Inspiration. De nombreux livres s’emparent du dérèglement climatique en cours pour nous projeter dans un futur plus ou moins apocalyptique. Voici trois récits de climato-fiction, écrits par des romanciers ou des chercheurs. Ils nous permettent de nous interroger sur notre présent en nous projetant dans le futur.
Le ministère du futur, Kim Stanley Robinson
En Inde, c’est la canicule. Une de celles qui ne pardonne pas. Le pays continent comptera 20 millions de morts. Frank May, qui effectue sur place une mission humanitaire, ne s’en relèvera pas. Son désespoir le conduira à une rencontre inattendue, celle de la directrice du ministère du Futur. Cette agence des Nations Unies a été créée en 2025 pour accélérer la transition écologique et défendre les générations futures face au changement climatique. Mais ses moyens semblent dérisoires face à l’ampleur de la transformation à effectuer. Alors comment convaincre les dirigeants de changer de braquet ? Quels leviers actionner ? La finance ? La géoingénierie ? La finance ? La violence ?
Dans un récit choral ultra documenté, Kim Stanley Robinson utilise la fiction comme un outil de vulgarisation et de sensibilisation, non seulement aux effets du changement climatique sur notre santé (physique et mentale) mais aussi sur les freins au changement et les mécanismes techniques ou comportementaux à actionner pour les lever. Face à l’urgence écologique, il met en débat autant la géo-ingénierie que l’emploi de la violence ou l’utilisation d’outils plus traditionnel comme des mesures financières ou réglementaires. Partisan d’une économie écolo-socialiste, l’écrivain donne à voir l’inertie du système capitaliste tout en montrant les possibilités de sa transformation au service de la décarbonation socialement juste et l’importance de la collaboration entre acteurs. En donnant une sorte de mode d’emploi très pragmatique de la transition tout en posant les questions du moment sans tabou, on ne sera donc pas étonné que l’auteur de La trilogie martienne ait l’oreille des institutions internationales, des économistes ou d’ex-dirigeants comme Barack Obama.
Le ministère du futur, Kim Stanley Robinson, Bragelonne, 2023, 600 pages
L’effondrement de la civilisation occidentale, de Erik M. Conway et Naomi Oreskes
2393. Un historien, citoyen de la seconde République populaire de Chine, retrace les événements de la période de la Pénombre (1988-2093) qui ont conduit au Grand effondrement et à la Migration massive (2073-2093). Trois cents ans plus tard, il tente d’expliquer l’impensable. Alors que la civilisation de l’époque disposait de toutes les connaissances sur le changement climatique et ses conséquences, celle-ci n’a rien fait pour assurer les transformations nécessaires. Aveuglement idéologique pour le marché, dépendance totale aux énergies fossiles, croyance absolue dans le progrès technologique et parallèlement hyperspécialisation et hyper prudence des scientifiques sur le changement en cours… Les raisons du déni sont multiples et interconnectées, souligne l’historien dans un exposé d’une soixantaine de pages, qui se dévore comme un roman.
En se projetant dans le futur pour nous raconter le passé, les historiens des sciences Naomi Oreskes et Erik M.Conway éclairent avec acuité notre présent. Ces deux chercheurs, sont reconnus pour leurs travaux sur le rôle des lobbies dans la lutte contre le changement climatique dont ils ont détaillé les tactiques dans Les Marchands de doute. Dans « L’effondrement de la civilisation occidentale », ils décrivent sans fard les freins que nous nous mettons à la transformation pourtant nécessaire de notre société. Écrit il y a 10 ans, cet essai fiction est le fruit d’un travail de prospective scientifique rigoureux qui garde toute son actualité. On apprécie aussi le dictionnaire des termes archaïques qui montre à quel point notre système de pensée est obsolète. Une précision: malgré son titre, Erik M. Conway explique que le livre est optimiste car il montre que l’humanité peut survivre à la catastrophe. Reste à savoir dans quelles conditions…
L’effondrement de la civilisation occidentale de Erik M. Conway et Naomi Oreskes (Les liens qui libèrent), 2014, 120 pages
Exodes, Jean-Marc Ligny
Dans un futur plus ou moins proche, en Espagne, en France, aux îles Lofoten, en Italie ou en Suisse, six individus ou familles se débattent dans une Europe dévastée par le changement climatique. Entre montée des eaux, sécheresses, températures insupportables, mais aussi violence, rationnement, maladie et coups bas, aucune des conséquences de la catastrophe écologique en cours ne leur est épargnée. Et ceux qui se croient protégés dans des enclaves, ces rares villes protégées sous un dôme, ne devraient pas se croire hors d’atteinte…
Comment et pourquoi survivre dans un monde en ruine ? Dans sa fiction qui prend clairement le parti de la dystopie, Jean-Marc Ligny, nous amène à réfléchir aux conséquences de notre inaction. Depuis la fin des années 70, l’auteur de science fiction est passé maître dans l’art de la climato fiction et est à ce titre régulièrement sollicité par des institutions comme le GIEC, la Mairie de Paris ou l’Armée. Dans son roman précédent Aqua™, il montrait ainsi la lutte d’un pays africain contre une multinationale pour garder la main sur cette ressource indispensable mais menacée à l’heure du changement climatique. Dans Exodes, il questionne notre capacité d’adaptation mais nous amène aussi à nous interroger sur les migrations climatiques, à l’intérieur même de l’Europe. Rappelons que la la Banque mondiale prévoit 260 millions de déplacés climatiques en 2030, et jusqu’à 1,2 milliard en 2050.
Exodes, Jean-Marc Ligny, L’Atalante, 2012, 538 pages
En savoir + : Comment la fiction peut aider les entreprises à mieux se préparer au changement climatique
Illustration Canva