Le secteur des nouvelles technologies serait-il irresponsable ? Pourquoi les start-up digitales sont à la traîne sur le développement durable et la RSE ? Et surtout, quelles voies pour changer de modèle ?

Les comportements parlent d’eux-mêmes : le détournements des données privées, les feuilletons fiscaux des Gafam, la non coopération des réseaux avec les régulateurs, pour ne pas parler des règles anti-sociales de certaines entreprises de l’économie collaborative, parfois privées de licence manque de responsabilité, sont autant de faits récents qui marquent l’opinion. Le casino capitalistique qui tient lieu de vision sociétale dans l’univers Tech, semble démontrer que les nouveaux acteurs de l’économie numérique, grands et petits à la fois, n’ont que la croissance rapide comme seule valeur. Le paradoxe est de voir « les vieilles entreprises » se mobiliser dans des démarches RSE et infléchir leur modèle pour diminuer leurs impacts environnementaux et sociaux, alors que la nouvelle économie semble faire preuve d’indifférence sinon de cynisme sur le sujet.

Le modèle start-up : l’innovation au prix de la responsabilité ?

Il faut dire que le secteur a été à mauvaise école. On lui a dressé un tapis rouge pour investir et croître à toute allure, au nom de l’innovation sanctifiée et on n’a eu de cesse d’alléger toutes ses contraintes réglementaires comme si la seule règle était non pas seulement de grandir mais de s’enrichir ou plutôt d’enrichir ses investisseurs. On a en mémoire en France les combats de certains réseaux d’entrepreneurs qui ont fait des stocks options leur seule raison d’être, le reste étant laissé à la bonne volonté des dirigeants comme au premier temps du libéralisme industriel.

On a aussi à l’esprit les formidables démarches de mécénat des premiers millionnaires, de Bill Gates à Alexandre Mars, qui ont remis à l’ordre du jour le philantro-capitalisme de Rockeffeler, au nom duquel beaucoup est autorisé à ceux qui en rendent un peu à la Société, fiscalité à l’appui, sans leur demander des comptes sur leur mode de fonctionnement en amont : quid de leur impact carbone, de la transparence des comptes et de l’attention au client par-dessus tout ? Un espace de liberté a été accordé à l’univers des start-up, pour leur permettre de partir en avant et tant pis pour les effets collatéraux ; on les exonère des devoirs citoyens pourvu qu’elles fassent de l’audience et que la pyramide financière ne s’arrête pas…

Mais trop c’est trop, entend-on de plus en plus, au cœur de l’éco-système qui accepte de moins en moins les conditions sociales peu regardantes, une culture éthique proche de zéro et une course au dollar qui ne profite qu’aux détenteurs de capitaux. Une critique sociale monte autour de l’eco-système techno sur ses méthodes dures et son peu d’attrition pour les questions sociétales quand il ne se joue pas des régulateurs et lorsqu’il ne veut pas assumer son rôle de contrôleur, face à toutes les manipulations qui explosent sur la toile. Le jeu ne peut plus consister à avancer tête baissée et « tant pis pour les pots cassés », même s’il s’agit de disrupter les rentes et de faire sauter les inerties du monde ancien. Dans son livre important, The People Vs Tech, Jamie Bartlett, n’y va pas par quatre chemins, considérant que l’autoritarisme et le narcissisme qui est de vigueur dans le secteur des Tech joue contre la démocratie…

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Quand disruption rime avec destruction

disruption start up rse

De fait, il est nécessaire de repenser les modèles et de les alléger, mais pas pour détruire les standards protecteurs par principe, sauf à les rebâtir de façon plus équitable. La disruption créatrice des Tech est utile lorsqu’elle améliore l’accessibilité aux services, lorsqu’elle ouvre de nouveaux usages et de nouveaux clients, à de meilleurs prix, lorsqu’elle diminue l’utilisation des ressources et améliore la circularité de l’économies, ce qu’on appelle le découplage au service de la durabilité. Mais encore faut-il qu’elle se prête à des approches de transition et non de combat, justifiant les dérogations et les expérimentations que nécessite le soutien à l’innovation. Cette critique montante à son égard ne va faire que s’amplifier avec l’arrivée de l’IA des robots et des réseaux localisés « in the cloud ». « L’évangélisme californien » fait peur et suscite déjà ses contre-feux.

Dans nos vieux pays policés, il est clair que les conditions sociétales d’intégration des technologies sont devenues un de piliers de la responsabilité. Le procès en déstabilisation du jeu doit interpeller les financeurs et les entrepreneurs de la Tech s’ils veulent continuer à ouvrir des voies ; le pire serait qu’ils soient identifiés à des profiteurs dans un monde où l’équité doit être plus que jamais la règle. Jamie Barlett rencontre un grand echo lorsqu’il explique la façon a-sociale au sens litteral qui inspire la conquête des marchés, s’agissant aussi bien des chinois que des Gafam. Et le fait formidable que pas mal de technologies servent « for good », répondant à des modèles non lucratifs et animant la sphère de l’économie sociale et solidaire, ne règle pas la question de l’approche mainstream qui devrait intégrer la RSE, plus tôt dans sa démarche, plus fortement, plus largement dans son fonctionnement, au cœur de la gouvernance des start-up !

Voir aussi : Entreprises disruptives : contre l’intérêt général ?

Les voies pour mettre l’innovation au service du durable

produrable start up

Plusieurs voies se dessinent en Europe en tout cas pour remettre l’économie des Techs au cœur du mouvement de responsabilisation du capitalisme qui se cherche en ce moment, dans la suite de l’excellente recommandation de Nicole Notat et de Jean-Dominique Senard et que la loi Pacte va faciliter en rappelant que les enjeux sociaux et environnementaux font partie de tout projet d’entreprise, ancien et nouveau, grand et petit (cf. 1833 CC revu).

Les « techs for good » seront sûrement intéressées par le statut d’entreprise à mission et les start up combatives pourront aussi expliciter leur « raison d’être » (art 1835 CC) qui ne peut se limiter « à gagner de l’argent » et à en rester là ! Il est indispensable que l’action collective se mobilise dans le secteur Tech pour passer ce message d’un lien organique à mettre en place entre la Tech et la RSE, de façon générale, au service d’un développement durable très bien défini désormais au travers des ODD, avec une métrique simple, devant inclure la lutte contre le réchauffement climatique qui nous concerne tous. Il est indispensable que l’action collective fasse émerger un référentiel commun, autour des principes de base, bien identifiés, de « la Tech responsable » et que des programmes pédagogiques et collaboratifs puissent voir le jour rapidement pour prendre en charge des impacts propres au secteur, dans le champ social, dans la façon d’inventer les régulations et de répartir la valeur équitablement.

La Tech peut bénéficier de toute l’expérience collective accumulée depuis deux décennies par les autres secteurs pour s’organiser, dominer ses chapelles, fédérer ses acteurs engagés et émettre une vision de responsabilité qui lui donnera plus de sens, plus d’attractivité, plus de facilité. Nous en appelons à tous les acteurs conscients de ce défi pour qu’ils se retrouvent autour de cette ambition de responsabilité qui fera de la Tech la solution privilégiée à nos défis de durabilité. Ce secteur a un tel impact sur nos vies qu’il doit nous préoccuper tous de le remettre en tête des acteurs responsables de l’avenir de notre société mondialisée et numérisée.

Voir aussi : Mondialisation : définition, histoire

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