Un tour de France de 3 700 kilomètres, à bord d’un véhicule hybride, entre le vélo et la voiture électrique…Voilà le défi que s’était fixé le vélo-reporter Jérôme Zindy au début de l’année. Objectif de cette Nouvelle Aventure Mobile : documenter cette nouvelle façon de se déplacer avec des véhicules légers, low tech, durables et fabriqués en France. Au terme de son périple, Youmatter revient avec lui sur les enseignements à tirer sur ces véhicules intermédiaires.

Youmatter: Vous venez de boucler un tour de France avec un véhicule dit “intermédiaire”. C’est encore un objet roulant non identifié pour beaucoup. Qu’est-ce que c’est ? 

Jérôme Zindy : Le Sorean de QBX Cycles que j’ai conduit est un bon exemple de véhicule intermédiaire. C’est un véhicule électrique de 120 kilos, à quatre roues, couvert, pour un ) deux adulte(s), avec une autonomie de 80 km. C’est un compromis entre le vélo à assistance électrique (environ 20 kg) et la voiture électrique (en moyenne 1,5 tonne). Il est léger, low tech, fabriqué en France, réparable et durable. C’est l’inverse du SUV par excellence ! 

Cependant, il n’y a pas un type de véhicule intermédiaire mais une pluralité. Certains ressemblent beaucoup plus à des vélos, d’autres à des voitures. Ce Sorean peut grimper à 45 km/h, d’autres véhicules peuvent aller jusqu’à 90 km/h. Mais tous ont en commun la légèreté, de faire moins de 600 kilos et d’être des véhicules fonctionnels, éco conçus et réparables. 

Vous avez parcouru une boucle de plus de 3700 kilomètres, à partir d’Arzens (Aude), en passant par Bordeaux, Paris ou Thiez (Haute-Savoie). Qu’avez-vous appris ? 

L’objectif de ce tour, c’était à la fois de documenter le fonctionnement de ces véhicules intermédiaires par une série documentaire produite 100 %en véhicule intermédiaire justement et par là-même de montrer qu’une autre façon de se déplacer, joyeuse, économique et pratique, était possible. Depuis qu’elle existe, la voiture a façonné la France, notre façon de nous déplacer et d’aménager le territoire. Mais cela ne fonctionne plus : pour beaucoup, notamment dans les régions rurales et périurbaines, la voiture est le seul moyen de déplacement. Mais il n’est plus satisfaisant, notamment parce qu’il devient trop cher. A l’inverse, le vélo, qui a un potentiel de développement x 10 en France, peut être compliqué quand on a des trajets trop longs, avec trop de dénivelés, qu’il fait mauvais… Au cours de mon périple, j’ai vu les gens se projeter très facilement sur ce Sorean. D’autant plus quand je leur disais qu’il avait 10 fois moins d’impact écologique qu’une voiture classique et qu’il me coûtait 10 fois moins cher à faire rouler (7 € pour 1000 km, avec une recharge pleine en 1H30 sur une prise électrique classique). Beaucoup attendent une solution plus soutenable économiquement et écologiquement et mon tour montre que le véhicule intermédiaire peut y répondre. 

Pour aller plus loin : Que répondre à ceux qui continuent à défendre leur SUV ?

On imagine ce type de véhicule plutôt pour un usage domestique mais peut-il avoir des usages professionnels ? 

Oui. Dans le cadre de l’eXtrême défi de l’Ademe, plusieurs territoires, comme la ville des Mureaux ou le Parc Naturel régional de Grands Causses (vers Millau), expérimentent des véhicules intermédiaires pour leurs agents publics. C’est à la fois une démarche d’exemplarité et un test pour les proposer par la suite à leurs habitants. Il y a aussi l’enjeu de la livraison. Certains véhicules peuvent transporter 300 kg au m3 comme le montre le véhicule intermédiaire de Midipile! Transdev expérimente aussi un vélo bus en bois dans quelques communes pour le ramassage scolaire (expérimenté notamment dans l’Eure, ce bus de 3 mètres, aux allures de “Rosalie” peut accueillir 8 enfants. Équipé de 2 moteurs de 250 watts, 100% français et est construit par la marque Humbird, ndlr). 

Vous avez aussi été voir des constructeurs de ces véhicules intermédiaires. Peut-on espérer voir se développer un marché français ? 

Oui clairement et nous avons des constructeurs pionniers sur le sujet qu’il va falloir accompagner. C’est ce que fait l’Ademe avec son programme eXtreme Defi qui vise à mettre en place une filière française. Celui-ci va soutenir les acteurs qui travaillent à l’élaboration de véhicules qui peuvent transporter 1 à 4 personnes et qui peuvent “faire 1000 fois mieux que la voiture au quotidien” (10 fois moins coûteux par rapport à une automobile, 10 fois plus durable, 10 fois plus léger, 10 fois plus simple et 10 fois moins puissant, ndlr).

Pour l’instant, il s’agit surtout de petits constructeurs comme Midipile fondé par Benoît Trouvé. Celui-ci a quitté son travail dans l’automobile pour développer des véhicules professionnels destinés à la logistique urbaine. Je trouve aussi très intéressant l’initiative du groupe Savoy. Cet équipementier automobile a pris la fin de la vente des véhicules neufs thermiques comme une opportunité. Avec sa marque Kilow, le groupe a développé la “bagnole” qui reprend les codes esthétiques de la voiture, ce qui peut peut-être convaincre les plus réticents.. Cette “Bagnole”, en plus d’être aussi réparable qu’une 2CV, pourra demain assurer la pérennité des 650 emplois du Groupe Savoy. C’est important car derrière cette transformation, ce sont des emplois qui se jouent. Et pas seulement pour la construction. Ces véhicules sont plus réparables que nos voitures, cela peut aussi être une aubaine pour les garagistes. Quant aux grands constructeurs automobiles, ils restent encore souvent observateurs ou y travaillent à leur manière. Citroën par exemple élabore un produit de ce genre mais produit au Maroc.  

Quel est le coût de ces véhicules ? 

Pour l’instant il s’agit beaucoup de prototypes mais plusieurs vont entrer dans une phase d’industrialisation cette année. Si l’on prend le Sorean, une fois industrialisée, il coûtera aux alentours de 10 000 à 12 000 euros. Mais il coûte beaucoup moins cher à l’usage qu’un véhicule thermique !

Comment développer ces véhicules intermédiaires? 

Il y a encore une question d’accessibilité financière car même si ce sont des véhicules électriques, ils ne bénéficient pas des mêmes aides que les voitures électriques. Il faut donc leur ouvrir les aides comme le bonus écologique ou la prime à la conversion. 

Selon moi, il faut aussi  protéger très rapidement le marché de la construction de ces véhicules car même si on est assez avancé en France, notamment grâce à l’Ademe qui a cru très tôt dans le véhicule intermédiaire, il y a un risque de concurrence, notamment asiatique. Et importer un tel véhicule, fabriqué dans des conditions sociales et environnementales désastreuses, n’a pas de sens. 

Quels sont encore les freins et points de vigilance à ce développement ? 

Pour le diffuser plus largement au sein de la population, selon moi, les freins ne sont plus tant techniques ou économiques : ils sont surtout culturels et sociaux. C’est notre rapport social à la voiture qui doit changer. Et je sais de quoi je parle. J’ai évolué pendant des années dans le milieu du rallye automobile avant de me tourner uniquement vers la mobilité active et de faire tous mes reportages à vélo ! Nous avons beaucoup de pédagogie à faire pour montrer qu’une alternative est possible. Je pense que ce tour de France, 1er de l’histoire en véhicule intermédiaire, y participe. Quand ils essayent le véhicule, les gens sont enthousiastes : ils trouvent cela maniable, puissant et accessible. Oui, on peut continuer à se déplacer, à être libre, à voyager, à rêver sans automobile !

Mais si je pousse au développement de ces véhicules, il faut aussi faire attention à ne pas retomber dans nos travers. Le véhicule intermédiaire ne doit pas devenir un véhicule de plus, qui s’accumule aux autres. Il doit nous permettre de repenser la mobilité en profondeur. C’est ça le grand défi !

Illustration : Jérôme Zindy dans le Sorean de QBX Cycles, à Paris, dans le cadre de son tour de France. Crédit :  Nicolas Jahan