiche de 2024 du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Ces solutions nécessitent cependant de forts investissements et impliquent une réorganisation difficile, tant des acteurs (transporteurs, distributeurs, producteurs, grossistes…) que des infrastructures qui restent encore inadaptées ou insuffisantes dans de nombreuses villes.
Pour les professionnels, entre tensions et volonté d’adaptation
Si certains transporteurs régulièrement contraints de renouveler leurs flottes s’adaptent relativement bien, d’autres, notamment les artisans ou les PME, peinent à suivre. Ces derniers utilisent des véhicules utilitaires légers spécifiques, souvent anciens, difficiles et coûteux à remplacer. Rien qu’en région parisienne, 59 000 véhicules professionnels seraient concernés par l’entrée en vigueur des restrictions des Crit’Air 3 dans la ZFE-m du Grand Paris, dont 48 000 véhicules utilitaires légers, selon les données de l’Atelier parisien d’urbanisme.
« En 2015, nous avions essayé d’évaluer l’impact économique des ZFE sur les transporteurs et la logistique du ‘dernier kilomètre’, précise Laetitia Dablanc, il y avait eu un impact important sur le nombre de petites PME du dernier kilomètre, notamment à cause des faillites. Mais en parallèle, la taille moyenne des PME avait augmenté ».
Pourtant, et comme l’explique le Cerema, les professionnels ne rejettent pas en bloc ces évolutions. Nombre d’entre eux plaident plutôt pour une meilleure coordination des ZFE-m entre les métropoles et les acteurs de la logistique. Ces derniers appellent ainsi à un accompagnement renforcé pour permettre une transition plus douce. Une « période pédagogique » de plusieurs mois, sans sanction, et des exceptions sont déjà prévues dans la majorité des villes.
Le rôle crucial des collectivités
En outre, des initiatives telles que les plateformes d’information comme zfe.green, des accompagnements professionnels ou les aides financières à l’acquisition de véhicules moins polluants, comme celles proposées à Grenoble, cherchent à réduire les tensions avec les acteurs les plus vulnérables. Enfin, les agglomérations ont aussi la possibilité de faciliter l’implantation d’espaces logistiques dédiés en allouant par exemple des espaces fonciers délaissés ou sous-utilisés au sein de leur centre urbain.
Dans cette perspective, le rôle des collectivités est crucial. Elles doivent instaurer des gouvernances communes entre ZFE-m et logistique urbaine, favoriser le dialogue avec les acteurs économiques, et investir dans les infrastructures nécessaires (bornes de recharge, espaces logistiques).
La France rattrape depuis ces dernières années son retard en matière de ZFE face à aux autres pays de l’Union Européenne. Mais comme le rappelle Laetitia Dablanc, « plus de la moitié des agglomérations françaises concernées par les ZFE dépassent encore les seuils de la directive européenne 2024/2881 fixés pour 2030, notamment celui d’oxyde d’azote ».
La pollution atmosphérique à l’origine de plus de 8 millions de décès par an
Les concentrations de polluants (particules fines, dioxyde d’azote, oxyde d’azote) seraient à l’origine de 8,1 millions de décès dans le monde en 2021, tout en favorisant l’apparition de maladies respiratoires et cardiovasculaires, d’après le 5e édition du rapport State of Global Air de l’institut de recherche indépendant américain Health Effects Institute (HEI). Le transport routier représentait en 2021 le premier émetteur de cuivre (75 %), de zinc (48 %) et d’oxyde d’azote (44 %).
Illustration : Canva