D’après la FAO, si l’on ne réforme pas l’agriculture en profondeur, 122 millions de paysans sombreront dans l’extrême pauvreté. Mais il existe peut-être des solutions : réformer l’agriculture industrielle et revenir à une agriculture diversifiée, écologique et raisonnée.
Aujourd’hui, l’agriculture soulève de nombreuses questions en matières environnementales et sanitaires : comment développer une agriculture plus respectueuse de l’environnement ? Comment mettre en place une stratégie agricole qui permette à la fois de nourrir la planète tout en protégeant la santé des populations ? Comment rendre l’agriculture compatible avec la protection de la biodiversité ? Mais l’agriculture est aussi le noeud de véritables problématiques sociales et économiques : comment l’agriculture peut-elle produire une nourriture accessible au plus grand nombre tout en rémunérant correctement les producteurs ? Comment organiser la chaîne de production et de distribution afin de mieux répartir les richesses ?
Les récents débats autour des prix du lait illustrent parfaitement qu’aujourd’hui, le modèle agricole international n’est pas viable économiquement. Et c’est aussi le constat de la FAO, Food and Agricultural Organization, qui vient de publier un rapport accablant sur la nécessité de réformer l’agriculture mondiale. Le rapport de l’institution de l’ONU, publié à peine quelques jours avant le 43ème Comité sur la Sécurité Alimentaire Mondiale, met en évidence les liens extrêmement forts entre notre système alimentaire, le réchauffement climatique et la pauvreté. Principale leçon de ce rapport : si l’on ne réforme pas rapidement l’agriculture mondiale, ce sont 122 millions de personnes, principalement des producteurs et paysans, qui sombreront dans l’extrême pauvreté d’ici 2030, notamment à cause du changement climatique.
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Il faut supprimer l’agriculture industrielle et la remplacer par une agroécologie diversifiée ![/box]
Réformer l’agriculture pour faire face à un marché agricole de plus en plus instable
L’agriculture est aujourd’hui à la croisée des chemins. D’un côté, la demande alimentaire mondiale ne cesse d’augmenter : avec la croissance démographique, mais aussi la croissance des marchés émergents et en développement, le monde a besoin de toujours plus de nourriture. D’ici à 2050, la demande de nourriture devrait augmenter de 60%. Mais les conditions de production sont aussi de plus en plus complexes : dans de nombreux pays industrialisés, la productivité agricole a commencé à baisser, notamment à cause de la surexploitation des sols et de leur mauvaise gestion. Dans le monde entier, le changement climatique rend la production plus difficile, plus aléatoire. Certains produits agricoles (notamment ceux que nous aimons le plus), risquent de disparaître à cause du changement climatique.
Dans un contexte si tendu, le marché agricole mondial promet dans les années à venir d’être réellement instable : d’après la FAO, la baisse des rendements pourrait mener à des pénuries, et à des augmentations majeures des prix et à des mouvements imprévus de capitaux sur les marchés des matières premières et des produits agricoles. Cette instabilité du marché est une très mauvaise nouvelle, à la fois pour les consommateurs (qui vont voir le prix de leur assiette monter), mais surtout pour les paysans et petits producteurs, qui seront les premières victimes d’un marché agricole instable.
En effet, aujourd’hui dans le monde, 70% de la nourriture consommée est produite par des petits paysans et producteurs. Mais lorsque les marchés agricoles sont instables et subissent des mouvements spéculatifs (notamment à la hausse), ce sont ces petits producteurs qui en subissent les conséquences économiques. On pourrait penser qu’une hausse des prix est bénéfique pour les agriculteurs et les producteurs. En réalité, pour un petit producteur pauvre, une hausse des prix signifie surtout une hausse des dépenses (puisque ces producteurs dépensent 80% de leurs revenus dans la nourriture). De plus, pour qu’une hausse des prix soit rentable pour un producteur, il faut qu’il ait accès à du capital et à des investissements pour augmenter et ajuster sa production. Or ce n’est pas le cas de petits producteurs en Asie du Sud ou en Afrique subsaharienne, qui sont des régions très productives, mais très vulnérables.
Le changement climatique fait peser un risque sur la productivité et la stabilité des exploitations agricoles dans le monde. Avec des conditions climatiques plus difficiles, la production peut devenir plus complexe, et surtout plus aléatoire. Si les intempéries et les évènements météo se multiplient (ce qui est une conséquence du changement climatique sur la météo), la production devient chaotique. Et encore une fois, ce sont les petits producteurs qui subissent ce risque et ce coût économique.
La FAO estime que dans un tel contexte, d’ici 2030, ce sont près de 122 millions de petits producteurs partout dans le monde qui pourraient sombrer dans l’extrême pauvreté (et la faim). Mais tout n’est pas perdu, la FAO propose aussi des pistes de réforme de notre système agricole pour faire face à ce danger.
Repenser notre façon de faire de l’agriculture : diversité des cultures, agro-écologie…
La première proposition de la FAO est de réformer nos techniques agricoles pour qu’elles soient plus résilientes et plus respectueuses de l’environnement, afin de permettre aux fermes et à leurs exploitants de mieux survivre dans un contexte climatique changeant. Pour ce faire, la FAO préconise de :
- Revenir à des pratiques agricoles diversifiées, basée sur la diversité des semences et sur la fin de la monoculture intensive.
- Mettre en place des mesures de protection de la biodiversité (qualifiée de « système immunitaire des écosystèmes ») afin de rendre les exploitations plus résilientes
- Développer une meilleure gestion des sols et des ressources naturelles : mettre en place la biomasse, des systèmes d’irrigation plus économes, mieux gérer la richesse des sols
- Promouvoir une agriculture moins dépendante des énergies fossiles et des intrants chimiques, dont les prix vont augmenter à cause de la hausse du prix du pétrole. Notamment, promouvoir une agriculture basée sur des innovations moins intensives en énergie et en haute technologie (les low tech). Pour plus d’informations, voir la définition de l’agriculture biologique.
- Réduire les émissions de l’agriculture (carbone et nitrogène), notamment en repensant la gestion des terres, en repensant l’élevage (plus de pâturages pour améliorer la capacité de stockage du CO2 des sols)
- Réduire le gaspillage alimentaire, lors de la phase de production mais aussi lors de la phase de distribution, en améliorant les supply chain
Cela permettrait d’abord de rendre l’agriculture plus souple, et de permettre aux petits producteurs de supporter plus facilement les conséquences du réchauffement climatique. Mais la FAO ne s’arrête pas là, l’institution explique aussi que pour que ces transformations se concrétisent, il faudrait transformer la structure du système agricole et alimentaire mondial. Cela passe par la réorientation des aides publiques d’Etat. La FAO explique en effet qu’actuellement, le système de subvention à l’agriculture dans de nombreux pays encourage des productions non durables, reposant trop fortement sur l’agro-chimie et les pesticides, et trop polluantes. Ils préconisent de « conditionner les aides publiques à l’adoption de pratiques agricoles plus durables », mais aussi d’améliorer la rémunération des paysans dans le cadre d’une amélioration de leurs infrastructures.
Une réforme de l’agriculture passera aussi par une refonte des cahiers des charges sur les produits agricoles, afin d’éviter la standardisation systématique des produits vendus notamment dans les grandes surfaces et les grandes supply chain occidentales.
Sauver l’agriculture en réhabilitant le monde paysan
En somme, ce que propose la FAO, c’est de sauver l’agriculture en réhabilitant le monde paysan, en réhabilitant des pratiques agricoles plus écologiques, plus « raisonnées », et surtout, de changer radicalement notre conception « industrielle » de l’agriculture.
Ces conclusions sont dans la même lignée que celles IPES Food, qui préconisait dans un rapport publié en juillet dernier, de remplacer l’agriculture industrielle par une « agro-écologie diversifiée ». En somme, tous les grands acteurs spécialisés sur l’expertise du monde agricole s’accordent aujourd’hui à dire que la structure industrielle du monde agricole n’est pas soutenable. Ils conseillent tous de revenir, d’une manière où d’une autre, à une agriculture plus relocalisée, à plus petite échelle, à des cultures diversifiées par opposition à la mono-culture industrielle. Et donc, par extension, cela revient à revaloriser le rôle des agriculteurs et des paysans dans notre société. Si rien n’est fait dans ce sens assez rapidement, c’est la précarité, la pauvreté et la détresse qui risquent bien de frapper le monde agricole.
Dans une profession déjà largement frappée par les crises (en France, deux agriculteurs se suicident chaque jour en moyenne), il semble urgent d’agir pour réformer le système agricole.
Voir aussi :
[box] Sources :
FAO, The State of Food and Agriculture 2016 – Climate change, agriculture and food security, Organization of the United Nations Rome, 2016
FAO, Global agriculture towards 2050, Organization of the United Nations Rome, 2009
IPES-Food, FROM UNIFORMITY TO DIVERSITY A paradigm shift from industrial agriculture to diversified agroecological systems, Stockholm, June 2016 [/box]